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DE L'ENSAE À DRH D'HÔPITAL…, PORTRAIT DE CLÉMENT CORRIOL (2002)

02 janvier 2019 Variances
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Clément Corriol est aujourd’hui directeur des ressources humaines d’un groupe hospitalier parisien. La singularité de son parcours, – qui confirme la grande diversité des carrières possibles après la diplomation de l’ENSAE -, nous fait découvrir un métier et un secteur d’activité peu investis par les Alumni de l’ENSAE, et un choix de parcours fondé sur un besoin de sens et de priorités centrées sur l’humain.

Variances : Clément, aujourd’hui directeur des ressources humaines d’un groupe hospitalier, peux-tu nous rappeler ton parcours depuis la sortie de l’ENSAE ?

Clément Corriol : Après une khâgne B/L au lycée Thiers à Marseille, je suis rentré à l’ENSAE avec une idée en tête : je travaillerai dans la finance. Nous étions à la fin des années 1990 et le secteur, très rémunérateur, avait particulièrement le vent en poupe mais déjà aussi ses légendes maudites (si nous n’avions pas encore vu Le loup de Wall Street, nous avions déjà lu Le bûcher des vanités et apprécié Michael Douglas dans Wall Street).

Finalement lectures, rencontres et maturation m’ont conduit à terminer ma scolarité avec plus de questions que de réponses sur le sens du travail, des relations humaines au sein de l’entreprise, de sa propre utilité sociale, etc. Et surtout j’avais acquis des compétences singulières à l’ENSAE et gagné l’envie de cheminer hors des sentiers battus. Ainsi, la recherche de cohérence et de sens m’écartait progressivement de mon projet initial de travailler en finance de marché.

De fait, je me suis très vite investi dans le secteur de la santé en répondant à une offre d’emploi, publiée par l’Association des Alumni, et qui répondait à mes attentes. Ma recherche de sens d’alors m’avait en effet conduit à chercher une nouvelle orientation, et celle de la santé m’est apparue naturelle. Il n’y a là ni hasard ni surprise sociologique, puisque j’ai grandi dans une famille dans laquelle si personne n’est médecin, tous travaillent dans le domaine (kinésithérapeute, sage-femme, responsable système d’information dans une société de dossiers patients informatisés).

J’ai ainsi pris part à un projet de recherche opérationnelle en gestion à l’INSERM (avec un financement de la Haute Autorité de Santé) dans le cadre du projet COMPAQH (Coordination pour la Mesure de la Performance et de la Qualité dans les Hôpitaux). L’objectif était de construire des indicateurs qualité pour les établissements de santé avec une visée comparative et l’ambition d’alimenter le débat sur le mode de financement des hôpitaux et des cliniques. Nous étions au début une petite équipe de trois personnes (deux médecins de santé publique dont un chercheur et moi-même), tout était à faire et nous faisions tous un peu tout : imaginer les indicateurs, monter des grilles de recueil, confirmer l’existence de la donnée, valider les qualités métrologiques, exploiter le tout pour en faire un retour qui puisse avoir une portée opérationnelle pour les décideurs d’hôpitaux ou de cliniques.

C’était un monde nouveau que je découvrais, où MCO n’avait rien à voir avec les moindres carrés mais était communément employé pour désigner la catégorie des établissements de soins aigus (pour Médecine-Chirurgie-Obstétrique) par opposition aux soins de suite et réadaptation (SSR), aux soins de longue durée (SLD) ou à la psychiatrie, et où les auteurs des articles de revues scientifiques n’étaient pas classés par ordre alphabétique mais à une place déterminée en fonction de leur importance dans le travail de recherche !

En termes de techniques statistiques, cela restait fruste. J’étais vraiment loin des cours de probabilités de Marc Christine, qui sont restés pour moi une référence en matière de rigueur et d’élégance formelle. Cependant, il me semble évident que mon diplôme de statisticien-économiste a été un atout majeur au moment de mon recrutement, et pour ma contribution au projet COMPAQH.

J’ai poursuivi dans ce secteur d’activités et, depuis octobre 2014, je suis DRH d’un groupe hospitalier au sein de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP), sur les sites de St Louis (à proximité du canal St Martin), Lariboisière (à côté de la gare du Nord) et Fernand Widal (rue du faubourg St Denis). Cela représente environ 5600 équivalents temps plein et 280 millions d’euros de dépenses annuelles en frais de personnels hors médecins (les médecins relèvent des affaires médicales et d’autres textes).

V : Comment en es-tu venu à présenter, en 2006, le concours de l’EHESP (l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique qui forme les futur.e.s directeur.trice.s d’hôpital) ? Cela t’éloignait définitivement de ton projet initial de travailler dans la finance, quelles furent tes motivations ?

CC : J’étais passionné par le projet de recherche COMPAQH. Mais hélas, qui dit recherche dit bien souvent précarité. Pendant ces 3 années j’ai dû additionner, parfois cumuler, pas moins de six contrats et quatre employeurs différents. Pour autant, j’avais bien compris que travailler dans la finance ne pouvait être une fin pour moi.

Par ailleurs, je trouvais qu’il était paradoxal de concevoir des choses pour les établissements de santé sans jamais y avoir travaillé.

Pour ces deux raisons principales j’ai décidé de passer le concours externe de l’EHESP, l’école qui forme les directeurs d’hôpitaux. Je l’ai fait sans trop de difficultés, l’ENSAE m’ayant permis de conserver un certain rythme de travail dont il me restait quelques souvenirs suffisants pour les épreuves quantitatives et d’économie, par ailleurs assez peu courues. Et d’une certaine façon, je faisais de la santé publique toute la journée. Le lien était ainsi tissé, ce qui a facilité une partie de mes révisions, pour le grand oral notamment.

La scolarité à l’EHESP n’a rien à voir avec celle de l’ENSAE et ne souffre pas la comparaison, mais la finalité n’est pas la même non plus : d’un côté l’excellence technique individuelle en méthodes quantitatives, de l’autre des bases très opérationnelles pour pouvoir exercer l’une ou l’autre des fonctions du métier de Directeur d’Hôpital (finances, ressources humaines, achats, logistique, affaires médicales, qualité, etc.).

V : Dans ta fonction actuelle, qui peut sembler éloignée des sujets enseignés à l’ENSAE, dirais-tu que ta formation de statisticien-économiste t’est utile et comment ?

CC : L’apprentissage des fondements statistiques m’a permis à certains moments de mon parcours professionnel d’appréhender, sans trop de difficultés, des méthodes nouvelles d’économétrie.

Pour dire les choses autrement, le formalisme enseigné à l’ENSAE rend beaucoup plus simple l’appropriation de modèles énoncés de façon plus “littéraire” en économie de la santé. Je m’en suis particulièrement rendu compte pendant l’école d’été en santé publique que j’ai suivie à Harvard.

Ensuite, je dirais que la formation que l’on pourrait couvrir du libellé d’“administration économique” nous pousse naturellement à exercer des fonctions dans les administrations centrales (type Haute Autorité de la  Santé ou Ministère de la Santé en ce qui me concerne) où un professionnel formé à l’ENSAE a toute sa place.

Enfin, j’ai surtout l’impression que ce qui m’est aujourd’hui le plus utile des enseignements que j’ai reçus à l’ENSAE, c’est une grille de lecture, une vision du monde et des liens qui le composent. La statistique pousse vers la globalité, les grands ensembles et tend à gommer les singularités, les valeurs extrêmes.

Ce que j’aime dans le métier de DRH c’est qu’il faut sans cesse faire le va-et-vient entre la globalité d’une organisation et la singularité des situations individuelles, entre la conception d’une stratégie RH et la mise en oeuvre au niveau le plus opérationnel. C’est pourquoi mon parcours résonne comme une synthèse entre les sciences humaines de la B/L et l’approche macro de l’ENSAE. Et puis, je suis très curieux et j’aime beaucoup écouter quelqu’un qui parle de son travail. A ce niveau-là, l’hôpital regorge de personnalités passionnées, qui ont parfois fait toute leur carrière dans le même établissement, ont vu évoluer l’institution, le métier, les conditions de travail, les thérapies. On entend parfois une certaine lassitude, mais toujours le souci du patient, qui aujourd’hui est un autre mais pourrait tout aussi bien être demain un parent, un frère, ou bien soi-même. Derrière chaque individu il y a aussi une histoire singulière, qui peut être heureuse, douloureuse, originale, un quotidien professionnel, personnel ; tout ceci transpire ou pas quand vous les rencontrez et on peut imaginer cette vie qui n’est pas la nôtre, comprendre leur façon de voir les choses et de se lier aux autres.

V : Pour nous éclairer sur ton métier singulier, peux-tu partager avec nous des moments clefs de ton expérience de DRH ? Risques-tu ta chemise, comme le DRH d’Air France ?

CC : A ma connaissance il y a peu d’alumni ENSAE qui sont directeurs d’hôpital (j’en ai trois en tête), il doit y en avoir à peine plus qui sont DRH (je suis preneur pour échanger avec eux). Nous avons eu un éminent alumni, Bernard Brunhes (ENSAE 1963) qui fut Conseiller du Premier Ministre pour les affaires sociales de 1981 à 1983, et fondateur d’une société de conseil en management, organisation et ressources humaines qui porte son nom. Mais il est clair que le métier de DRH et les ressources humaines en général ne sont pas un débouché a priori naturel de l’ENSAE. C’est trop peu quantitatif, trop singulier en apparence.

Par ailleurs, il est vrai qu’aujourd’hui cela devient un métier particulièrement exposé. L’image de Xavier Broseta, le DRH d’Air France, sautant par-dessus les barrières, chemise arrachée, a fait le tour du monde en 2015. En octobre dernier ce n’était rien moins qu’une “chasse aux DRH” qui a été organisée à l’occasion d’une journée d’échanges professionnels. Le DRH est la figure toute choisie du bouc émissaire, il sert d’exutoire quand il faut s’en prendre au système. C’est finalement paradoxal puisque le sens du métier est d’atténuer les chocs liés aux contraintes financières, d’accompagner les transformations, de mettre en œuvre des dispositifs permettant de faire “baisser la pression” et parfois de servir de lanceur d’alertes.

Si je n’ai jamais vécu de moments aussi violents, j’ai pourtant parfois l’impression d’avoir passé plusieurs heures dans une machine à essorer après avoir traité sans transition des arbitrages de recrutements dans un contexte budgétaire tendu, des situations individuelles de grande précarité sociale, suivi un projet d’implantation de drap-glisse pour prévenir les troubles musculo-squelettiques, ou fait un point avec une organisation syndicale, etc.

Plus concrètement, je me souviens d’une séance du comité d’hygiène sécurité et conditions de travail à laquelle j’avais dû me rendre avec deux heures d’avance afin de pouvoir formellement ouvrir la séance, malgré l’occupation du lieu par le personnel ; ou encore d’une grève pendant laquelle les organisations syndicales avaient conseillé au personnel de débrayer (ce qui est interdit, une quinzaine de procédures disciplinaires furent engagées) ; d’une audience au tribunal administratif en « référé liberté » (procédure d’urgence dont l’objet était de montrer que le droit de grève était mis à mal – le jugement nous a donné raison), etc.

V : Comment te projettes-tu à 10 ans ? As-tu un rêve que tu espères réaliser ?

CC : Il est attendu dans une carrière hospitalière d’occuper des fonctions “régaliennes” (RH, Finances, Affaires médicales) pour pouvoir devenir ensuite chef d’établissement. Cela sera peut-être mon cas, mais pour le moment, après avoir exercé les fonctions de DRH, j’aimerais bien, pour un temps, continuer à les exercer en dehors de l’hôpital. Si je privilégie a priori le secteur de la santé au sens large (clinique, mutuelle, assurance), je dois reconnaître que cela n’est pas exclusif. L’hôpital public est une organisation extrêmement complexe où se cumulent les contraintes (financières, réglementaires, de continuité et d’accessibilité), les risques professionnels (on y rencontre des produits chimiques, des appareils ionisants, des installations électriques, des fluides médicaux, des agents biologiques, de la manutention, des risques psycho-sociaux, etc), le tout dans un climat social exigeant. Tout ceci m’amène à croire que la transposition dans un autre contexte est à portée de main.

J’envisage l’exercice du métier de DRH en dehors de l’hôpital comme l’opportunité d’être en responsabilité sur des questions de changements organisationnels, à un niveau stratégique. Par essence, nos organisations sont humaines, et il est difficile de faire l’économie de ce facteur et de sa bonne direction. Peut-être cela m’orientera-t-il vers d’autres fonctions dirigeantes clefs ?

V : Lorsque tu étais étudiant, tu aimais et pratiquais la musique. Réussis-tu à lui consacrer encore du temps ?

CC : La musique et la danse ont occupé une place importante dans ma vie. En première année d’école, je me souviens d’avoir vu l’intégralité de la saison de l’Opéra de Paris ainsi que d’autres spectacles, grâce au club théâtre de l’ENSAE, à l’époque mené par Frédéric Véron. C’était une façon d’équilibrer un enseignement assez formel et des Humanités, un goût des belles choses. La guitare classique m’a aussi accompagné pendant de nombreuses années. Certainement ces pratiques m’ont aidé à me détourner de la voie professionnelle à laquelle je croyais d’abord devoir me destiner.

Ces derniers temps, je préfère l’achat d’oeuvres d’art aussi souvent que mes finances me le permettent. Au début c’était des souvenirs de voyages et puis progressivement les choses se sont affinées. Aujourd’hui, j’apprécie particulièrement le XVIIIème français, tout particulièrement pour les livres anciens. C’est évidemment une période de révolution, qui a marqué l’histoire française et notre façon d’appréhender de nombreuses questions sociales et politiques. J’y puise notamment l’inspiration pour la construction du lien, clef de la cohésion des groupes et de l’interdisciplinarité.

Car cette période est aussi un sommet, l’apogée des Lumières avant de basculer dans le XIXème, le romantisme et l’ère industrielle. Ce coup d’oeil sur l’histoire me donne une perspective sur notre époque et me permet de mieux comprendre et de me projeter.

Il faut reconnaître aussi que nos deux enfants (3 et 5 ans) et l’attention que nous leur portons m’ont conduit à sortir un peu moins, et j’anticipe avec joie de pouvoir partager avec eux les joies de la musique et de la pratique d’un (ou plusieurs !) instrument(s).

Je puise également dorénavant mon équilibre dans le sport par la pratique de la course à pied et le cyclisme.

V : Que souhaites-tu dire à celles et ceux qui intègrent l’ENSAE ?

CC : Félicitations pour avoir intégré cette belle école, on y croise des personnalités rares et précieuses.

N’oublie pas de travailler, car tout n’est pas joué.

Va où te mène l’envie d’apporter ta pierre à l’édifice, et ne crains pas le changement. Avec le recul j’ai le sentiment d’avoir pris des chemins de traverse plutôt que des autoroutes, mais je sais aussi que celles-ci n’étaient pas faites pour moi. J’ai d’abord trouvé du sens à travailler dans le secteur de la santé, sans doute pour m’inscrire inconsciemment dans un environnement familial connu. Aujourd’hui, le métier de DRH m’a conduit à révéler d’autres compétences, notamment celle de cultiver le lien. L’exercice du métier de DRH me donne l’énergie et l’envie d’arpenter d’autres pistes, d’autres secteurs. Je peux dans cette perspective témoigner de la grande variété d’avenirs qu’offre notre diplôme.

Et puis tout le monde sait que les autoroutes vont loin mais qu’elles ne vont jamais au sommet des montagnes ! N’hésitez donc pas à prendre ces petits chemins.

Interview réalisée par Nicolas Braun




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