Retour au numéro
Partager sur :
Vue 129 fois
09 décembre 2009

Le géomarketing décisionnel, une activité encore marginale mais en fort développement

Publié par Olivier Auliard (1990) | N° 36 -

Olivier Auliard présente les multiples applications du géomarketing décisionnel permettant l'optimisation des actions de marketing direct, de la connaissance de zones de chalandise ou encore du maillage d'un réseau de distribution. Les enjeux stratégiques et économiques liés au géomarketing décisionnel en font un secteur d'activité peu sensible aux retournements de conjoncture et promis à un fort développement .

Au-delà d’une conjoncture qui aurait tendance à inciter un nouvel arrivant sur le marché du travail, à découvrir des horizons différents des « traditionnels » secteurs des finances et de l’assurance, les métiers du marketing peuvent présenter en eux-mêmes un réel attrait. On y rencontre des problématiques variées, touchant une large palette de savoir-faire, à la lisière des sciences humaines et sociales, et nécessitant souvent une bonne maîtrise des techniques quantitatives telles qu’elles peuvent être enseignées à l’ENSAE.

Mon orientation professionnelle a été dictée par cette triple envie : étudier les ressorts de la société, capitaliser sur un savoir - faire technique et … varier les plaisirs ! Le domaine des études et des sondages (d’abord chez TNS SOFRES puis DEMOSCOPIE) a ainsi été ma première immersion dans l’univers du marketing, qui a duré plus de 10 ans, avant d’y replonger, - après un bref passage sur la bulle Internet -, plus profondément encore peut-être, grâce à ASTEROP, société dont l'activité se concentre sur le géomarketing décisionnel.

Parmi les métiers du marketing, le géomarketing, particulièrement dans sa composante décisionnelle, est probablement une des activités les plus consommatrices de méthodes statistiques sophistiquées et devrait pouvoir constituer un véritable vivier d’opportunités et de carrières pour les étudiants de l’ENSAE.

Comment définir le géomarketing et plus précisément le géomarketing décisionnel ? Avant tout comme un outil d’aide à la décision permettant d’optimiser les stratégies de développement des réseaux, en particulier des réseaux de distribution ou de vente. Sa spécificité tient à l’introduction de la variable géographique et de la dimension locale dans ses analyses.

D’une manière générale, le géomarketing s’appuie sur trois composantes majeures : la technologie, les données et les méthodes quantitatives :
4.la technologie, en ce qu’elle permet non seulement la représentation cartographique de l’information mais aussi, et peut-être surtout, dans sa capacité à accéder, exploiter et diffuser des bases de données toujours plus riches et complexes.
5.les données, aussi bien les données officielles ou dérivées que les données internes spécifiques à une enseigne ou à une activité, carburant indispensable à toute analyse marketing.
6.les méthodes quantitatives, ayant pour objet d’alimenter la réflexion des décisionnaires grâce à une exploitation optimale des données et des informations disponibles, en estimant notamment les conséquences des différentes évolutions de l’environnement, que ces évolutions soient provoquées ou subies.

Le géomarketing, une histoire récente, accélérée par le développement des sources de données et de la technologie

En toute logique, les débuts du géomarketing sont donc étroitement associés à la fois aux premières diffusions généralisées des données des recensements et, comme pour l’analyse des données et toutes les méthodes quantitatives du marketing, au développement des ressources informatiques et des puissances de calcul. En France - le terme de géomarketing est d’ailleurs une spécificité française, même si cette activité est évidemment présente partout dans le monde - c’est la COREF et Jean-Marie Bouroche, qui en furent les précurseurs dès le milieu des années 80, en développant notamment une offre appelée les géo-types sur la base des résultats du recensement de 1982. Notons qu’à l’époque, les données étaient diffusées par l’INSEE au niveau géographique le plus fin, à savoir les îlots (pâtés de maisons dont on peut faire le tour sans changer de trottoir, l’équivalent d’un « block » aux États-Unis), avant que la CNIL n’intervienne et ne limite, pour des raisons évidentes de secret statistique, la diffusion de données aux quartiers IRIS (regroupements d’îlots ayant une taille d’environ 2000 habitants) ou à quelques indicateurs très sommaires pour les îlots.

Depuis cette époque de pionniers, le développement du géomarketing a été spectaculaire, au gré des évolutions technologiques et du foisonnement des sources de données : les sources officielles de référence sont ainsi devenues de plus en plus pointues et actualisées, avec la mise à disposition, par exemple, d’informations issues de la Direction Générale des Impôts ou grâce aux efforts de l’INSEE avec le Recensement Permanent par exemple. Parallèlement, les données internes propres aux différents acteurs économiques se sont enrichies et généralisées (développement des programmes de cartes de fidélité, du data-mining…).

Du côté technologique, les SIG (Systèmes d’Information Géographiques), outils exclusifs des premiers pas du géomarketing, mais conçus au départ pour des problématiques de type cadastral ou purement géographiques, et donc peu adaptés aux besoins spécifiques du géomarketing, ont évolué ou ont été remplacés par des outils de nouvelle génération, mieux conçus et pouvant intégrer et exploiter des données de toute nature. A ce virage technologique s’est ajoutée la généralisation des accès en ligne via les browsers (solutions intranet, extranet ou internet) et le développement des solutions de type SAAS, permettant un accès et une diffusion très simplifiée d’un grand nombre de données.

Du point de vue des méthodes quantitatives, si le géomarketing a profité - comme d'autres secteurs - des progrès génériques de la recherche dans ce domaine, des travaux universitaires ont également permis de rajeunir les méthodes spécifiques du métier : par exemple, les contributions de Nakashini et Cooper en matière de modèles MCI (Multiplicative Competitive Interaction) ont permis d’améliorer significativement les méthodes de construction des zones de chalandise théoriques des points de vente.

Dans la même logique, les angles d’analyse, qui étaient souvent exclusivement fondés sur l’exploitation de typologies plus ou moins sophistiquées (les débuts du géomarketing ont été associés à la maxime pour le moins réductrice « dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es ») intègrent aujourd’hui des points de vue de plus en plus variés et moins caricaturaux : prise en compte non de la population résidente mais de la population qui travaille ou se déplace, prise en compte de la mobilité, introduction de segmentations plus fines et plus adaptées, etc.

Des champs d’application variés, depuis les tâches strictement opérationnelles jusqu’à l’aide à la définition des orientations stratégiques

Traditionnellement, les deux secteurs les plus consommateurs des approches de géomarketing décisionnel sont, d’une part, la grande distribution, aussi bien alimentaire (hypermarchés, supermarchés, supérettes et hard discount) que généraliste (grandes surfaces spécialisées en bricolage, meubles, culture, sport…), et la banque et les assurances. Mais tous les secteurs d’activité sont ou pourraient être concernés, dans la mesure où ils disposent d’un réseau de points de vente ou de distribution, depuis la distribution de la presse gratuite jusqu’aux réseaux de casinos, en passant par les opérateurs téléphoniques et les loueurs de voiture.

Au sein de ces entreprises, les interlocuteurs sont également multiples, depuis le directeur de magasin qui doit optimiser sa communication locale ou le candidat à l’ouverture d’un commerce de proximité qui souhaiterait valider l’emplacement qui lui a été proposé, jusqu’au directeur de développement d’un réseau qui cherche à optimiser la performance de ses points de vente ou à la direction générale qui veut établir un plan de développement à horizon de 5 ans.

Concrètement, les problématiques les plus fréquentes qui peuvent être traitées grâce aux techniques du géomarketing sont les suivantes :

1.Ciblage et marketing direct : pour un directeur de magasin, la distribution de prospectus a longtemps été le principal, sinon l’unique moyen de communiquer localement directement avec ses prospects et clients. L’ouverture de la publicité télévisuelle a certes changé la donne, mais l’aide au choix des quartiers les plus pertinents pour distribuer ses offres promotionnelles reste un enjeu local important.

2.Validation d’un emplacement : la loi impose à tout créateur d’entreprise, en particulier dans le domaine du commerce, la réalisation préalable d’une étude de marché. Ce cadre légal est encore plus strict dans le cas des franchises (état du marché local dit DIP) ou des surfaces commerciales supérieures à 1 000 m² (les CDAC qui ont suivi la mise en place de la LME). Les outils du géomarketing peuvent fournir tous les éléments nécessaires à ces études, en particulier l’environnement concurrentiel, la taille du marché local…

3.Construction et connaissance des zones de chalandise des points de vente et estimation de leur potentiel : il s’agit ici d’un préalable à toute analyse géomarketing, visant à décrire et à mieux comprendre la zone de chalandise, soit la zone géographique d’où proviennent les clients d’un magasin. Les outils du géomarketing permettent de construire la zone théorique d’un magasin, en tenant compte entre autres de l’accessibilité, de l’attractivité des zones et des enseignes, de la pression concurrentielle. Ces modèles théoriques permettent d’évaluer le potentiel d’un nouveau magasin ou d’un projet, ou encore d’analyser les écarts entre la performance actuelle d’un magasin et son potentiel théorique. Ils permettent également d’estimer l’impact d’une transformation de l’environnement (implantation d’un magasin concurrent, évolutions socio-démographiques, modification de l'infrastructure routière…) sur l’activité des points de vente existants, ou de simuler l’effet d’une transformation (augmentation de surface, déménagement…).

4.Définition de la vocation du magasin : l’objectif est ici d’adapter l’offre proposée dans un point de vente en fonction de toutes les composantes de son environnement (nature et puissance de la concurrence, profil de la clientèle potentielle, caractéristiques internes du point de vente). Les analyses de géomarketing permettent de fournir tous les éléments d’appréciation des spécificités des points de vente, afin d’adapter individuellement ou par segment de point de vente l’offre aux réalités locales.

5.Optimisation du maillage du réseau et schéma directeur de développement : déterminer les zones à plus fort potentiel de développement, reconnaître les zones déjà saturées, quantifier les perspectives de développement et les hiérarchiser, identifier localement les emplacements les plus prometteurs, tels sont les problématiques à résoudre en matière d’optimisation du maillage réseau. Dans sa version la plus accomplie, l’élaboration d’un schéma directeur, il s’agit de simuler tous les développements possibles, depuis la création d’un point de vente, le déménagement d’un autre, l’agrandissement ou le changement d’enseigne d’un troisième, en tenant compte des effets de cannibalisation et en visant à optimiser la création de valeur.

Conclusion : une activité encore marginale en fort développement

Traditionnellement, le marché des outils d’optimisation ou de mesure des investissements dans le domaine du marketing ou de la communication se mesurent à l’aune des enjeux auxquels ils sont associés : par exemple, le marché des outils de mesure d’audience des médias est estimé à quelques centièmes ou millièmes des montants des investissements publicitaires.

Si l’on applique cette règle empirique au géomarketing, pour lequel les enjeux en termes de poids des investissements sont gigantesques (à titre d’exemple, il se crée plusieurs centaines de milliers, voire millions de m² dans la grande distribution tous les ans en France, le coût d’investissement étant de l’ordre de la dizaine de milliers d’Euros par m²), les perspectives de développement de cette partie du marketing sont particulièrement prometteuses et fort loin de la saturation.

Qui plus est, l’optimisation des réseaux est évidemment une problématique fondamentale aussi bien en phase de développement qu'en phase de contraction, ce qui rend le géomarketing décisionnel finalement assez peu sensible aux retournements de conjoncture.

Aussi, pour les étudiants attirés par un métier à forte technicité, permettant de se confronter à des enjeux hautement stratégiques, mais aussi très ancré dans la réalité (tous les modèles construits sont en effet très rapidement évalués en fonction des résultats du terrain et ne donnent pratiquement aucun droit à l’erreur), les carrières dans le géomarketing décisionnel peuvent constituer une alternative très séduisante.

Olivier AULIARD (1990), directeur scientifique d'ASTEROP

Autrice

Olivier Auliard (1990)

Articles liés par des tags

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.