Le leadership au féminin
Moteur « prouvé » de la performance des entreprises : plaidoyer pour la mixité des genres
Dans le numéro 33 de Variances, nous vous proposions une synthèse1 de l’étude « Women Matter : la mixité, levier de performance de l’entreprise », réalisée par Mc Kinsey & Company. Cette étude mettait en lumière l’importance et les effets positifs d’une participation -quantitativement significative- des femmes aux organes de direction sur les performances et sur l’excellence organisationnelle des entreprises.
Quelques mois plus tard, Mc Kinsey publie le deuxième volet de cette étude, « Women Matter 2 : le leadership au féminin, un atout pour la performance de demain », qui poursuit cette réflexion et confirme que la mixité n’est pas seulement un enjeu de société, mais bien un véritable atout pour la compétitivité des entreprises et leur capacité à relever les défis du futur. Nous avons rencontré Sandrine Devillard, Directeur Associé chez Mc Kinsey & Company, qui nous explique la genèse de cette étude et les principaux enseignements à en retenir.
Pourquoi un deuxième volet pour l’étude « Women Matter » publiée
l’année dernière ?
Le premier volet de notre étude « Women Matter », présenté au Women’s Forum à Deauville en octobre 2007 puis dans de nombreuses entreprises en Europe mais aussi aux USA, au Japon, en
Chine, à Taïwan… a reçu un accueil extrêmement positif. En démontrant la corrélation qui existe entre la performance organisationnelle et financière des entreprises et le nombre de femmes dans leurs instances dirigeantes (une masse critique
d’au moins trois femmes), nous avons donné à nos interlocuteurs « des arguments pour convaincre la direction générale qu’il faut agir » comme nous le disait l’un d’entre eux. Nous avons développé un dialogue constructif avec un certain nombre d’entreprises qui avaient commencé à engager la mise en place de programmes de mixité. Les meilleures pratiques que nous avons identifiées en la matière reposent sur des mesures concrètes comme l’établissement d’un diagnostic interne et d’indicateurs de mixité, la définition de critères de mixité dans les processus
d’évaluation, de promotion ou de recrutement, la mise en place d’actions de soutien telles que le mentoring, des formations spécifiques, l’aide à la création de réseaux. Mais le chemin est long, de l’avis de tous, et nous avons eu envie d’aller plus loin et de continuer à nourrir ces prises de conscience.
Quelle a été votre démarche ?
Notre première étude avait mis en évidence une corrélation entre deux phénomènes, mais cela ne prouvait pas une causalité directe entre l’un et l’autre. Notre deuxième étude a donc cherché à comprendre s’il y avait un lien de cause à effet entre la présence de femmes dans les instances dirigeantes des entreprises et la performance de ces dernières. Pour cela nous avons choisi de concentrer notre analyse sur les comportements de leadership qui, parmi les multiples facteurs qui influencent la performance organisationnelle (stratégie, processus, systèmes, expertise technique, leadership…) est un levier qui relève des individus.
Nous avons donc repris les neuf critères de l’outil de diagnostic de la performance de Mc Kinsey (leadership / équipe de management ; vision ; valeurs / environnement ; responsabilité ; coordination et contrôle ; compétences ; motivation ; innovation ; ouverture sur l’extérieur), et nous
avons cherché à identifier si, sur chacun de ces critères, les femmes apportaient une contribution spécifique permettant d’expliquer le saut de performance des entreprises ayant trois femmes ou plus dans leurs instances de direction. Par ailleurs, nous avons cherché à savoir si les comportements de leadership des femmes étaient également les plus à même de répondre aux enjeux des entreprises dans les prochaines années.
Pouvez-vous nous résumer les grands enseignements de ce second volet ?
Tout d’abord, rappelons que les entreprises les mieux notées sur les critères d’excellence organisationnelle ont une marge opérationnelle et une valorisation plus de deux fois supérieures à celles des moins bien notées (cf. schéma 1). Nous parlons donc bien ici de performances très opérationnelles et pas seulement d’éléments d’image de l’entreprise.
Nous avons identifié neuf comportements de leadership qui contribuent à améliorer la performance organisationnelle et établi que les femmes pratiquent plus souvent que les hommes cinq
d’entre eux, dont trois particulièrement (cf. schéma 2) : « développement des autres », « attente et reconnaissance », « exemplarité » et, dans une moindre mesure « inspiration » et « prise de décision participative ».
Il nous restait à vérifier comment chacun de ces comportements, plus souvent pratiqués par les femmes, influençait les différentes dimensions de la performance organisationnelle de l’entreprise (cf. schéma 3) : nous avons établi qu’en pratiquant plus fréquemment que les hommes les comportements de « développement des autres » ; « attentes et reconnaissance » ; « exemplarité » les femmes contribuent plus souvent au renforcement de trois dimensions de performance organisationnelle
(« valeurs / environnement » ; « responsabilité » ; « leadership / équipe de management »).
Ainsi nous mettons en évidence non seulement que les femmes, par leurs comportements de leadership, contribuent à renforcer la performance organisationnelle des entreprises – et donc leur performance financière – mais également que la mixité des équipes dirigeantes, par la diversité des comportements de leadership qu’elle permet, influence directement et positivement l’ensemble des dimensions de la performance.
Pour aller plus loin en termes de management, et dépasser les limites inhérentes à l’analyse selon les deux modalités du genre, il faut souligner plus généralement l’intérêt pour l’entreprise de diversifier les comportements de leadership pratiqués par les hommes et les femmes qui composent les
instances de directions.
L’intérêt pour l’entreprise de diversifier les comportements
de leadership pratiqués par les hommes et les femmes qui
composent les instances de direction. Aujourd’hui, il est urgent pour les entreprises de préparer activement les réponses aux
enjeux du futur : quels enseignements cette étude nous apporte-t-elle sur ces défis organisationnels et économiques ? Parmi les neuf comportements de leadership ayant une influence sur la performance de l’entreprise, une des phases de cette étude met en évidence quatre d’entre eux qui apparaissent comme essentiels pour aborder efficacement les grandes tendances mondiales auxquelles sont confrontées les entreprises.
Pour arriver à ces résultats nous avons fait évaluer quatorze évolutions mondiales2 par plus de mille cadres dirigeants à travers le monde. Ils nous ont permis de repérer les évolutions qui auront le plus d’impact sur la performance des entreprises dans les cinq ans à venir. Trois tendances de fond arrivent en priorité : le développement rapide des innovations technologiques, un accès plus large au savoir / la capacité des entreprises à exploiter la connaissance disponible, et l’accroissement de la mondialisation des talents et de la concurrence sur ce marché.
Nous avons alors, à l’aide des réponses des dirigeants interrogés, établi quels comportements de leadership parmi les neuf répertoriés étaient les plus à même de préparer efficacement les entreprises à relever ces évolutions mondiales. Quatre comportements de leadership ressortent comme les plus efficaces : « stimulation intellectuelle » ; « inspiration » ; « prise de décision participative » ; « attentes et reconnaissance ».
Les leaders interrogés, hommes ou femmes, convergent dans leurs réponses et déclarent que ces comportements sont insuffisamment pratiqués dans les entreprises aujourd’hui. Trois de ces quatre comportements de leadership sont plus souvent pratiqués par les femmes (cf. schéma 2). Ainsi il apparaît qu’une meilleure mixité des instances dirigeantes aurait non seulement un effet bénéfique sur la performance des entreprises mais les préparerait également efficacement à relever avec succès les enjeux du futur. Une meilleure mixité des instances dirigeantes
préparerait efficacement les entreprises aux enjeux du futur
Alors que faire pratiquement pour accélérer ces mutations reconnues comme essentielles, voire indispensables ? Tout d’abord, prendre conscience que ces mutations ne peuvent se faire qu’avec un soutien affirmé, voire une détermination aussi ostensible qu’inébranlable de la direction générale de l’entreprise. Dans ce contexte, une démarche de développement de la mixité peut être entreprise dans quatre directions complémentaires :
1. Mettre en place des indicateurs de mixité qui permettent la transparence et le pilotage des progrès : suivi de la proportion de femmes dans différents métiers, dans les recrutements, écarts de rémunérations, taux d’attrition…
2. Faire évoluer les processus et la politique de gestion des ressources humaines : adaptation des critères d’identification des hauts potentiels, accompagnement dans les périodes de césure, flexibilité du temps de travail…
3. Aider les femmes à maîtriser les codes (structurellement masculins) de l’entreprise grâce au coaching, au mentoring, à la formation ou à l’aide au développement de réseaux…
4. Diversifier les pratiques de leadership par une politique RH qui les intègre à leurs programmes de formation et de promotion et les valorise lors des évaluations individuelles au même titre que la réalisation des objectifs ou les compétences techniques du manager.
Il nous paraît ainsi possible de transformer progressivement les entreprises pour que la mixité, des genres comme celle des pratiques, devienne un véritable levier de différenciation sur les marchés. Ces entreprises disposeront d’un atout concurrentiel difficile et long à acquérir pour les retardataires, car s’inscrivant dans la culture et l’état d’esprit. Prendre de l’avance en la matière est à nos yeux une décision hautement stratégique.
L’entreprise doit devenir, pour son propre salut, un endroit d’épanouissement de tous les talents et les femmes constituent la moitié d’entre eux.
Que souhaiteriez vous dire aux femmes et hommes, jeunes diplômé(e)s récemment arrivé(e)s dans le monde de l’entreprise ?
À toutes et tous, que le moment est plus que jamais propice aux prises de conscience et aux actions concrètes en faveur d’une réelle et bénéfique (pour toutes et tous) mixité. Qu’aujourd’hui les entreprises ont de manière aigüe besoin de tous les talents, et que les femmes représentent la moitié d’entre eux. Que l’entreprise doit devenir pour son propre salut un endroit l’épanouissement de tous les talents. À toutes celles qui en ont envie, qu’il faut se battre, qu’elles doivent avoir conscience des difficultés sans pour cela perdre confiance ou choisir le miroir aux alouettes de l’opt out par découragement. À tous, que la mixité permet l’échange et l’expression de toutes les facettes de sa propre personnalité, qu’hommes et femmes ont en eux toutes les dimensions de leadership, la mixité des équipes
ne peut qu’aider chacun à exprimer sa diversité personnelle et à trouver son propre mode de management, plus riche et plus varié, au bénéfice de toutes, de tous et des entreprises.
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