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15 mai 2017

Portrait : Sylviane Gastaldo (1988)

Variances : tu es diplômée de l’Ecole Polytechnique et de l’ENSAE, peux-tu nous en dire un peu plus sur ton parcours académique ? Pourquoi avoir rejoint le corps des INSEE ?

D’abord le choix de la fonction publique : fille de fonctionnaires, j’ai souhaité moi aussi travailler pour l’Etat. Quant au corps des Administrateurs de l’INSEE : je savais ce que c’était que la statistique et l’économie quantitative et j’avais une certaine appétence pour ces matières.

Variances : une fois diplômée, tu choisis un premier poste à l’ENSAE en tant qu’assistante d’enseignement en économie. Déjà l’envie de rester proche des élèves et de les aider à mener à bien leurs études ?

En fait, l’envie de rester proche des élèves est venue pendant ce poste. Ce qui m’a amené à choisir ce poste, c’est avant tout le goût de transmettre et d’enseigner. Et je n’ai pas été déçue ! Il faut aussi y voir une volonté de ma part d’approfondir certaines thématiques économique.

Variances : tu as occupé 3 postes sur l’environnement. D’abord à l’INSEE de 1991 à 1994 en tant que chargée d’études économiques sur l’environnement, puis à Bercy de 1998 à 2000 en tant que chef du bureau Agriculture et environnement et enfin au ministère en charge de l’écologie, de 2000 à 2004, en tant que sous-directrice de l’Environnement, des régulations économiques et du développement durable. C’est donc un sujet qui te tient particulièrement à cœur ?

Effectivement, ce n’est pas un hasard car j’ai pu choisir mon sujet d’études en arrivant à l’INSEE en 1991. Et j’ai choisi l’environnement car les thèses soutenues par les partis écologistes commençaient à se faire entendre et le sujet m’intéressait. Je me suis aperçue très vite de l’étendue du sujet, et j’ai également pu revenir aux fondamentaux de la microéconomie. Je me suis rendue compte qu’à l’époque, aussi bien chez les verts, qu’au ministère en charge de l’écologie, on ne faisait pas d’économie spontanément, une vrai terre d’évangélisation pour les économistes donc. La tâche de travail a été immense : le protocole de Kyoto n’existait pas encore, mais on parlait déjà de marchés de droits à polluer dans certaines parties des Etats-Unis et leur marché fonctionnait bien.



Je me suis rendue compte qu’à l’époque, aussi bien chez les verts, qu’au ministère en charge de l’écologie, on ne faisait pas d’économie spontanément

En 1998, j’ai rejoint la direction de la Prévision au ministère en charge de l’économie et il a fallu expliquer aux responsables politiques français (Dominique Voynet, alors ministre de l’environnement) les impacts de la signature du protocole de Kyoto par la France. Pour la petite histoire, j’ai aussi eu l’occasion de travailler avec Nathalie Kosciusko-Morizet puisqu’elle faisait partie de mon équipe. Une femme douée, sérieuse, et déjà très politique.

A l’été 1998, j’ai aidé l’Inspection générale de l’INSEE dans le cadre d’une mission sur la nécessité d’installer des économistes au ministère de l’environnement. A cette époque, je connaissais plus le monde de l’économie de l’environnement que n’importe qui à l’INSEE. Et en 2000, le ministère de l’environnement a justement souhaité mettre en application les recommandations de notre mission d’inspection en créant une direction en charge des thématiques économiques, c’est donc naturellement que j’ai été appelée à rejoindre ce ministère.





Variances : Dans le dernier portait Variances, Philippe Cunéo nous parlait de son expérience à la direction des études puis à la direction de l’ENSAE. Peux-tu également nous raconter ces deux postes que tu as occupés ? Est-ce que cela a été difficile d’introduire l’ENSAE dans le réseau Paristech ? Dans l’Ecole d’économie de Paris ?



J’ai souhaité prolonger le travail de mon prédécesseur, c’est ainsi que les doubles diplômes ENSAE/HEC et ENSAE/ESSEC ont été créés, et que l’ENSAE a rejoint la fondation du risque (une ouverture nécessaire à l’amélioration du financement de nos chercheurs)

Pas vraiment car la machine était déjà largement enclenchée à mon arrivée grâce à mon prédécesseur Stéphane Lollivier qui a eu l’intuition que nous associer à d’autres écoles serait bénéfique. L’ENSAE faisait donc déjà partie de Paristech, qui était alors un « club » de directeurs d’écoles. Mais quand Paristech s’est transformé et que c’est devenu un établissement public, là ça a été compliqué de rester parce que l’ENSAE était un service de l’INSEE et n’avait pas de personnalité morale… Un détail juridique qui a bien failli nous coûter notre ticket dans cette aventure ! J’ai souhaité prolonger le travail de mon prédécesseur, c’est ainsi que les doubles diplômes ENSAE/HEC et ENSAE/ESSEC ont été créés, et que l’ENSAE a rejoint la fondation du risque (une ouverture nécessaire à l’amélioration du financement de nos chercheurs).

Sur l’Ecole d’économie de Paris : le sujet a suscité beaucoup d’émotions chez les anciens. Au début l’ENSAE n’en faisait pas forcément partie, et cette école s’est créée au moment où on commençait à envisager la possibilité de rejoindre le plateau de Saclay. Or l’Ecole d’économie de Paris nous a rapidement fait comprendre qu’il serait impossible de nous associer à eux si nous partions pour Saclay et nous a même proposé d’aller nous installer sur leur parking à Boulevard Jourdan…

Nous avons finalement réussi à trouver un équilibre et avons également fait le choix de partir pour Saclay en 2006. Beaucoup de professeurs et d’anciens ont estimé que notre place était auprès d’écoles complémentaires auxquelles nous pourrions proposer des enseignements qu’elles ne dispensaient pas forcément. Je me souviens encore des propos du directeur général de l’INSEE Jean Michel Charpin qui nous a dit en substance « ce n’est pas du tout la vision que j’avais mais je vous suivrai si c’est la décision du conseil d’administration». J’ai encore aujourd’hui beaucoup de respect pour cette façon de suivre le collectif. Il a d’ailleurs tenu parole et s’est tourné vers Bercy pour obtenir le financement nécessaire à la construction d’un nouveau bâtiment.

Nous avons donc pris des décisions très importantes pendant cette période, et seul le futur pourra nous dire si nous avions raison.  Il y a bien sur des inquiétudes sur les conditions matérielles des étudiants, notamment sur la cantine et sur le logement. Sur les transports en commun, il faudra également être encore un peu patient. Mais sur la possibilité d’avoir accès à d’autres disciplines, l’objectif me semble atteint avec succès, la scolarité à l’ENSAE sera à l’avenir beaucoup plus ouverte, stimulante et enrichissante.

Variances : quel conseil de l’ancienne directrice que tu es aux futurs élèves et personnels de l’ENSAE sur le campus de Paris Saclay ?

Profitez du campus, vous êtes à côté d’autre écoles qui ont également des professeurs fabuleux, profitez-en pour vous ouvrir à d’autres cultures et à un environnement intellectuellement riche. Une vraie vie d’école sera enfin possible sur ce campus, ce que ne permet pas le bâtiment actuel qui ferme à 20h. C’est ce qui manquait à l’ENSAE pour être une vraie grande école.

Saclay c’est la chance d’être dans un environnement favorable et dans des conditions normales pour les étudiants d’une grande école. Je fais le pari que dans 5 ans, on parlera d’une énorme réussite.



Saclay c’est la chance d’être dans un environnement favorable et dans des conditions normales pour les étudiants d’une grande école. Je fais le pari que dans 5 ans, on parlera d’une énorme réussite 



C'est un vrai défi de faire monter en compétences les ministères qui ne font pas forcément d’économie en se demandant par exemple « finalement, pourquoi est-ce que le contribuable paie pour construire des prisons ? »

Comme ce qui s’est passé pour le ministère de l’écologie, j’ai participé à une mission sur le CGI depuis l’Inspection générale de l’INSEE. Notre mission s’interrogeait sur la possibilité de confier au CGI la réalisation d’une évaluation socioéconomique des projets d’investissements, avec contre-expertise pour les plus grands projets ; et on m’a finalement demandé de rejoindre le CGI pour mettre en œuvre les recommandations de la mission.

Mon travail est passionnant parce qu’on apprend l’économie à des ministères qui n’en ont jamais fait. Je viens de recevoir un dossier qui s’appelle « évaluation socioéconomique » pour une prison et il n’y a rien d’économique dedans ! Donc on organise des contre expertises, j’envoie des experts pour expliquer ce que les ministères peuvent faire. C’est un peu le retour en terre d’évangélisation 

et c’est un vrai défi de faire monter en compétences les ministères qui ne font pas forcément d’économie en se demandant par exemple « finalement, pourquoi est-ce que le contribuable paie pour construire des prisons ? ». C’est un métier qui ne me rend pas forcément populaire, car j’impose des contre expertises indépendantes. Le décret qui décrit notre activité évoque une évaluation triennale de la direction, j’ai donc demandé en 2016 à l’Inspection générale des finances (IGF) de venir nous auditer. Cela a été une vraie remise en question : est-ce qu’on continue de progresser dans la bonne direction ? Est-ce qu’il vaut mieux tout arrêter ? Finalement le rapport de l’IGF publié en décembre dernier a largement validé nos méthodes et nous a donné la pêche pour continuer.

Variances : quel contexte particulier en cette période d’élections ?

Beaucoup considèrent qu’en période d’élections « tout va s’arrêter ». Et bien non ! Actuellement, nous réalisons l’audit d’une prison, de deux universités et d’une gare. Malgré la période de réserve qui démarre pour les fonctionnaires, rien ne nous empêche de faire murir nos projets. Et dans la mesure où ce qu’on fait est essentiellement technique, nos activités peuvent continuer.

Sur les programmes d’investissements d’avenir (PIA), le 3ième volet du PIA a été voté. Et le rapport récent de l’IGF nous laisse confiants pour la suite. Une des conclusions de ce rapport était d’ailleurs qu’il faut renforcer les effectifs de ma direction, malheureusement cela n’a pas encore été mis en œuvre. Le CGI est souvent considéré comme un organisme richissime car nous distribuons, avec les PIA, de grosses sommes d’argent. Mais en pratique, nous sommes une petite équipe de 30 personnes ! Pour la plupart de nos missions de contre-expertise, nous embauchons des consultants issus de l’administration qui travaillent en « free-lance » et que leurs chefs veulent bien mettre à notre disposition pour une dizaine de jours de travail.

Variances : quels sont tes projets pour la suite ? Pourrais-tu rejoindre le privé ?

Après mon poste de directrice de l’ENSAE, qui a duré 7 ans, j’ai souhaité me mettre à temps partiel et j’ai rejoint l’Inspection générale de l’INSEE. Je me vois très bien y retourner lorsque je quitterai le CGI mais je suis également ouverte à d’autres opportunités. Je pourrais rejoindre le privé lorsque je prendrai ma retraite. Il se trouve que j’ai failli ne pas pouvoir rejoindre le CGI car je n’avais pas d’expérience dans le privé : on m’a demandé en arrivant pourquoi je n’avais travaillé que pour le secteur public ! Dans tous les cas, j’envisage la suite avec beaucoup de sérénité.



Si on a le sentiment que ce qu’on fait ne sert à rien, il faut arrêter

Variances : pourrais-tu comme Jean Pisani Ferry, ouvertement rejoindre l’équipe de campagne d’un candidat pour lui apporter ton expertise ?

Je n’ai pas souhaité le faire jusqu’ici car aucune équipe ne m’enthousiasmait et je ne suis pas engagée en politique. J’ai la chance de me sentir utile sur le poste que j’occupe : c’est l’avantage d’un poste opérationnel où on a des retours et des satisfactions quoi qu’il arrive. Si on a le sentiment que ce qu’on fait ne sert à rien, il faut arrêter.

Ici au CGI, nous avons une petite équipe, on se connaît tous, les portefeuilles sont variés et il n’y a pas de lutte sur les périmètres. La masse de travail est considérable mais on apprend énormément aux côtés des commissaires et c’est une chance de pouvoir évoluer à leurs côtés.

Variances : plus personnellement, qu’est ce qui est important pour toi ?

Le weekend, je trouve mon équilibre en confectionnant moi-même des objets, je fais des boîtes avec du carton et des maedup (nœuds d’ornementation coréens faits avec des cordons de soie). C’est ce qui me permet de rester aussi persévérante et enthousiaste la semaine.

 

Propos recueillis par Eléonore Trigano (2009)



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