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01 juillet 2009

Prévisions 2009

Publié par Xavier Timbeau (1991) | N° 35 - Variances

Les données économiques et financières observées à la fin de l'année 2008 laissent augurer une année 2009 marquée par la poursuite de la dégradation de la situation financière de nombreux acteurs, entreprises, banques, pays émergents mais aussi d'une debt deflation généralisée. Face à l'impuissance de la politique monétaire dans ce contexte, le principal risque des plans de relance n'est pas d'être trop dispendieux, mais, au contraire, trop modeste.

Diffusé à la fin de l’année 2008, les derniers chiffres des inscriptions au pôle emploi donnent le vertige (cf. graphique 1). Depuis que cet indice existe (1991), avec 64 000, c’est la plus forte hausse mensuelle enregistrée pour la catégorie 1. Le rythme d’augmentation mensuel des 6 derniers mois de l’année 2008 est maintenant proche de celui atteint en 1993. Les évolutions du 4ème trimestre et les perspectives déclarées par les entreprises en matière d’emplois laissent anticiper que le triste record de variation de 1993 sera bientôt battu sans conteste.

Des données économiques très inquiétantes

Dans le même temps, les indications, pourtant parcellaires et imprécises, sur les défaillances d’entreprises renforcent le sentiment d’inquiétude. Une récente étude d’Altares montre une nette accélération des défaillances d’entreprises et en particulier pour les entreprises employant plus de 20 salariés et ayant un âge supérieur à 3 ans. Malheureusement, ces données ne concernent que les décisions de justice et ne donnent qu’une image retardée de la situation des entreprises. Et surtout, comme les données de défaillances publiées par l’INSEE, elles comptabilisent les entreprises en défaillance, alors que ce qui est pertinent est le nombre d’emplois ou les montants d’actifs qui sont concernés, voire les montants de dettes fournisseurs qui sont compromis.

Graphique 1

Malgré cela, ces deux éléments – chômage en hausse très rapide et défaillance d’entreprises plus nombreuses – se combinent pour augurer d’un futur sombre. En effet, le ralentissement de l’économie ne passe plus par le chômage partiel, des licenciements ou des fins de contrats à durée déterminée, mais se fait par des fermetures en masse d’entreprises. En fait, le volant de flexibilité de l’économie française a déjà été mobilisé. L’emploi intérimaire a baissé de 125 000 depuis le début de l’année 2008. La hausse des défaillances explique l’accélération du chômage. Au lieu de licenciements contrôlés, motivés par une réduction prévisible de l’activité, ce sont des brutales cessations d’activité qui se produisent. Les pertes d’emplois sont plus rapides, plus importantes. Les conséquences sur l’économie en seront d’autant moins facilement réversibles.

À cela, s’ajoute les records d’indices qui sortent tous de leur plage de fonctionnement habituels. En France par exemple, l’enquête auprès de l’industrie de l’INSEE publiée en décembre 2008 indique une valeur du sentiment général des affaires qui est inférieure de 2,8 fois l’écart type à la moyenne de la série depuis qu’elle est collectée et qui est également le plus bas jamais atteint (cf.graphique 2) ; l’indice ISM, plus récent, est également au plus bas, la nouvelle série de confiance des consommateurs a atteint un plancher jamais constatée. Bâties sur des différences d’opinion, ces indicateurs se rapprochent en fait d’un sentiment unanime où tous les interrogés répondent négativement aux questions posées. De fait, ces enquêtes s’approchent de la zone de saturation où elles perdent leur pouvoir de mesure. Dans d’autres pays développés, on assiste au même décrochage des enquêtes.

Graphique 2

Ces quelques éléments sont quelques uns parmi tant d’autre qui font une situation conjoncturelle exceptionnelle. Les derniers trimestres de l’année 2008 ont apporté leur lot d’évènements spectaculaires, de la faillite d’une grande banque d’investissement américaine à des mesures de politique monétaire impensables et inscrites dans aucun manuel, condamnant les banquiers centraux à l’improvisation et les gouvernements à aligner des sommes fantastiques pour consolider le système financier et empêcher la déroute. La fin de l’année 2008 a vu émerger le risque de défaut de pays, de l’Islande à la Hongrie. L’Equateur a donné corps à cette crainte en faisant défaut sur sa dette à la mi-décembre 2008 et les réserves de change accumulées par les pays émergents ou producteurs de ressources naturelles sont de maigres remparts face au doute qui s’empare des pourvoyeurs de fonds. La Russie, par exemple, a consommé en quelques mois, parce que le prix du pétrole a été divisé par trois, le cinquième de ses réserves de changes, pourtant considérables, puisqu’elles étaient de plus de 500 milliards de dollars en juillet 2008. Si la baisse de ses réserves continue à ce rythme, la Russie devra faire face à un problème majeur de financement de ses importations à l’été 2009. Que le prix de la couverture contre le risque de défaillance sur les titres souverains russes ait bondi ne doit donc surprendre personne. Mais, qu’après la crainte du défaut d’une institution financière, se renforce la probabilité d’un défaut concret d’un grand pays promet quelques nouvelles journées agitées à la finance mondiale. Et les institutions financières sont en matière de risque financier comme les prédateurs en haut de la chaîne alimentaire. Elles collectent et concentrent les risques comme un thon accumule le mercure. Ce genre de défaillance les remettra instantanément à genoux et dépendantes de recapitalisation en urgence par les És encore capable d’émettre de la dette.

Une perspective pour 2009 : la debt deflation

Dans ces circonstances hors de l’ordinaire, l’élaboration de scénarios de conjoncture est un exercice dérisoire. En octobre 2008, l’OFCE publiait des prévisions pour les réviser de plus d’un point (à la baisse) deux mois plus tard . Et comme nous n’étions pas les seuls, on ne peut pas attribuer à notre incompétence propre cette flagrante erreur. La seule conclusion logique est que nous sommes entrés dans une phase d’incertitude radicale. Les mécanismes en jeu (par exemple les faillites en série) et l’homogénéisation des anticipations (par exemple toutes les entreprises d’un secteur prennent une stratégie défensive et reportent leurs investissements) nous projettent hors des zones de fonctionnement connues et mesurées des économies développées. La synchronisation des conjonctures entre les pays démultiplie les enchaînements et fait changer d’échelle l’impact des chocs sur les comportements. En se renforçant les uns les autres, les différents processus récessifs deviennent imprévisibles. Potentiellement, nos économies peuvent connaître une phase de ralentissement ou de récession prolongée d’une ampleur inhabituelle. Dans les 50 dernières années, les économies développées ont été confrontées quelques fois à des récessions de 1 ou 2 points de PIB sur une année et, en se basant sur des comparaisons avec des économies proches dans leurs structures et leurs maturités, des périodes de croissance réduite de plusieurs dixièmes de point de croissance de PIB par tête sur quelques années. Ainsi, le Japon a vu au cours des années 1990 la croissance de son PIB par tête inférieure de 0.6 point par an à celle des États-Unis et la France a connu une croissance négative en 1993 (-0.8%). À une moindre production de richesse peut s’ajouter aujourd’hui l’entrée dans la déflation, phénomène observé au Japon dans les années 1990, qui inscrirait dans la durée la récession et en prolongerait les conséquences sur plusieurs années.
La hausse des défaillances d’entreprises et le retournement des marchés immobiliers peut être le déclencheur du processus de déflation. Dans le cas d’une entreprises, la liquidation de capital physique, la mise au rebus de capacité de production et la destruction de capital intangible (marques, savoir faire, relations clientèles ou fournisseurs, organisation sociale) est en soi une catastrophe, une destruction dont il faudra plusieurs années pour en effacer les traces.
Dans un contexte de réduction ou de ralentissement de l’activité, cette liquidation s’accompagne également d’une dépréciation. Ces actifs liquidés, quand ils trouvent preneur, ne le trouveront qu’à vil prix : soit parce qu’il manque l’accès au crédit (les banques anticipent que le risque de défaut ne peut qu’augmenter), soit parce que ce capital physique n’a pas de rentabilité faute de clients, soit par opportunité (pourquoi se presser de saisir aujourd’hui une offre qui demain sera plus intéressante). Ce qui touche les actifs productifs affecte également les actifs immobiliers ou financiers. La chute a été spectaculaire pour les bourses (25 000 milliards de dollars de capitalisation boursière envolée depuis un an) et elle le sera, ou l’est déjà dans certains pays, sur les marchés immobiliers.
Les conséquences de ces destructions de richesses et de patrimoine seront dévastatrices : c’est le processus de debt deflation décrit par Irving Fisher dans son analyse de la crise de 1929. Si les actifs se déprécient, en revanche, les dettes sont fixées en monnaie courante. Les agents économiques, entreprises ou ménages, en valeur nette négative augmentent en nombre. Les défauts se multiplient, mécaniquement et accentuent la spirale de dépréciation des actifs. Les coûts de production diminuent (parce que le capital est déprécié ou l’offre de travail en excès) et les prix baissent. La pression sur les salaires par la contraction de l’activité et la hausse du chômage fait alors diminuer les salaires (en fait les salaires réels peuvent même se contracter). La déflation accentue encore le mécanisme de dépréciation des actifs et accroît encore les situations de valeur nette négative en réduisant les revenus courants (et donc la valeur actualisée des flux de revenus futurs) ; les anticipations de baisse future de prix et de dépréciation à venir peuvent encore accélérer ce processus.
Dans l’enquête mensuelle de conjoncture dans l’industrie menée par l’INSEE , les industriels qui ont des perspectives de baisse de prix sont plus nombreux que ceux qui ont des perspectives de hausse depuis novembre 2008. Aux États-Unis comme en France ou au Royaume Uni, les indices de prix à la consommation, corrigés des effets des produits pétroliers ralentissent. Même s’il n’y a pour le moment aucun signe avéré de déflation et en particulier les salaires continuent à croître, la déflation devient de plus en plus probable dans les mois à venir.

Quelle politique économique face à la déflation?

Une fois enclenchée, une déflation est très difficile à enrayer. L’expérience du Japon des années 1990 a été analysée largement par la réserve fédérale américaine (et par son président actuel, B. Bernanke). L’argument est simple, lorsque la déflation s’amorce, les taux d’intérêt réels augmentent et les taux directeurs ne pouvant être négatifs, il n’est plus possible de mener une politique monétaire traditionnelle (i.e. la politique de corridor des taux d’intérêt) qui stimule l’économie. Cet argument prend un sens particulier quand on sait que depuis maintenant 1 an et demi la politique monétaire traditionnelle ne fonctionne déjà plus du fait du gel du marché interbancaire et de la crise de confiance qui a laminé le fonctionnement des banques. La déflation ne peut donc que prolonger la défaillance de la politique monétaire, si elle n’en est pas précisément la conséquence.
À ce tableau déjà noir, il convient d’apporter quelques touches plus sombres. Le processus de déflation qui menace découle de la crise bancaire, que ce soit par le canal du crédit bancaire, des effets de richesse ou encore de la perte d’efficacité de la politique monétaire. Les défauts à venir, d’entreprises, de ménages ou encore d’États fragiles, pèseront sur les banques et dégraderont à nouveau des bilans qui sont aujourd’hui dans la zone rouge. D’autres recapitalisations seront nécessaires pour prévenir un effondrement bancaire. Le processus de récession appelle des politiques économiques radicales. Les déficits budgétaires prévus pour la fin de l’année 2009 (supérieur à 10 % du PIB aux États-Unis, 8 % au Royaume Uni, plus de 4 % en France) indiquent les ordres de grandeur des choix qui sont fait dans l’urgence. Or l’expérience japonaise des années 1990 nous enseigne que le pire étant difficilement imaginable, les plans de soutien à l’économie sembleront ne pas remplir leurs promesses. Malgré les déficits, malgré les centaines de milliards de recapitalisation, la croissance ne reviendra pas et la situation ne sera pas durablement assainie. Pourtant, sans ces plans, la récession aurait été plus profonde, plus grave et plus systématique. Mais cela n’empêchera pas certains de conclure que les plans de soutient ont été inefficaces, mal conçus ou mal exécutés. On pensera que l’on a fait trop de social, trop de béton ou pas assez de sectoriel. Les oubliés des premiers plans se rappelleront au souvenir des opinions publiques et des dirigeants, arguant que l’absence de résultat n’a pour explication que la négligence dont ils ont été victimes. On ajoutera à l’instabilité économique l’instabilité de la politique économique.
Après une phase de stimulation de son économie, le Japon s’est ainsi engagé dans un plan d’assainissement de ses déficits à partir de 1994 . Pendant la crise de 1929, aux États-Unis, les basculements entre liquidationistes et promoteurs d’un soutien à l’économie ont été nombreux. Ici comme au Japon, les errements de la politique économique ont contribué à la durée et à la profondeur de la crise.
L’enclenchement d’irréversibilité, la perspective de la déflation, l’alignement des anticipations, la fragilité du consensus de politique économique sont les ingrédients d’une année 2009 marqué par l’incertitude et le risque extrême. La stratégie de politique économique doit être de sortir au plus vite de la zone d’imprévisibilité et d’irréversibilité par une relance très vigoureuse. Le plan annoncé par les États-Unis (775 milliards de dollars sur deux années) est peut être sur-calibré. Mais, en en faisant trop, il écarte les scénarios du pire. En Europe continentale, les gouvernements cherchent encore à faire au plus juste. En voulant ne pas trop engager les finances publiques, ils relancent prudemment mais chichement, en risquant de voir la situation leur échapper. En comptant sur leurs voisins, ils essayent d’être le passager clandestin de la relance. Cette stratégie ne conduira qu’à concrétiser le pire.

Autrice

Xavier Timbeau (1991)

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