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09 octobre 2008

Régulation des communications électroniques : quels services universels ?

Publié par Isabelle Kabla-Langlois (1992), Chef du service économie et prospective, ARCEP | N° 34 - Les métiers de l'environnement

La libéralisation du secteur des télécoms s’est d’emblée accompagnée de garanties, définies au niveau communautaire, relatives à l’accès universel à un ensemble minimal de services de télécommunications, au premier rang desquels l’accès au service téléphonique fixe. Si l’intervention publique a permis l'extension géographique de ces services à prix abordables, les situations d’exclusion sociale sont difficilement résolues par le marché et le régulateur. Vers des aides ciblées, étendues à l’ensemble des services majeurs des communications électroniques (téléphonie fixe, mobile et haut débit) ?

Selon les termes de la Commission :

« La définition et la garantie d’un service universel permettent le maintien pour tous les utilisateurs et tous les consommateurs de l’accessibilité et de la qualité des services pendant le processus de passage d’une situation de prestation de services sous monopole à celle de marchés ouverts à la concurrence. Le service universel, dans un environnement de marchés des télécommunications ouverts et concurrentiels, se définit comme un ensemble de services d’une qualité donnée auquel tous les utilisateurs et les consommateurs ont accès compte tenu de circonstances nationales spécifiques, à un prix abordable».


Les origines européennes du service universel

Les justifications d’un service universel trouvent à leur source des objectifs sociaux et d’aménagement du territoire. Bien que la libéralisation soit anticipée comme globalement bénéfique, elle est susceptible de s’accompagner d’un défaut de mise à disposition de certains services pourtant jugés socialement indispensables. Certaines zones géographiques sont susceptibles d’être incorrectement couvertes ou d’être pénalisées par une tarification plus élevée.
C'est en particulier le cas pour l’accès au réseau téléphonique public fixe. Suite à la libéralisation, la péréquation tarifaire pratiquée par l’ex-monopole, de manière à assurer un prix uniforme de raccordement de l’utilisateur au réseau téléphonique public, est susceptible de laisser la place à une tarification prenant directement en compte les coûts spécifiques, potentiellement très différenciés, engendrés localement par le raccordement.
Ce phénomène est amplifié par le positionnement naturel des nouveaux entrants sur un marché, tentés « d’écrémer » le marché en s’adressant en priorité aux segments de clientèle les plus rentables, qui subventionnaient jusque là les segments les moins rentables ou non rentables. Au moment de la libéralisation, il a été jugé que cette déficience potentielle du marché appelait une intervention publique sous la forme de la mise en place d’un « service universel ».

Le périmètre du service universel a été d’emblée défini au niveau européen. Les textes communautaires définissent explicitement les services concernés et imposent aux Etats membres leur mise à disposition sur l’ensemble du territoire, à un niveau de qualité spécifique et à un prix abordable, la notion d’ « abordabilité » devant être appréciée nationalement.
Les Etats membres restent maîtres de déterminer l’approche la plus efficace et la plus adaptée de mise en œuvre. Leur choix peut se porter, ou non, sur la désignation d’opérateurs chargés spécifiquement de fournir les offres nécessaires. Un mécanisme de compensation financière peut ou non être instauré et ce mécanisme peut être assis sur des fonds publics ou sur un fonds sectoriel.
Les Etats membres sont néanmoins tenus, dans les options qu’ils retiennent, au respect des principes d’objectivité, de transparence, de non discrimination et de proportionnalité. En outre, s’ils sont autorisés à étendre le service universel au-delà du périmètre fixé au niveau européen, aucun financement par un fonds sectoriel n’est permis pour les services additionnels insérés au niveau national.

Le périmètre du service universel

Un socle minimal a été défini au niveau européen et s’impose aux Etats membres Il comporte trois ensembles de services :
 premièrement, la fourniture d’un service téléphonique de qualité à un prix abordable ; ce service doit assurer le raccordement ainsi que l’acheminement des communications téléphoniques et par télécopie, mais aussi, depuis une évolution intervenue dans le droit communautaire en 2002 transposée en droit français en 2003, l’accès à internet à bas débit;
 deuxièmement, un service de renseignements, un annuaire papier et un annuaire électronique ;
 troisièmement, l’accès à des cabines téléphoniques publiques. Des mesures particulières en faveur des personnes handicapées doivent être mises en œuvre pour faciliter leur accès à chacune de ces trois composantes.

La directive européenne rajoute à ce socle minimal la faculté, pour les Etats membres, d’instaurer des mécanismes d’aides financières ciblées en faveur des personnes les plus démunies, de manière à éviter des phénomènes d’exclusion relative à l’accès au service téléphonique public. Cette voie a été suivie en France et un tarif social, dont peuvent bénéficier les titulaires de certains minima sociaux, mis en œuvre à partir de 2000.

Le périmètre du service universel ainsi décrit recouvre donc une universalité à trois niveaux.
Une universalité dans sa définition à l’échelon européen, dans la mesure où l’ensemble des pays membres de l’Union européenne sont tenus de garantir un ensemble minimal identique de services sur leur territoire selon des critères minimaux similaires.
Une universalité en termes de couverture géographique, puisque s’impose la prohibition de toute exclusion géographique dans la mise à disposition des services concernés.
Une universalité, enfin, dans la dimension sociale, puisque le prix de ces services doit être abordable sur l’ensemble du territoire, et que, si cette voie est choisie, la mise en place additionnelle d’un tarif social pour l’accès au téléphone permet, en abaissant le prix d’un tel service, de rétablir les incitations des personnes les plus démunies à en disposer.

Le financement du service universel

Le financement du service universel est assuré en France à travers un fonds sectoriel, auquel contribuent les opérateurs actifs sur le marché des communications électroniques sur la base de leur chiffre d’affaires. Pour éviter toute distorsion, le (ou les) opérateurs en charge d’assurer les prestations de service universel, à ce jour France Telecom , contribue au même titre que les autres opérateurs.
Le calcul de la compensation financière est fondé sur le concept de « coût évité ». Cela correspond à la charge que le prestataire éviterait s’il n’était pas tenu par l’obligation de fournir le service universel : l’écart entre les recettes retirées de la vente du service et les coûts de fourniture.
S’agissant de la fourniture d’un accès sur l’ensemble du territoire, l’évaluation se fonde sur un découpage du territoire en zones rentables et non rentables. Les zones rentables étant soumises à une pression concurrentielle effective, le principe est de compenser le prestataire pour l’ensemble des charges nettes calculées sur les zones non rentables, sans prendre en compte les profits réalisés sur les zones rentables.
Les transferts financiers entre opérateurs organisés par ce mécanisme n’ont pas été accueillis sans protestation et les batailles juridiques sont continuelles.

Le service universel est resté étonnement invariant depuis les débuts de la libéralisation du secteur des communications électroniques. L’adjonction du bas débit n’a pas modifié, dans les faits, les obligations d’accès du service universel, l’accès au bas débit étant assuré en conséquence de celui au service téléphonique fixe.
Deux questions viennent immédiatement à l’esprit : quelles sont les raisons qui expliquent le maintien de l’ensemble de ces composantes, alors que la concurrence s’est considérablement développée notamment en matière de téléphonie fixe ? A l’inverse, comment expliquer que la téléphonie fixe soit restée le seul segment couvert par le service universel, et que ni la téléphonie mobile, ni l’accès à internet haut débit, n’aient été insérés dans son périmètre ?

Le service universel : une extension de la téléphonie fixe à la téléphonie mobile ?

La libéralisation s’est traduite par de considérables investissements, de la part de l’ensemble des acteurs, dans le déploiement de réseaux. A mesure que les investissements de l’opérateur historique ont été amortis, le montant de la compensation versée au titre de la péréquation géographique s’est nettement réduit. Au cours des dernières années, il n’atteignait plus que quelques millions d’euros lors des dernières évaluations .

La question de l’extension à la téléphonie mobile est plus complexe. Il est clair que, comme pour la téléphonie fixe, il existe des zones potentiellement non couvertes car non rentables. La densité de population utilisatrice du service sur un territoire donné conditionne en effet les revenus qui en sont attendus et le déploiement d’un réseau s’avère d’autant plus difficile que la zone couverte est peu dense.
Par ailleurs, si la téléphonie mobile est dans un premier temps apparue comme un produit de luxe, elle s’est rapidement imposée comme un outil de communication quasiment incontournable. Près de 80% des personnes de plus de 18 ans disposent d’un téléphone mobile personnel. Risque de couverture géographique insuffisante et caractère essentiel du service : l’inscription de la téléphonie mobile dans le service universel aurait pu apparaître aller de soi.

Note édit: mettre en exergue format illustration: « comment expliquer que la téléphonie fixe soit restée le seul segment couvert par le service universel, et que ni la téléphonie mobile, ni l’accès à internet haut débit, n’aient été insérés dans son périmètre ? »

Mais c’est assez logiquement, en réalité, qu’une telle extension du service universel à la téléphonie mobile n’a pas eu lieu.
D'abord, les ressources spectrales nécessaires au déploiement d’un réseau mobile sont des ressources rares et la procédure de délivrance des licences d’utilisation de ces ressources peut, parmi divers critères de sélection, comporter un critère de couverture. Il est donc loisible aux Etats membres de recourir à ce biais pour favoriser le développement de la couverture de leur territoire. En France, des obligations de couverture ont été imposées dans les procédures d’attribution des fréquences pour la 2G puis pour la 3G. En complément, la couverture des zones « blanches » (non encore couvertes) a fait l’objet, en 2003, de conventions quadripartites Etat/Collectivités/ARCEP/Opérateurs de manière à assurer la couverture de 3000 centre-bourgs additionnels. Cette extension de couverture a par la suite été inscrite dans les licences des opérateurs renouvelées en 2006. Grâce à ces obligations, chaque opérateur doit ainsi couvrir plus de 99% de la population, incluant le centre-bourg de chaque commune.
Ensuite, le risque qu’un opérateur pratique une tarification liée à la zone géographique est limité. Le raccordement étant assuré en mobilité, il est impossible de relier la tarification à une adresse géographique. Une tarification différenciée des communications selon leur origine géographique paraît également complexe, peu appropriée en termes de marketing et n’a quasiment pas été observée dans les faits.
Enfin, les déploiements de réseaux ont dès l’origine été conduits en France (mais la situation est assez semblable dans les autres pays européens ) par deux opérateurs en concurrence, rejoints par un troisième quelques années plus tard. L’un des vecteurs majeurs de la communication des opérateurs a porté sur la qualité de couverture de leur réseau.

Vers une inclusion de l’internet à haut débit dans le service universel ?

L’inclusion de l’internet à haut débit dans le service universel constitue une problématique encore différente. L’accès au réseau internet à bas débit tend à devenir une modalité marginale de connexion. Les données publiées par l’ARCEP montrent la transformation relativement rapide des abonnements à bas débit des internautes par des abonnements à haut débit, en même temps que le choix massif en faveur du haut débit de la part des primo-accédants. Fin 2007, 9% des abonnements internet étaient des abonnements à bas débit. Dans ces conditions, il paraît logique de s’interroger sur la pertinence du maintien d’une obligation relative au bas débit dans le service universel et de concevoir qu’il serait plus approprié de lui substituer une obligation relative au haut débit.

Ce sujet demande en réalité de bien peser la signification du service universel et du rôle qu’on lui assigne. Ne s’agit-il pas d’offrir une garantie de disponibilité d’un service, jugé indispensable, à tout citoyen et de parer à toute difficulté d’accès à ce service, qu’elle soit liée à son lieu d’habitation, à son niveau socio-économique ou à des handicaps qui entraveraient son usage ? A ce jour, l’accès à internet est bel et bien possible sur l’immense majorité des lignes résidentielles, la couverture de 98,3% de la population en ADSL étant assurée. Les limitations d’accès qui s’observent semblent plus d’ordre économique, les ménages étant d’autant plus faiblement équipés que leur revenu est peu élevé.

En termes techniques, les équipements actifs indispensables à l’ADSL (les « dslam ») ont été déployés par les opérateurs dans l’ensemble des quelques 13 000 répartiteurs du réseau de l’opérateur historique, points primaires de regroupement des lignes téléphoniques à partir desquels les différents opérateurs peuvent opérer une interconnexion vers le réseau internet (opération qui, pour les opérateurs alternatifs, prend le nom de dégroupage ). Seules les lignes dont la longueur est en moyenne supérieure à 4,5 km ne sont pas éligibles. Elles représentent moins de 2% des lignes fixes et les investissements nécessaires pour les rendre éligibles seraient prohibitifs. Ceci appelle trois remarques.

(nota: ne pas mettre la liste suivante en format puce)

1- S’il fallait introduire le haut débit dans le service universel, il faudrait favoriser des alternatives à l’ADSL (sans fil, satellitaire, etc.) dans les zones où l’extension de cette technologie apparaît très coûteuse. Pour que ces alternatives contribuent au service universel, il convient toutefois de ne pas imposer des normes de qualité prohibitives.

2 - Si l’objectif est d’accroître l’universalité effective et non son universalité potentielle, cibler les poches d’exclusion liées au niveau socio-économique ou à l’âge des individus sera plus efficace que de se concentrer sur les difficilutés physiques de connexion déjà évoquées. A financement égal, un tarif social du haut débit est susceptible de favoriser sa diffusion d’une manière bien plus importante qu’une obligation de couverture exhaustive du territoire.

3 - Il convient de veiller à ne pas perturber la vigueur de la concurrence en matière de haut débit: on observe en France des prix particulièrement faibles à la lumière des comparaisons internationales. Les déploiements de réseaux consentis par les opérateurs alternatifs pour procéder à des connexions au plus près de l’abonné se sont accompagnés d’une stratégie offensive en matière de tarification, d’innovation technologique et marketing (offres triple play).
Les collectivités territoriales sont, elles aussi, parties prenantes pour favoriser les déploiements de réseaux alternatifs, en particulier en zones peu denses. Les disparités en matière de coûts n’ont pas empêché le développement rapide d’offres concurrentes sur l’ensemble du territoire, assises ou non sur des accès dégroupés, à des tarifs que les opérateurs ont choisi de ne pas différencier géographiquement.
La dynamique concurrentielle vertueuse qui a été enclenchée repose sur l’initiative et la capacité d’innovation des entreprises sur ce marché, encadrées par une régulation tarifaire et technique finement ajustée, et relayées par des initiatives locales complémentaires. Elle est susceptible de rompre si devait être soudainement instauré un mécanisme de transferts financiers du type de celui mis en œuvre dès l’ouverture de la concurrence pour la téléphonie fixe.

D’autres évolutions sont elles souhaitables ?

D’autres questions mériteront nécessairement d’être examinées à court ou moyen terme. L’introduction de la concurrence sur les services de renseignement et la place prépondérante occupée sur ce marché par un acteur qui n’est pas le fournisseur du service universel de renseignement, militeraient-elles pour la suppression du service universel de renseignement téléphonique ?
Une autre question, plus délicate probablement, concerne la permanence des obligations légales imposées en la matière à ce jour alors que la diffusion du téléphone mobile rend ces équipements progressivement de plus en plus déficitaires et de moins en moins indispensables.

La dimension sociale du service universel est aujourd’hui la plus pertinente, le mode d’intervention publique ayant permis l'extension géographique de ces services à prix abordables. Les situations d’exclusion sociale sont difficilement résolues par le marché et le régulateur. Des aides ciblées, étendues à l’ensemble des services majeurs des communications électroniques (téléphonie fixe, mobile et haut débit) peuvent apparaître particulièrement appropriées. Une réduction tarifaire universelle, d’un montant significatif au regard de la facture, neutre technologiquement, est peut-être l’avenir du service universel des communications électroniques.

Autrice

Isabelle Kabla-Langlois (1992), Chef du service économie et prospective, ARCEP

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