Carnet

Pierre Mathoulin
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15 décembre 2021
Pierre MATHOULIN

Décès - Hommage à Pierre MATHOULIN

Nous vous avons déjà informés de la triste nouvelle du décès de Pierre Mathoulin (ENSAE 1985) le 15 août dernier.  Nous souhaitons aujourd’hui partager avec vous l’hommage émouvant que lui a rendu son ami Philippe Mouttou lors d’une cérémonie organisée récemment à sa mémoire. Ce texte de discours très personnel rend bien compte de la personne qu’était Pierre Mathoulin, mais il illustre également un parcours de devoir et d’engagement, notamment auprès d’ENSAE Alumni et de l’Association des Actuaires, dont Pierre a été longtemps Trésorier. Nous vous invitons en parallèle à consulter la reprise par variances.eu d’un entretien avec Pierre sur son métier d’actuaire, dont les messages sont toujours largement d’actualité.  

Hommage à Pierre Mathoulin (1962-2021)

Par Philippe Mouttou

Pierre nous a quitté dans la nuit du 14 au 15 Août 2021, il avait 59 ans.

Nous rencontrons dans nos vies de femme, d’homme, beaucoup de personnes, nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui seront des relations, copains, copines, camarades, amis, proches ; et il y a aussi celles et ceux, qui, pour moi, se comptent sur les doigts d’une main, peut-être de deux, il y a celles et ceux à qui nous choisissons de donner le substantif d’amis fidèles. Cette amitié chaleureuse, humble, sage et miséricordieuse qui rend ceux qui l’exercent tout simplement heureux. Simplement heureux de partager et fier de se connaître en harmonie.

Mon chemin a croisé celui de Pierre, il y a 39 ans, nous avions 20 ans, un jour de septembre 1982, nous sommes entrés ensemble à l’ENSAE. Nous en sommes sortis également le même jour, diplômés la même année, 1985. Pendant trois ans, nous avons appris à nous connaître, à nous côtoyer, mais je dois vous l’avouer, si ce jour de septembre 1982 on m’avait dit que Pierre serait l’un de mes plus proches amis pour les 39 années qui allait suivre – je vous aurais, sans aucun doute, dit « Jamais ».

Car tout nous séparait, il était à cette époque-là, aussi prolixe que j’occupais l’espace. Il était à l’aise partout et avec tout le monde, allait au restaurant, au musée, au cinéma, avait une énorme culture générale, était un puits de science et de connaissance, il respirait l’intelligence et était un excellent élève, vous savez une tête de promotion. Il votait Valéry Giscard d’Estaing, je votais François Mitterrand. Je mangeais au MacDo – Pierre n’a jamais mis les pieds dans un fastfood avec moi, et bien des années plus tard, je ne suis pas vraiment sûr que ce ne soit jamais arrivé – je faisais énormément de sport, Pierre n’était pas spécialement un grand sportif, et pourtant peu le savent, il était un skieur émérite, exceptionnel de classe et de talent, il passait sur toutes les pistes, ne tombait jamais, je n’avais jamais fait de ski. Je jouais au baby, au flipper, j’étais un suppôt de cafétéria, Pierre n’était rien de tout cela.

Je me demande, ce qui nous a rapproché, ou encore qui nous a rapproché. Je ne sais pas.

Pierre est né le 4 Avril 1962, il a vécu toute son enfance à Manosque, il était un enfant curieux de tout, et il aimait à me raconter Manosque et Barcelonnette, sa proximité avec ses grands-parents, ses voyages avec ses parents, ses chamailleries avec sa petite sœur. Il est parti de Manosque pour aller faire ses classes préparatoires au Lycée Thiers à Marseille, après un baccalauréat C obtenu évidemment avec brillance, marquant tous ses professeurs ; Simone, sa petite sœur, me l’a dit, pas facile de lui succéder dans cette scolarité-là. Il m’a toujours dit que ces années de prépa l’avaient profondément marqué, durement, solitude, distance de ses proches, changement de vie, compétition, peu de réelles relations.

A l’issue de ses concours, il avait réussi l’ENSAE, et choisit l’ENSAE.

Son érudition avait aidé dans le choix de cette école un peu iconoclaste de l’époque dans le paysage des Grandes Ecoles Scientifiques Françaises, imaginez donc un oral de Français de 4 heures, trois heures de préparation et une heure d’oral… à égalité avec une épreuve de Maths, cela dénotait vraiment.

Pierre était comme un poisson dans l’eau à l’ENSAE, et surtout il y a rencontré Jean Luc Lipatz, polytechnicien, administrateur de l’INSEE, jeune chargé de travaux dirigés d’informatique, passionné de micro-informatique et du monde Apple. Pierre et Jean Luc ont modelé et crée le club informatique de l’ENSAE, ils y ont beaucoup construit et … joué… de Wizardry à Load Runner et j’en passe… C’est aussi à l’ENSAE que Pierre a croisé Michel Piermay, son responsable de Groupe de travail en 3ème année, avec qui il fondera plus tard Fixage. Pierre a construit pendant trois ans, comme tout au long de sa vie, pour beaucoup d’associations où il s’est investi, de l’institut des actuaires, des diverses associations d’actuaires aux associations philatélistes, à l’association des anciens élèves de l’ENSAE à la présidence de l’association des musiciens en Lozère créée par un de ses amis musicien.

 

Pierre a bâti, Pierre était un bâtisseur. Pas un bâtisseur flamboyant, de ceux qui rayonnent, non Pierre était de ces bâtisseurs de l’ombre, de ceux qui font, tout simplement, et par qui tout arrive et ne sont pas sous les feux de la rampe. C’était un architecte, ceux qui construisent et imaginent, plus encore que ceux qui savent rapporter des plans. En trois ans à l’ENSAE, il a bâti au BDE, à la Junior Entreprise, au club Micro-informatique. Il y a été un bâtisseur actif, et presque jamais en première ligne.

Nous étions à l’époque des camarades de promotion, nous avions très peu d’activités communes, notre intérêt commun pour l’informatique nous rapprochait, mais cela faillit nous séparer à jamais… Nous nous sommes affrontés pour la présidence du club micro-informatique de l’Ecole, avec des points de vue à la fois technique et d’organisation totalement divergents, j’étais D.O.S, il était Mac, j’ai perdu de deux voix (il y avait huit électeurs), j’en avais à l’époque ressenti beaucoup de tristesse et d’injustice, voire de colère, sa candidature de dernière minute m’avait semblé une vraie trahison. Nous en avons discuté, bien des années plus tard, 21 ans plus tard, un soir en 2005 chez lui, il m’avait alors dit, avec son ironie et son humour décapant tout personnels, que comme bon nombre de socialistes, j’avais très jeune cru qu’on pouvait gagner les élections sans faire campagne, seulement sur sa propre image et sur des convictions…  

J’aurais dû remercier Pierre de cette défaite, elle m’a libéré de beaucoup d’engagements, de contraintes. Et c’est une autre des grandes qualités du Pierre que je connaissais, aucun engagement n’était pour lui une contrainte, c’était l’occasion d’exercer son devoir, de se mettre au service des autres, de leur apporter un certain bonheur et cela Pierre y tenait plus que tout.

Je crois que je n’ai plus parlé à Pierre pendant des semaines. Nous nous sommes retrouvés grâce à des camarades communs progressivement et surtout, en sortant de l’école, car nous avons tous les deux fait notre service militaire en décalé d’un an après notre sortie d’école, la 86/08. Nous nous sommes donc retrouvés à travailler alors que nos camarades partaient faire leur service militaire. Cela nous a rapprochés.

Pierre était aussi actuaire. Il a été un des premiers élèves de l’école à initier sous la férule de Michel Piermay, Pierre Simonet et Patrick Artus, la filière des actuaires diplômés de l’ENSAE, ou les ENSAE diplômés de l’actuariat.  Il avait choisi le monde de la finance et de l’actuariat, il en a été, partout où il est passé, un grand serviteur – de Cardif à la Mondiale, à la société Fixage dont il a été un fondateur, tous ont reconnu et reconnaissent son immense professionnalisme. Là aussi il a bâti, il a été un des premiers à voir l’efficacité des outils de programmation avancée, dans le décryptage ou l’organisation des données, pour bâtir des outils efficaces d’aide à la décision.

Ce sont aussi sans doute ses choix très loin des miens qui paradoxalement nous ont rapprochés, il avait aussi établi cette tradition de la soirée de nouvel an, accompagné de son omelette à la truffe. Car Pierre était aussi un homme des traditions et un fin gourmet, il aimait ses temps de partage. Sa passion de la musique classique qui l’a entraîné pendant des années au festival de Salzbourg, faisait partie de ses temps de partage et de tradition. Pendant des années, également, de 1985 à 2003, nous avons souvent passé nos premiers de l’an ensemble, c’était notre tradition.

Pierre était donc un homme de Devoir, Engagement et Tradition.

Pierre avait deux autres qualités, qui ont été le ciment de notre amitié ; il était fidèle et juste. Sa fidélité, je l’ai connue tout au long de notre vie commune. Pierre ne m’a jamais oublié, il prenait des nouvelles tout le temps, il s’attachait à savoir mais ne cherchait pas à comprendre, et surtout il ne jugeait jamais. Il était fidèle simplement. Il savait soutenir, mais il savait aussi dire les mots que seul un ami fidèle peut dire, sans se fâcher. Pierre mettait, avant toute chose, la sincérité de son cœur dans la balance. Pierre a vécu des moments qui l’ont fait chanceler, le décès de son père en a été un, je l’ai vu changer profondément. Des évènements plus récents l’ont fait chanceler de la même manière. Sa volonté profonde de parler d’abord avec son cœur et sa fidélité ont toujours été là.

Pierre était un homme juste. On pourrait en donner beaucoup d’exemples, et je laisse chacun d’entre vous, qui l’avait connu, retrouver celui qui vous consacre avec lui à la lecture de ces quelques mots. Je vais vous donner le mien. Un divorce est un temps difficile pour tous, il crée de la distance entre deux personnes dans ce monde, il est dans nos mondes modernes, une source de tristesse dans les familles, et il n’est pas rare de voir les amis, les proches se perdre dans un déséquilibre qui n’est pas le leur. Pierre avait son opinion sur mon divorce, mais Pierre ne m’en a jamais parlé, jamais. Pierre est le seul de mes amis proches qui a conservé des relations avec mon ex-épouse et moi-même à égalité de partage, avec équité. Il avait choisi l’harmonie et exerçait l’arbitrage profond des contraires. C’était un homme juste, pas de cette justice qui règle le monde, mais bien celle qui fait les justes de ce monde.

Enfin Pierre aimait plus que tout, ses proches. Pierre était très proche de ses grands-parents, ses parents, sa sœur, son beau-frère, Pierre, célibataire endurci, n’avait pas d’enfants, mais un neveu et des filleules, tous étaient une part de son engagement et surtout de son amour, certes son ironie et sa faconde pouvaient troubler dans sa manière de parler, mais là encore c’était son cœur qui parlait d’abord et avant tout… Sa famille, ses racines, ses proches, c’était ce socle qui faisait de lui ce qu’il était. 

Je pourrais vous parler pendant des heures des nombreux souvenirs communs que j’ai avec Pierre, de soir de raclette mémorable, de ses déménagements épiques, de sa première grande télé, de ses ordinateurs, de nos passions automobiles et de bien d’autre chose, de cette finale de coupe du monde de rugby 2007 Angleterre-Afrique du Sud, que son incroyable générosité nous a permis de vivre ensemble au Stade de France, car Pierre était aussi profondément généreux.

Pierre était un homme d’engagement, de devoir, de fidélité, de tradition et d’amour. Pierre était ce que nous cherchons toutes et tous à être, une femme ou un homme, simplement, juste, humble et miséricordieux, symboliquement un Chevalier, un Prince à défaut d’être un Roi.

Je me suis demandé au début de ces quelques mots, ce qui nous avait rapprochés ; je le sais aussi maintenant, c’est toi, Pierre qui nous a rapprochés, par qui tu étais tout simplement, et sans aucun doute, qui tu étais pour nous tous, qui t’avons connu, certainement, tu étais une belle lumière, pas flamboyante qui éblouit, mais une lumière sincère, brillante et profondément charismatique, celle de cette espérance qui guide les hommes au travers les ténèbres.

Tu étais Pierre et sur cette pierre nous nous sommes tous, qui t’avons connu, un peu construits. C’est à la croisée des chemins, de l’horizontale et de la verticale, entre le comment et le pourquoi, que naît la Rose Rouge, symbole de l’amour des hommes, l’amour entre les hommes, « L’essentiel est invisible pour les yeux » disait Saint Exupéry, dans le Petit Prince ; Pierre, tu nous manques tous les jours.

Philippe Mouttou.

 



1 Commentaire

François DUMOT (SEA, 1986)
Il y a 2 ans
Je me souviens bien de Pierre, personnalité originale et attachante. C'est vrai que, à la suite de Michel Piermay si je me souviens bien, il a vraiment cru à l'actuariat comme métier d'avenir et travaillé à développer les perspectives en ce sens.

Une pensée pour toi, Pierre

François Dumot (SEA 86)

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