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17 avril 2007

De passage à Jérusalem un jour d’élection

Publié par Stéphane Jugnot (1998) | N° 28 - Ressources Humaines, Richesse Humaine

Stéphane Jugnot (1998) a assisté comme observateur aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006 à Jérusalem. Il nous rapporte son expérience, et son point de vue tout à fait personnel.


« Dans quelques instants, nous allons atterrir à l’aéroport Ben Bellah de Tel Aviv … ». Sous le sourire des passagers, le commandant de bord peut s’emmêler dans ses voyages et ses souvenirs ; quoi qu’il arrive, c’est bien à l’aéroport Ben Gourion que le touriste qui se rend à Jérusalem touche terre. S’il ne voyage pas en groupe, sans famille à qui rendre visite sur place, il aura à expliquer à plusieurs reprises ce qu’il vient faire ici, pourquoi ici plutôt qu’ailleurs, dans quels hôtels il envisage de loger, il devra citer quelques curiosités touristiques qu’il compte visiter, dire s’il à un guide de tourisme dans son sac, s’il a fait des marques sur ce guide.
- Qu’est-ce que vous voulez voir là – montrant Mea Shearim - là où vous avez fait une croix sur le plan ?
- Des juifs du XIXe siècle.
- Allez-y !

A quelques jours des élections législatives palestiniennes, l’aéroport est désert. C’est la fin d’après-midi, un vendredi. Le Sabbat a commencé. Aucun bus pour Jérusalem. Reste les sheruts pour gagner la ville Sainte.

En arrivant dans la veille ville la nuit tombée, un vendredi soir sous la pluie, près de la porte de Damas, l’atmosphère est presque sinistre. Les boutiques sont fermées. C’est vendredi, jour de prière pour les musulmans. Le ciel est triste, les murs sont sombres. Une colonne de juifs ultra-orthodoxes de retour du Mur remonte vers ses quartiers, les femmes en robe ou jupe longue, un foulard sur la tête, les hommes barbus sous un grand manteau noir, petit chapeau assorti ou grande galette de fourrure, protégée par un plastique. Franchi la porte, le souk Khan El-Zeit est désert, l’eau ruisselle sur le sol pavé. A trois ou quatre cents mètres, le gardien musulman du Saint Sépulcre ferme les portes de la basilique. Une petite lumière blafarde annonce l’hôtel. Quelques marches à monter. Là, derrière son comptoir, un jeune barbu, en tunique blanche, attend le client d’un air qui ne vous met pas à l’aise. Welcome to Jerusalem…

Welcome to Jerusalem

Une fois le soleil revenu, les commerces ouverts, il n’y a pas foule dans les rues, mais tout de même assez de vie pour satisfaire le touriste qui déambule dans les vieilles ruelles et marche sur les toits. Au dessus des maisons de pierre jaune, sur l’esplanade des Mosquées, les céramiques bleues du Dôme du rocher se détachent devant le Mont des Oliviers. S’il se lève à 5 heures du matin, le touriste courageux pourra profiter de l’office arménien, une poignée de moines, en robe noire et capuche pointue, chantant de leurs voix graves dans leur cathédrale désertée.

Dans l’après-midi, le touriste curieux verra une colonne de Franciscains traverser la ville pour se rendre au Saint-Sépulcre. Il les suivra dans leur procession vers la basilique, suivi par les Arméniens maintenant en grande tenue, l’orgue des uns couvrant presque les chants des autres. A toute heure, il pourra aller au « mur occidental », que les Français disent « des lamentations », où une petite foule s’affère par petits groupes face au mur ou autours de tables.

Le touriste fera sa tournée des hauts lieu du christianisme : le Golgotha, le Tombeau du Christ, celui de la Vierge, le Rocher de l’Ascension,… Si la sacralité des lieux lui échappe, il s’étonnera peut-être de leur noirceur et de leur encrassement, comme de l’amoncellement de lampes et d’icônes qui rappellent que l’Eglise catholique n’a pas la haute main sur eux. En marchant dans la ville, le touriste attentif remarquera peut-être que l’atmosphère change d’un quartier à l’autre : les souks deviennent boutiques éparses, les rues ont l’air plus propres, les badauds ne sont plus les mêmes.

S’étonnera t-il des soldats en armes qui gardent les portes de la veille ville emmurée et filtrent les entrées de l’Esplanade des Mosquées ? Aura-t-il vu qu’en quittant la navette de l’aéroport pour franchir les murailles, il a quitté Israël pour entrer dans les territoires occupés ? Peut-être apprendra t-il au cours de discussions comment les autorités d’occupation grignotent peu à peu les immeubles de la cité, empêchant les uns d’acheter et de construire, autorisant les autres à le faire, détruisant les constructions « illégales » des uns, fermant les yeux sur celles des autres ?

Le touriste, probablement sans même s’en rendre compte, franchira sans doute la frontière pour profiter des richesses du musée d’Israël et pour se recueillir dans l’émouvant musée de Yad Vashem, qui entretient le souvenir des crimes nazis. Non loin de là, rien n’évoque le massacre d’une centaine de palestiniens dans le village de Deir Yassin, le 9 avril 1948, par l’Irgoun et le Lehi. Parmi les responsables, Menahem Begin, futur premier ministre d’Israël.

Fatah et Hamas

Nous sommes en janvier 2006, à l’approche des élections législatives palestiniennes. Des affiches électorales se battent en duel sur la porte de Damas - celles du Fatah, le Hamas étant interdit de campagne par les autorités d’occupation. A vingt minutes à pied de là, quelques jours avant les élections, l'hôtel Ambassador accueille une conférence de presse organisée par la Coalition pour Jérusalem, rassemblement d’ONG et de personnalités (dont Hind Khoury future représentante de la Palestine en France,), pour réclamer un déroulement normal des élections à Jérusalem.

Tout a pourtant mal commencé. Suite aux pressions des forces d’occupation, seuls 7000 électeurs ont pu s'enregistrer, c’est bien peu pour un corps électoral estimé à plus de 125 000. Ils ne pourront pas voter dans des « bureaux de vote » mais devront se rendre dans des « bureaux de poste » : à la poste centrale près de la Porte de Damas, et dans des « postes » provisoires, cabanes de chantier réaménagées, posées çà et là.

Pas de responsables de bureaux de vote mais des guichetiers des postes israéliennes. Le dépouillement n’aura pas lieu sur place. Plusieurs candidats ont déjà été arrêtés épisodiquement pour empêcher la campagne électorale. Les affiches sont interdites, sauf celles du Fatah. Toutes les têtes de liste en lice dans la circonscription sont là. Au centre, un barbu à l’air grave autour de qui tout semble tourner.

Le lendemain, dans un grand hôtel de Ramallah, le programme des Nations Unies pour le développement accueille les observateurs internationaux pour leur rappeler les règles du vote et les points à bien vérifier, non que le PNUD supervise – il y a une instance officielle palestinienne pour cela – mais il appuie, fournissant drapeaux et brassards mauves pour les voitures et les observateurs, assurant une hot line en cas de difficultés, incitant les uns et les autres à se coordonner pour couvrir tout le territoire, offrant un bon petit déjeuner avant son briefing.

Les Canadiens sont de loin les plus nombreux, l’Union européenne de loin la plus cocardière. Il est vrai qu’elle a un rôle de choix : superviser le vote à Jérusalem, suivre les urnes – ou les sacs de lettres, selon le point de vue – les accompagner au centre de dépouillement et contrôler le décompte. Pour aller et revenir de Ramallah, il faut franchir le Mur, l’autre. Le passage de check point de Kalandia est particulièrement impressionnant : une cohue de voitures, de camions, de bus, d' hommes, de femmes et d’enfants qui s’agglutinent des deux côtés, dans un nuage de poussière, de détritus et de gaz d'échappement. Il faut franchir une succession de tourniquets qui fonctionnent au gré des soldats. Sur un grille métallique non loin de là, un taggeur a inscrit "Arbeit macht frei", cruel rapprochement.

Tant pis pour le secret du vote

Jour de vote, à la poste principale. L'ouverture se fait en de présence de Jimmy Carter, dont la fondation est très active. Il y a foule jusqu’à l’extérieur. Des vigiles filtrent les entrées pour limiter la queue aux guichets. Chaque employé restera 9 heures d’affilée à son poste, et prendra en charge 500 inscrits. A la poste principale, sept guichets sont ouverts pour les opérations de vote. Deux autres sont ouverts pour les opérations postales, pour renforcer la symbolique du vote par correspondance voulue par les forces d’occupation puisque quoi qu’il en soit, aujourd’hui, seuls les électeurs peuvent entrer dans la poste.

Une fiche tient lieu de carte d'électeur. Le vote au guichet entraîne une longue attente. Il n’y a pas d’isoloir. L’électeur avance, tend sa fiche. Le guichetier vérifie le talon. Il encre le doigt de l’électeur. Il tend les deux bulletins, l’un pour le scrutin par nom, l’autre pour le scrutin par liste. L’électeur hésite devant lui, coche devant lui, souvent à côté d’une photo triste et d’un croissant vert. Tant pis pour le secret du vote. Il glisse ensuite les bulletins dans des enveloppes avec une adresse imprimée, les tend au guichetier qui les place dans des boîtes. Au moins 2 à 3 minutes par personne, soit de 20 à 30 votants par guichet et par heure, donc 240 à 360 sur les 12 heures prévues pour voter… pour 500 inscrits.

Pendant ce temps, les observateurs entrent et sortent. Devant la poste, des candidats passent, les tracts continuent de se distribuer, certains tiennent meeting ; mais l’ambiance est plutôt calme.

Le lendemain, la presse annonce la victoire du Hamas. Jimmy Carter note que “The elections were completely honest, completely fair, completely safe and without violence". Un débriefing à Ramallah toujours sous les auspices du PNUD arrive aux mêmes conclusions – sauf pour Jérusalem du fait des conditions de vote imposées.

Les Palestiniens rencontrés ne sont ni inquiets, ni déçus, ni résignés. Ils se disent que les Israéliens refusaient déjà de discuter avec le Fatah, que le Fatah est corrompu, qu’il y a plus à craindre des luttes internes au Fatah, entre les jeunes et les anciens.

La presse israélienne diffuse un sondage effectué avant l'annonce de la victoire du Hamas : 48 % des Israéliens se disent favorables à un dialogue avec un gouvernement palestinien dominé par le Hamas, 43 % y étant hostiles.

Une campagne pour rompre toutes relations avec le futur gouvernement, qui sera pourtant démocratiquement élu, commence au plus haut niveau, menée au nom de la lutte contre le terrorisme.

Déjà dans les années trente et dans après-guerre, des bombes explosaient sur les marchés, dans les bus, dans les trains (à l’initiative, pendant ces années, de l’Irgoum et du groupe Stern). Depuis, quel que soit le côté vers lequel on se tourne, le rapport de force prime sur le droit. Triste Proche Orient !

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La situation de Jérusalem vu par les chefs de missions de l’Union européenne

Le 22 novembre 2005, les ministres des affaires étrangères de l’Union européenne chargeaient ses instances compétentes de présenter une analyse détaillée de l'UE concernant Jérusalem-Est. Un mois plus tard, Jack Straw, pour la présidence britannique, annonçait qu’ « au vu des circonstances changeantes en Israël et dans les territoires occupés », il était décidé « de ne pas cautionner ni publier ce rapport ».

Evidemment, le rapport circula dans la presse et essaima sur Internet sur divers sites spécialisés. Son intérêt ? Donner un état des lieux du point de vue d’interlocuteurs qui se veulent neutres entre les deux parties.

Il souligne notamment qu’au-delà du rôle symbolique et de l’importance religieuse de Jérusalem-Est la ville jouait un rôle essentiel dans la vie économique, sociale et culturelle des territoires palestiniens. Après avoir décortiqué les mécanismes en œuvre pour modifier les équilibres démographiques, le rapport souligne les effets pervers de la colonisation et du mur, qui sont de nature à remettre en cause la viabilité d’un futur état palestinien indépendant.

Pour une lecture plus complète, voir :
http://www.mvtpaix.org/campagnes/moyen-orient/rapport-jerusalem-est/rapport-jerusalem-est.php

http://www.protection-palestine.org/IMG/pdf/Rapport_UE_Jerusalem_VF-3.pdf

Autrice

Stéphane Jugnot (1998)

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