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16 avril 2007

La promotion immobilière, cette belle inconnue

Publié par Olivier Mitterrand (1966) | N° 26 - Immobilier et Logement

Il n’y a pas de secteur d’activité économique de cette taille qui soit à ce point méconnu en France. La promotion immobilière est méconnu non seulement du grand public - ce qui n’est pas anormal, car jusqu’à ce qu’un ménage souhaite acquérir un appartement ou une maison, il n’y a pas vraiment de raison qu’il connaisse ce métier - mais également des administrations, des politiques, des responsables économiques et des medias, alors que cette activité spécifique représente, en tant que telle, plus de 100 000 logements neufs par an, soit, pour un prix moyen de 150k€ (h.t.), au moins 15 milliards d’euros d’activité économique par an.

De Monsieur Marie aux frères Pereire

Le métier de promoteur immobilier a toujours existé sous ses formes diverses : l’île Saint-Louis a été lotie par un M. Marie, dont un joli pont de Paris a conservé le nom. Combien a-t-il lui-même construit d’immeubles sur les lots de terrain qu’il a proposé à la vente, l’histoire ne le dit pas. La place Vendôme est également un lotissement, avec un cahier des charges contraignant qui nous a donné les merveilleuses façades classiques que nous admirons de nos jours, ce qui démontre clairement qu’une ordonnance d’ensemble créé la valeur immobilière. Le duc d’Orléans fut, en son temps, un très grand promoteur, lotissant et construisant le Palais-Royal que nous connaissons aujourd’hui, pour vendre et pour louer.

Dans l’époque post-haussmannienne de la fin du XIXème siècle, beaucoup de familles bourgeoises construisirent des immeubles de rapport, majoritairement destinés à la location (la copropriété n’existait pour ainsi dire pas) et firent donc acte de promotion immobilière, sans égaler les plus grands promoteurs de l’époque, comme les frères Pereire, qui aménagèrent et construisirent la plaine Monceau et la rue de la République à Marseille, entre autres réalisations immobilières.

La version moderne du promoteur immobilier est née de différentes évolutions. En particulier, la spécialisation grandissante de très nombreuses activités de nos économies occidentales et la complexité croissante de l’acte de construire, spécialement en milieu urbain, complexité dû, en partie, à l’excès de réglementations de toute nature.

Aujourd’hui, les tâches essentielles d’un promoteur immobilier sont de :
- connaître les marchés du logement (neuf, rénové, ancien),
- rechercher, voire inventer même, des terrains à bâtir (les promoteurs sont d’une ingéniosité extrême dans ce domaine),
- concevoir un programme immobilier (immeuble, lotissement de maisons) adapté à son marché, en association avec une équipe conceptrice forte, menée par un architecte,
- obtenir les autorisations de construire,
- commercialiser,
- produire, physiquement, un immeuble de qualité, en organisant sa construction avec une équipe technique et des entreprises,
- livrer ses clients, assurer l’après-vente et les différentes garanties, dont la garantie décennale,
- gérer toute l’intendance de cette activité (ressources humaines, comptabilité, assurances, etc…)

J’ai l’habitude de dire que les promoteurs immobiliers sont, parmi d’autres acteurs économiques, des « bienfaiteurs » de l’humanité, car que seraient nos villes sans eux ? Certes, tout est loin d’être parfait, mais ce n’est pas seulement une boutade.

Un métier sans frontière où la proximité est un atout

La promotion immobilière revêt beaucoup d’aspects différents : construction de logements neufs, sociaux ou « libres », en résidence principale ou en investissement locatif ; construction de résidences secondaires, d’hôtels, de « resorts » ; rénovation de logements ; promotion d’immeubles de bureaux, de centres commerciaux, de parcs d’activité, de centres de loisirs ; transactions immobilières, gestion locative, gestion des immeubles proprement dit et tous autres les métiers connexes de l’activité de promotion.

Certaines de ces spécialités s’exportent plus aisément que d’autres : un immeuble de bureaux de très bonne qualité ne change pas de nature d’un côté ou de l’autre de la Manche ou du Rhin. Un centre commercial n’est pas dissemblable qu’il soit en France, en Espagne ou en Italie. Mais la primordiale matière première immobilière que sont les terrains bien situés et les autorisations de construire constitue une denrée par définition hyper-locale, physiquement pour les terrains, politiquement et administrativement pour les autorisations de construire. Là commencent les difficultés.

L’approvisionnement en projets nouveaux (qui supposent à la fois des terrains et leurs permis de construire) est déjà d’une grande difficulté chez soi alors que les pratiques malthusiennes abondent – pour ne parler que de la France. Cet approvisionnement devient un véritable casse-tête lorsque l’on aborde une ville ou une province nouvelle. C’est dire quand on franchit une frontière…
Disposer d’équipes locales pour rechercher des projets nouveaux est un atout. Il faut ensuite évaluer les qualités et les risques de ces projets, généralement au niveau de la direction générale d’un groupe. C’est aussi là qu’une erreur d’appréciation peut être vite commise, dans un sens (laisser passer un terrain, qui se révèlera excellent dans les mains d’un concurrent) ou dans l’autre sens (acquérir un terrain qui recèle de nombreuses difficultés).
Dans notre profession, nous avons coutume de dire que l’essentiel de la marge future d’un programme immobilier est réalisé lors de l’acquisition du terrain sur lequel il va être réalisé. C’est aussi dire que les acquisitions foncières sont la principale source d’erreur, en France et, encore plus, à l’étranger, erreur qui peut, de temps à autre, prendre des proportions catastrophiques.

Bien peu de promoteurs se sont donc risqués à franchir les frontières, même si désormais leur couverture élargie du territoire national leur donne déjà une bonne expérience de la diversité géographique et une base solide pour affronter les difficultés nouvelles, mais, aussi les opportunités, de marchés étrangers.
A titre d’exemple, songez qu’aucun promoteur britannique n’est actif en France dans le domaine de la promotion immobilière résidentielle. Ce n’est pas là l’expression de l’insularité de nos amis d’outre-Manche. Leurs promoteurs sont puissants et efficaces ; ils ont certes beaucoup à faire chez eux, mais il n’empêche, de nombreux acteurs semblables, dans d’autres secteurs de l’économie, ont depuis longtemps déjà, franchi le Channel.
L’Europe de la promotion immobilière, souhaitable, n’est donc pas pour demain, même si différents acteurs s’y essayent, avec plus ou moins de réussite.

Une activité contrainte par la politique du logement

La politique du logement contraint fortement l’activité des promoteurs immobiliers. Elle est un exemple des aberrations passées et présentes des politiques qui nous gouvernent, des situations acquises quasi-inamovibles, des surenchères démagogiques, des idéologies fourvoyées.
Des fortunes sont dépensées en fonctionnement, subventions et investissements de toutes sortes, dans cette politique, au minimum vingt-huit milliards d’euros par an !
Dans ce domaine, notre pays en est encore à un stade très primitif de la théorie économique où les producteurs de logements dits « sociaux » sont subventionnés de très nombreuses manières, sans pour autant jamais atteindre les quotas jugés indispensables pour soulager les mal-logés, quotas qui ne sont pas sans évoquer ceux de l’économie dirigiste que l’on croyait défunte.

Il n’y a pas à discuter le droit au logement : c’est le privilège de la communauté nationale de le décréter et de le définir et nous n’avons rien à y redire. Encore faudrait-il que ce droit ne soit pas nécessairement celui d’obtenir un logement neuf, attribué quasiment à vie, si possible, dans les beaux quartiers de nos villes principales. S’il y avait un droit à l’automobile, sans doute nos politiques éprouveraient le besoin de re-nationaliser Renault et de distordre gravement la concurrence en subventionnant généreusement ce nouveau champion national !

Une politique efficace du logement doit se résumer en quelques lignes :

- respect scrupuleux des lois du marché,

- une offre de logements encouragée, élargie mais entièrement libre,

- des infrastructures nouvelles en beaucoup plus grand nombre qu’actuellement (où sont ces nouvelles lignes de métro en Ile-de-France et en province, dont certaines promises depuis plusieurs dizaines d’années ?), pour créer des terrains à bâtir,

- une jungle réglementaire fortement élaguée pour disposer d’un droit de l’urbanisme qui facilite raisonnablement l’acte de construire,

- des producteurs de logements tous logés à la même enseigne, multiples, divers, y compris des associations à but non lucratif,

- la suppression des avantages fiscaux exorbitants du droit commun consentis aux producteurs comme aux bailleurs de logements,

- des rapports bailleurs – locataires plus équilibrés au profit des premiers,

- le droit au logement traduit par une allocation personnelle au logement qui permette aux ménages de se loger à leur convenance, en fonction de leurs moyens et de leur choix (c’est aux ménages de choisir de consacrer une partie plus ou moins importante de leurs revenus pour se loger, en choisissant une zone géographique, un quartier, plus ou moins valorisés).

La mixité sociale : une idéologie délétère

Rien de plus réconfortant que de professer de bonnes intentions. Les medias sont truffés de lieux communs, à croire qu’ils en font profession, et la « mixité sociale » est un de ces lieux communs, auréolé de son « politiquement correct » qui donne si bonne conscience. Mais cette idéologie et cette pratique détruisent, sur une grande échelle, de la valeur immobilière, donc de la richesse tout court, appauvrissant la communauté nationale, déjà mise à mal.

L’achat immobilier, on ne cesse de le constater, est un investissement lourd, psychologiquement complexe, où se mêlent, entre autres motivations, les désirs de protection, d’identification, de reconnaissance, en même temps que la volonté forte d’épargner. Si l’on construit des logements sociaux, dont le principe, en tant que tel, est déjà néfaste, à côté de logements libres, particulièrement soignés et bien entretenus, on obère leur valeur au nom des bénéfices, inquantifiables, de la mixité sociale.

On nous dira que, tout est une question de proportion. Certes, les beaux quartiers qu’ils soient de Paris ou d’ailleurs, peuvent supporter les quotas dirigistes, mais somme toute « raisonnables », des logements sociaux imposés. Il n’empêche qu’il y a une grande destruction de valeur quand la Ville de Paris, pour ne citer que cet exemple, décide de construire 100 ou 150 logements sociaux au pont de Bir-Hakeim : plusieurs dizaines de millions d’euros qui s’envolent, ne serait-ce que dans la valorisation foncière. Nos politiques sont trop idéologues et trop désireux de contraindre le marché pour s’en soucier.

A l’inverse, pour être beaucoup plus sérieux, les concentrations de logements sociaux ont détruit des quartiers entiers, non seulement dans des banlieues souvent mises en avant par les medias, mais à Paris même. C’est la démarche même qui sous-tend la politique du logement social qui tue ces quartiers : ils sont en trop grand nombre, conçus avec des soins divers, et souvent, une architecture de mode qui ne développe aucun sentiment d’appartenance. Médiocrement gérés, ils entretiennent un tissu social de mauvaise qualité, pour ne pas dire pathogène dans de nombreux cas.

Beaucoup de communes ont sciemment organisé l’appauvrissement immobilier de leurs habitants, et en premier lieu, celui des propriétaires qui y étaient historiquement présents – car très peu nombreux sont ceux qui sont venus les rejoindre en décidant d’investir dans leurs environnements dégradés. Il y a peu de place pour l’erreur entre le cercle vertueux de la création de valeur immobilière et le cercle vicieux de sa destruction accélérée.

Certes, dans ces communes, les propriétaires bénéficient aujourd’hui du renchérissement généralisé des marchés immobiliers – c’est un phénomène européen, voire mondial, et tant mieux. Mais il ne faut pas oublier pour autant que le retard accumulé en matière de création de valeur immobilière du fait de politiques du logement néfastes est énorme. Il faut en revenir à la liberté, cet idéal qui effraie et paralyse trop dans la pratique, sauf quand il reste au niveau de l’incantation.

Cette liberté, c’est :
- le libre choix des ménages à se loger, aidés en cela par une APL conséquente,
- l’uniformisation administrative et réglementaire des producteurs de logements,
- le retour progressif dans le droit commun, des producteurs sociaux – actuellement source de clientélisme pour les collectivités locales – et de leurs parcs immobiliers.

Cette évolution, difficile mais nécessaire, est nettement plus économe des deniers publics. Elle sera créatrice de valeur au plan de la communauté nationale, y compris par la résorption progressive et partielle des quartiers défavorisés et constituera un relais opportun après le retournement prochain des prix des actifs immobiliers à l’échelle mondiale.

Devenir entrepreneur

La France manque d’entrepreneurs. C’est l’une des raisons de son déclin persistant. Notre jeune élite est plus attirée par la haute fonction publique, quitte à rejoindre par la suite les postes dirigeants de nos grandes entreprises, déjà institutionnalisées. Mais d’entrepreneurs, point, même si l’on pourra, plus tard, s’étonner de ces parvenus qui figureront en bonne place dans le palmarès des réussites économiques françaises.

La France manque d’entrepreneurs. Pourtant, le devenir n’a rien de plus compliqué que d’être un haut fonctionnaire efficace ou un membre de la direction d’une entreprise du CAC 40. Pour être entrepreneur, il suffit juste de le décider un jour. On nous dira, il faut avoir une idée. Sans doute, mais bon nombre d’entrepreneurs réussissent dans des secteurs déjà existants qu’ils abordent avec un concept différent, de manière plus systématique ou plus audacieuse, en travaillant plus, aussi. Nul besoin d’être excessivement inventif, il suffit de développer un fort intérêt pour un secteur donné d’activité et d’être très pugnace.

La France manque d’entrepreneurs mais il faut qu’une nouvelle génération se mobilise et décide de relever les défis qui s’offrent à elle. Juste le décider, pour son profit personnel, mais aussi pour la place de notre pays en Europe.

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Bibliographie :

La promotion immobilière, Bertrand Avril et Bernard Roth, Presses ENPC

Autrice

Olivier Mitterrand (1966)

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