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10 septembre 2003

Micro-ordinateurs: une explication de la baisse des prix

Nous reproduisons ci-dessous les résultats d'une étude menée dans le cadre du Crest sur le prix des micro-ordinateurs.


En 1990, l'indice des prix de vente industriels des micro-ordinateurs a chuté de 26%. Dans les deux ans qui ont suivi, les prix ont été divisés par 2.

Une telle baisse de prix ne peut être entièrement expliquée par une baisse du coût de fabrication: les prix à la production des composants électroniques, sur la période 90-93, ne chutent que de 20 % et aucune autre branche ne connaît de baisse de prix de cette ampleur. Une explication de la chute des prix est communément admise par les acteurs du marché de la micro-informatique. Elle repose sur un changement de perception de l'image des entreprises de la part des consommateurs. À la fin des années 80, IBM, Compaq et Apple, les trois principales firmes du marché, s'étaient construit une forte réputation qui leur permettait, à qualité égale, de vendre à un prix plus élevé. L’arrivée sur le marché de nouvelles compagnies a montré aux consommateurs que prix bas n'était pas synonyme de mauvaise qualité. Ceci aurait alors forcé les trois leaders à ajuster leurs prix.

Il serait intéressant d'élaborer un modèle économique qui ouvre la voie vers un test de cette explication de la baisse des prix des micro-ordinateurs. Un premier pas dans ce sens a été réalisé à l'aide d'un modèle simplifié estimé sur des données collectées par la division Prix de vente industriels de l'Insee.

DIIFFERENCIATIONS VERTICALE ET HORIZONTALE

Une caractéristique importante du marché des micro-ordinateurs est que les produits offerts ne sont pas homogènes. Chaque firme offre une gamme de produits très diversifiée. On distingue traditionnellement deux types de différenciation de produits. La différenciation verticale caractérise une préférence commune à tous les individus: abstraction faite du prix, chacun préfère un micro-ordinateur plus puissant. À l'inverse, on parle de différenciation horizontale quand le choix entre deux produits de même prix dépend de l'individu : certains préféreront acheter chez Compaq, d'autres chez IBM.

Différentes explications peuvent être fournies quant à la provenance d'une différenciation horizontale des produits. La première explication est purement géographique: les consommateurs préfèrent minimiser leurs coûts de transport et vont faire leurs achats au magasin le plus proche. Le modèle le plus simple de différenciation horizontale (modèle de Hotelling) analyse ainsi le marché constitué par une cité linéaire, ensemble de consommateurs disposés sur un axe, avec un fournisseur à chaque extrémité de la cité.

Mais la différenciation horizontale existe aussi hors de tout critère géographique. Par exemple, une firme pionnière sur un marché bénéficie de l'avantage du premier arrivant. Un client qui posséderait déjà une base installée de micro-ordinateurs préférera continuer à acheter chez le même fournisseur afin de minimiser ses coûts de maintenance ou bien parce qu'il est incertain de la qualité réelle des produits proposés par les nouveaux arrivants. Plus généralement, les firmes peuvent se créer une image de marque par de forts investissements publicitaires.

Les deux types de différenciation sont-ils présents sur le marché des micro-ordinateurs ? Il est bien clair que, sur ce marché, la différenciation verticale existe. Mettre en évidence la différenciation horizontale est en revanche plus complexe. Jusqu'à la fin des années 80, les trois leaders du marché français - Apple, Compaq et IBM - était réputés vendre leurs produits à un prix élevé. À caractéristiques physiques semblables sur le papier, un Compaq valait plus cher qu'un micro-ordinateur Dell par exemple. Cette différence de prix pourrait s'expliquer par l'existence d'une image de marque propre à Compaq, donc d'une différenciation horizontale des produits sur ce marché. Mais ce n'est pas là



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Figure n°1 : Salle d'ordinateur


la seule explication possible. Ce phénomène pourrait aussi être dû à des caractéristiques supérieures difficilement observables des machines Compaq: meilleur service après-vente, plus longue durée de vie.

DES HYPOTHESES STRUCTURELLES SPECIFIQUES

Des données sur les seuls prix ne permettent donc pas de trancher quant à l'existence d'un effet image de marque. En revanche, on peut montrer que des données sur les parts de marché des firmes et les prix pratiqués permettent d'identifier les paramètres d'un modèle structurel comportant à la fois une dimension verticale et une dimension horizontale. Un tel modèle nécessite de Faire des hypothèses sur les préférences des consommateurs et sur les fonctions de coût des entreprises.

Dans le cas du modèle qui a été estimé pour cette étude, ces hypothèses sont très simples. On a supposé, à la manière de Hotelling, que les entreprises sont établies le long d'une cité linéaire, sur laquelle les consommateurs sont eux mêmes uniformément répartis. Soit un consommateur situé au point d'abscisse u le long de la ligne. Toutes choses égales par ailleurs, l'utilité qu'il retirera de l'achat d'un micro-ordinateur de la firme d'abscisse b a été supposée de la forme: (u - b)². Elle est donc maximale si le consommateur est situé au même endroit que la firme. Ce type de préférences modélise l'effet-marque.

Pour ce qui concerne l'échelle verticale, on a fait l'hypothèse que l'intensité des préférences des consommateurs est répartie uniformément sur un intervalle. Un consommateur dont la position sur cette échelle est q retirera l'utilité qq de l'achat d'un micro-ordinateur de qualité q. Finalement, un consommateur (q,u) qui achète un micro-ordinateur de qualité q et de prix p à l'entreprise b en retire l'utilité:

qq - (u - b)² - p.

On voit bien la différence entre les deux types de préférences: le premier terme de l'expression précédente (qq) représente un classement des qualités identiques à tous les consommateurs. En effet, si q1 > q2, en -supposant q positif, on a qq l > qq2. À prix égal, tous les consommateurs préféreront la qualité q1 à la qualité q2. En revanche, un élément propre à chaque individu est introduit par le second terme. Deux entreprises distinctes d'abscisses b1 et b2 ne seront pas classées de la même façon par tous les consommateurs.

Une hypothèse importante est implicite dans l'expression ci-dessus. Les utilités venant des deux échelles de qualité s'additionnent. Cette spécification facilite grandement la résolution du modèle. Elle signifie que la préférence pour une marque ne dépend pas du type de machine achetée. Dans ce modèle, les consommateurs ne peuvent pas préférer les micro-ordinateurs de faible puissance chez Zénith et ceux de forte puissance chez Compaq, par exemple.

Il nous faut ensuite modéliser la qualité q sur l'échelle verticale en fonction des caractéristiques physiques du micro-ordinateur. Ces caractéristiques représentent soit la puissance (type de processeur: 386, 486... et vitesse d'horloge interne) soit la mémoire (RAM, mémoire du disque dur). Si les xi sont les caractéristiques d'un micro-ordinateur, sa qualité est spécifiée sous la forme suivante:

q = exp (S aixi)

Les ai sont des paramètres que l'on cherche à estimer: ils représentent les importances respectives des différentes caractéristiques d'un micro-ordinateur du point de vue des préférences des consommateurs.

Enfin, le coût de production d'un micro-ordinateur a été supposé identique pour toutes les firmes et quadratique en fonction de la qualité.

Il faut donc garder à l'esprit que les résultats obtenus dépendent de ces hypothèses. Le modèle utilisé pour cette étude est, de plus, un modèle statique,



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Figure n°2 :


qui ne tient pas compte de la dynamique de l'introduction de nouveaux produits sur le marché.

ESTIMATION DU MODELE

La résolution du modèle économique donne d'abord une relation entre le prix d'un micro-ordinateur et sa qualité, écrite en fonction des caractéristiques. Cette relation, du fait de la spécification retenue, est quadratique. Si X représente l'ensemble des caractéristiques d'une machine, on a:

p(X) = a q (X)² + b q(X)+ g

où les paramètres a, b et g dépendent des paramètres structurels du modèle, c'est-à-dire des paramètres définissant les distributions des préférences des consommateurs le long des deux échelles et les positions bk des entreprises. a, b et - g peuvent facilement être estimés par la méthode des moindres carrés non-linéaires. Mais ils ne suffisent pas à identifier de manière unique les paramètres structurels: des valeurs différentes de ceux-ci sont compatibles avec un même jeu de paramètres (a, b, g). On retrouve là le fait que des données sur les prix ne sont pas suffisantes pour trancher sur l'existence d'un effet de marque.

Afin d'identifier les paramètres structurels, il faut utiliser des données sur les parts de marché de chaque entreprise. L'estimation complète du modèle se fait alors en deux étapes: estimation de (a, b, g), puis utilisation simultanée des résultats de cette première étape et des données sur les parts de marché pour terminer l'estimation. La seconde étape d'estimation repose sur une méthode du type moindres carrés asymptotiques.

LA DIFFERANCIATION HORIZONTALE S4EST FORTEMENT REDUIT SUR LE MARCHE DES MICRO-ORDINATEURS

Les données utilisées sont celles qui sont collectées pour l'indice de prix des micro-ordinateurs : prix, caractéristiques techniques, parts de marché. Le modèle a été estimé à deux périodes différentes, sur les données du quatrième trimestre 1990 et du quatrième trimestre 1991.
Pour ce qui concerne l'échelle verticale de qualité, les résultats sont sans surprise : les consommateurs préfèrent une machine plus puissante et ayant plus de mémoire. On peut noter cependant que les importances respectives des caractéristiques dans le système de préférence des acheteurs ne sont pas les mêmes aux deux dates d'estimation. D'après nos résultats à la fin 1, la mémoire disponible (RAM) aurait plus d'importance qu'à la fin 90, alors que la vitesse d'horloge jouerait moins sur la perception de la qualité.

Dans la spécification retenue, il est facile de tester la présence d'un effet marque. En effet, si celui-ci est absent, cela signifie dans le cadre de notre modèle, que les coefficients a, b et g ci-dessus sont nuls, test très simple à mettre en oeuvre.

Ce test permet de ne pas rejeter l'existence d'une échelle horizontale de qualité. Il se pourrait que les différences de prix observées soient dues à des caractéristiques objectives inobservées des micro-ordinateurs mais, dans le cadre retenu, cela n'est pas suffisant pour expliquer toute la variation des prix: il y a bien un effet marque.

Cet effet marque s'est cependant considérablement réduit entre les deux dates, soit à une année d'intervalle. L’étendue de la différenciation horizontale diminue de moitié entre les deux estimations.

Les deux graphiques ci-contre représentent l'échelle horizontale telle qu'elle a été estimée. Les distances entre les entreprises ne doivent pas s'interpréter comme des qualités intrinsèques aux produits de chaque entreprise, mais comme résultant des préférences des consommateurs. Ainsi, en terme d'image de marque, d'après le modèle estimé, les marque IBM et Hewlett Packard sont très éloignées l'une de l'autre alors que les trois leaders du marché sont relativement proches.

Autrice

Antoine Moreau (SEA 87)

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