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24 avril 2008

Travailler dans la communication, pourquoi pas ?

Publié par Pierre-Marie Guiollot (1966) | N° 32 - Les agences de notation

Pierre Marie Guiollot, aujourd'hui consultant, a passé de nombreuses années dans la publicité, les médias et la production télévisée. A partir de son expérience personnelle, il réfléchit avec nous à l'adéquation entre la formation dispensée à l'ENSAE et les métiers de la communication.

VARIANCES - Les métiers de la communication sont-ils susceptibles d’intéresser particulièrement les anciens élèves de l’ENSAE ?

Pierre Marie Guiollot - Un nombre (relativement) important d’anciens élèves a fait ce choix. Mais, au delà des opportunités de circonstance, peut-on trouver un fil rouge qui relie les enseignements dispensés à l’école et les besoins des métiers de la communication ? En ce qui me concerne ce fil rouge est sans doute l’intérêt particulier que je porte à prévoir comment « les gens » vont se comporter. Du reste, à quoi bon mesurer, analyser, comprendre les phénomènes humains et les faits sociaux si ce n’est pas pour prévoir et agir ?

Voilà ce qui m’a attiré vers les sciences humaines, à une époque, à la fin des années 60, où précisément l’apport des techniques d’analyse quantitative renouvelait la psychologie, la sociologie ou les sciences politiques. Et c’est sans nul doute la curiosité de comprendre la formation des attitudes et de prévoir les comportements (des citoyens, du public, du marché, des gens) qui m’a fait sociologue. L’enseignement reçu à l’ENSAE me préparait particulièrement bien à cela.

V. - Comment t’es-tu retrouvé dans la publicité ?

P.M.G. - C’est grandement par hasard que j’ai été sollicité comme consultant dans une agence de publicité. C’était l’époque où les techniques dites de « Recherche Opérationnelle » s’imposaient dans les processus d’élaboration des plans médias. Et la difficile communication entre publicitaires et informaticiens rendait flagrant le besoin d’interprètes.

Si les compétences d’un diplômé de l'ENSAE conduisaient naturellement à intervenir dans les services média, la publicité plus généralement avait à l’époque un côté sulfureux (et fascinant) popularisé par « la persuasion clandestine » de Vance Packard, l’une des bibles des sociologues de Nanterre. Ainsi, on pouvait prévoir les comportements du public et modifier ceux-ci à son insu …!
La thèse dite de la 25ème image se révélât certes être une escroquerie (Packard l’ignorait car la mystification ne fut découverte qu’après la publication de son livre), mais l’aptitude de la communication à modifier les attitudes et les comportements était elle bien réelle. Que ce soit dans le domaine des études (d’audiences, de motivation etc.), ou dans celui des tests (de marché, d’annonces etc.) un apport scientifique devenait indispensable. Tant chez les annonceurs que dans les sociétés d’études, les agences ou les supports de publicité (la presse, la télévision, la radio …) les ENSAE trouvèrent – avec d’autres - un terrain où exercer leurs compétences et leurs talents.

V. - Mais qu’est-ce que le monde de la publicité avait d'attirant pour un statisticien économiste ?

P.M.G. - La publicité, en tant qu’activité économique, présente deux particularités : d’une part, le message que l’on doit délivrer est toujours un nouveau message, ce qui pose la question de savoir dans quelle mesure les enseignements tirés des campagnes passées peuvent s’appliquer à la nouvelle campagne. D’autre part, l’achat d’espace se fait sur la base de tarifs élaborés à partir d’observations passées fournies par les études d’audience, or il demeure une incertitude : lorsque la campagne sera diffusée, l’audience des supports - quantitativement et qualitativement - se révèlera-t-elle conforme à ce que l’on a prévu ?

Juger de la solidité des informations dont on dispose, en recueillir de nouvelles, prendre des décisions en avenir incertain, prévoir le résultat des campagnes publicitaires, voilà pour une agence ce qui lui permet de gagner la confiance de ses clients. Les anciens ENSAE, ceux que j’ai eu le plaisir de pouvoir engager à l'image de ceux recrutés dans le secteur, s’ils étaient souvent recrutés pour leurs compétences techniques, accédaient vite à des responsabilités commerciales et ou de management.

V. - Et la télévision ?

P.M.G. - Mes premiers contacts professionnels avec la télévision datent de l’introduction de la publicité commerciale sur la première chaîne de l’ORTF. Il ne s’agissait au tout début que de trois écrans de deux minutes par jour (et c’était déjà beaucoup trop selon les sondages d’opinion réalisés auprès de téléspectateurs). Si les études d’audience manquaient de finesse ce n’était pas bien grave : l’absence de concurrence faisait que les audiences étaient d’une grand stabilité, à l’exception notable des variations saisonnières. Par contre, fait unique dans l’histoire de la publicité, la totalité des spots diffusés cette année là fut l’objet de mesures systématiques de souvenir et d’impact : une banque de données inestimable, à l’origine des premières normes d’efficacité de la publicité télévisuelle.
L’introduction de la publicité sur Antenne 2, la concurrence entre les chaînes, l’apparition des chaînes privées, le développement de l’audimétrie ont bouleversé le paysage. Il fallait dès lors prévoir les audiences et développer des logiciels de planification et de gestion des campagnes.

V. - Mais tu as aussi travaillé pour TF1…

P.M.G. - Au delà de l’énergie déployée pour optimiser les plans média de ses clients, l’agence pour laquelle je travaillais est devenue l’agence de publicité de TF1 et de sa régie publicitaire. Je découvrais ainsi la télévision de l’intérieur et, même si elle était encore de « service public », le moment était venu pour cette chaîne d’affronter – qualitativement et quantitativement – la concurrence d’Antenne 2 puis celle des chaînes privées. Je fus le premier surpris de constater à quel point l’expertise acquise à analyser et à prévoir les comportements du public à des fins publicitaires pour les clients de notre agence, fût utile à l’état major de TF1. Prévoir les audiences des écrans publicitaires, analyser leurs publics, comprendre comment les téléspectateurs se comportaient devant ces écrans, … autant de méthodes d'analyse utilisées désormais aussi pour optimiser l'audience d'une émission ou l'efficacité d'une programmation. Le marketing éditorial des chaînes de télévision était en train de naître en empruntant aux annonceurs et à leurs clients leurs méthodes d'analyses.

V. - Comment en es-tu venu à distribuer des programmes de télévision ?

P.M.G. - Le jeu s’élargit lorsque les chaînes commencèrent à introduire en France des programmes conçus initialement dans d’autres pays, en particulier aux États-Unis. Sur la base des audiences qualitatives et quantitatives obtenues dans le pays d’origine, il s’agissait d’évaluer le potentiel du programme en France, dans une situation de concurrence différente, avec un public différent tant sociologiquement que par sa « culture » télévisuelle. Cet exercice tenait sans doute plus du pronostic que de la prévision mais un pronostic supporté par des analyses, des faits, des études et des tests. C'est ce genre d'exercice qui prévalut au lancement en France de la Roue de la Fortune, du Juste prix ou de Santa Barbara il y a vingt ans … et que l'on utilise encore aujourd'hui lorsqu'une chaîne comme M6 diffuse Prison Break en faisant le pari que l'engouement du public américain (ou selon les cas australien, hollandais …) n'aura d'égal que celui du public français.

C’est ainsi que j’ai été amené à présider une entreprise internationale de distribution (et de production) de droits télévisuels. Ce qui réussissait aux États-Unis et en France devait pouvoir réussir ailleurs. Les chaînes commerciales existantes en Allemagne ou en Italie étaient très ouvertes sur l’étranger, et l’apparition de chaînes privées en Belgique néerlandophone, aux Pays-Bas, en Suède, en Norvège, en Finlande, au Portugal etc. ouvrait le marché des « formats » (c'est-à-dire des genres de programmes comme peut l'être aujourd'hui "la Star Ac"…), un marché qui n’a cessé depuis de se développer.

V. - Donc, finalement, la communication est une activité intéressante pour un diplômé de l’ENSAE ?

P.M.G. - En fait, ça dépend de ce que l’on en attend !
La communication, au carrefour de l’économique, du technologique, du psychologique et du sociétal semble un secteur pour lequel les enseignements et l’expérience acquis à l’ENSAE sont une base précieuse. Mais c’est un secteur ouvert à tous les vents. Les supports de communication non seulement évoluent rapidement, mais personne, même pas les auteurs de science-fiction, n’anticipait il y a vingt ou trente ans la généralisation du téléphone portable ou le développement du Web. L’économie de la communication également se transforme rapidement même en ce qui concerne la vieille télévision. Les business models d’Internet sont loin d’être stabilisés et de nouveaux apparaissent tous les jours. Les entreprises de communications elles-mêmes (média, agences, producteurs…) sont soumises à toutes ces évolutions et, de plus, aux aléas de la concurrence (devenue mondiale). Leurs stratégies dites à long terme subissent de fréquentes inflexions. Leurs structures et leurs méthodes évoluent, souvent brutalement.
Dans le secteur de la communication, tout a changé depuis mes débuts. Tout changera encore, et plus vite, dans les années à venir.

Certains trouveront qu’un tel contexte n’est pas idéal pour faire carrière. D’autres au contraire penseront qu’un environnement dynamique où tout semble possible, mais où rien n’est jamais acquis, est une opportunité rare d’exercer son talent …

Mais, par dessus tout, on ne s’ennuie jamais !

Autrice

Pierre-Marie Guiollot (1966)

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