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19 juin 2008

Une vraie mixité en entreprise, une opportunité à construire !, au bénéfice de tou(te)s

Publié par Catherine Grandcoing (1978) | N° 33 - Informatique et innovation financière

Ensae au féminin

Une vraie mixité en entreprise, une opportunité à construire !, au bénéfice de tou(te)s

Catherine Grandcoing (1978), Conseil en stratégie, communication et médias, Professeure associée au CNAM

Agnès Touraine, membre du Women's Forum, accompagnait il y a quelques mois la remise de son rapport sur la mixité à l'Institut Français des Administrateurs par ces mots : "il s'agit maintenant de s'attacher à faire progresser le nombre de femmes par des actions concrètes et non de passer trop de temps à rechercher des causes … ce qui permet d'éviter l'action".

En mai 2007 (Variances 30), nous relevions à l'aide d'une étude menée par le GEF (Grandes Ecoles au Féminin) les discriminations auxquelles les diplômées devaient faire face au cours de leur vie professionnelle.
Un an plus tard, partageant largement l'avis d'Agnès Touraine sur la nécessité de l'action, je vous propose une synthèse de l'étude "Women Matter" menée par McKinsey dans le cadre de son partenariat mondial avec le Women's Forum for the Economy & Society. Cette étude (disponible sur internet) apporte un éclairage factuel sur l'importance pour les entreprises de soutenir le développement des femmes sur la scène économique et propose des pistes de réflexion et d'action pour entamer une réelle mise en œuvre du changement.

Un rappel de quelques chiffres dessine un contexte… connu de tous : d'après Eurostat, 55% des diplômées des universités européennes sont des femmes, pourtant leur taux d'emploi est inférieur de 21% à celui des hommes et leurs rémunérations montrent un écart de 15%. Par ailleurs, 33% des femmes européennes travaillent à temps partiel contre 7% des hommes. Enfin, seuls 11% des membres des instances dirigeantes des entreprises européennes cotées (respectivement 8% des entreprises cotées françaises) sont des femmes … !
En France, 42% des salariés du privé sont des femmes, elles y subissent une différence salariale de 19%.
II y a 35 ans, les grandes écoles françaises s'ouvraient aux femmes : qui aurait pu penser que leur situation s'en trouverait aussi peu changée trois décennies plus tard ?!

De manière encore plus préoccupante, il apparaît que si l'on ne change pas les conditions de fonctionnement du système actuel, la projection linéaire sur les trente prochaines années de l'accroissement historiquement observé du nombre de diplômées de l'enseignement supérieur n'aura qu'un impact marginal sur la représentation des femmes au sein des instances dirigeantes.

Pour résumer les principales raisons du "plafond de verre" auquel se heurtent les femmes au cours de leur vie professionnelle, McKinsey a interrogé des dirigeants d'entreprises et dressé un état des lieux des études réalisées sur le sujet : il apparaît que "les modèles d'entreprises conçues par les hommes semblent être la clef de voûte du plafond de verre"

- La disponibilité "anytime, anywhere" : si les femmes européennes continuent de consacrer deux fois plus de temps aux tâches domestiques que les hommes (4h29' journalières contre 2h18'), les entreprises quant à elles conjuguent toujours plus réussite professionnelle avec disponibilité à toute épreuve et mobilité géographique totale. Par ailleurs, ce modèle d'entreprise repose sur la linéarité des schémas de carrière difficilement adaptée à la décennie 30 - 40 ans souvent synonyme de maternités.

- Les codes masculins : chaque contexte se fonde sur des codes communément acceptés par tous les acteurs ("l'habitus" cher à Pierre Bourdieu), l'entreprise, elle, fonctionne sur la maîtrise des codes masculins, ce qui impose aux femmes un réel effort d'adaptation pour s'affirmer, laisser apparaître ses ambitions et se promouvoir (une enquête réalisée aux USA auprès d'étudiant(e)s de MBA montre que 70% des étudiantes évaluent leurs performances identiques à celles des étudiants, quand ces derniers s'estiment pour 70% d'entre eux meilleurs que leurs collègues féminins).

- Le mentor : souvent indispensable à la promotion dans l'entreprise (toujours dépendante de la cooptation de ses pairs), le mentor est déclaré "facile" à trouver par 33% des femmes seulement contre 42% des hommes (étude Catalyst auprès de diplômés de MBA).

- La projection dans la réussite au sein de l'entreprise : l'absence de modèles de réussites féminines rend difficile cette projection, souvent ressentie par les femmes comme un défi plus que comme une légitimité dûe à leurs propres compétences (étude Catalyst).

- Une ambition significativement moins déclarée : 48% des hommes se déclarent "extrêmement ou très ambitieux" contre 35% des femmes ; quand seulement 15% des femmes hautement qualifiées aspirent à une position de pouvoir contre 27% des hommes (Harvard Business Review).

- Les dégâts de l'"opt-out" (décision volontaire de suspendre sa carrière) : cause et conséquence des éléments rappelés précédemment, l'"opt-out" est une décision prise à un moment donné mais dont les conséquences négatives se font sentir à long terme. Parmi les diplômés de l'enseignement supérieur américain interrogés par Harvard, 37% des femmes ont volontairement arrêté de travailler à un moment de leur carrière (contre 24% des hommes). Sur les 93% de celles-ci qui ont souhaité reprendre une activité professionnelle, seules 74% y sont parvenues … et seulement 40% à temps plein.

Et pourtant, les femmes sont un potentiel économique majeur et un impératif pour la compétitivité

Au-delà des considérations égalitaristes, l'étude Women Matter s'interroge sur la nécessité d'accélérer la montée en puissance des femmes dans le monde du travail, et particulièrement dans les instances de direction. Il apparaît à l'issue de leurs analyses qu'il s'agit d'un vrai enjeu de compétitivité pour les entreprises, qui seraient ainsi mieux armées pour :

- anticiper la pénurie de talents en Europe : si le taux d'activité féminine reste constant, une pénurie de 24 millions d'actifs est à prévoir dans l'Europe de 2040 (contre 3 millions si les taux d'activité masculin et féminin étaient identiques)

- s'adapter aux tendances de société et de consommation puisque 70% des décisions d'achat des foyers seraient faites par les femmes (étude "Think tank : Marketing women - The Gender Factor", P. Crush. 2003)

- améliorer leur image : selon une étude de la commission européenne, la mise en œuvre d'un programme de diversité dans certaines entreprises a eu un impact positif sur la motivation de leurs employés, la satisfaction de leurs clients et leur image de marque.

- mieux séduire les marchés financiers : certains investisseurs et agences de notation utilisent des outils permettant de qualifier la mixité des entreprises en complément de leurs critères d'évaluation classiques.

Enfin McKinsey a étudié 231 entreprises et organisations rassemblant 115 000 salarié(e)s et mesuré le lien entre la présence de femmes dans leurs instances de direction et leurs notes sur neuf critères qualifiant leur excellence organisationnelle : à partir d'un seuil de 30% de femmes dans les instances dirigeantes, l'effet positif de cette mixité devient significatif.
De la même manière une étude complémentaire réalisée avec Amazon Eurofund a mis en évidence l'amélioration des performances (en matière de rentabilité des fonds propres, de résultat opérationnel et de croissance du cours de bourse) des 89 entreprises affichant le plus fort degré de mixité de leurs postes de direction (sélectionnées parmi l'ensemble des entreprises européennes cotées dont la capitalisation boursière est supérieure à 150 millions d'euros).

Que faire pour que la situation s'améliore ?

Deux acteurs participent à l'évolution possible de la situation actuelle : les femmes et le modèle professionnel communément imposé.

Pour tou(te)s le tournant décisif d'une carrière se situe autour de la trentaine. C'est à cet âge que les femmes qui font carrière sont plus nombreuses que les hommes à déclarer "avoir pris la décision de piloter leur carrière de manière active … en révisant leurs ambitions à la hausse". Il s'agit donc bien pour les femmes, maillon indispensable pour une éventuelle évolution de la situation actuelle, de choisir activement de s'engager dans une forme de vie qui, elles le savent, leur réserve beaucoup de difficultés sous la forme de discriminations conjoncturelles et structurelles.
Pour mesurer la gravité de ce choix, l'étude souligne les conséquences démographiques constatées : parmi les 1000 hommes et femmes cadres et dirigeants interrogés à travers le monde par McKinsey, 54% des femmes (contre 29% des hommes seulement) n'avaient pas d'enfant, 33% d'entre elles étaient célibataires (contre 18% des hommes). Le prix à payer pour réussir dans les modèles actuels apparaît très significativement plus élevé pour les femmes, … sans l'aide desquelles pourtant aucune évolution ne sera possible.

Réinventer le modèle plutôt que d'imposer aux femmes des choix cornéliens, insatisfaisants pour l'ensemble de la société et finalement improductifs pour les entreprises.

Devant l'urgence et l'intérêt à voir se développer la mixité dans l'entreprise, McKinsey s'attache à dégager quelques pistes d'actions pour accroître la participation des femmes à la vie économique et leur présence dans les instances dirigeantes.

Avant tout, les comparaisons européennes réalisées au cours de l'étude permettent de souligner le rôle déterminant des pouvoirs publics : contrairement aux diverses politiques natalistes fondées sur des aides financières pour les femmes qui décident d'élever leurs enfants, il est urgent que les pouvoirs publics développent des aides permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale (structures d'accueil et subventions de gardes d'enfants). Parallèlement à ces mesures directement facilitatrices de la vie des femmes, toute action améliorant la qualité de leur vie professionnelle les incitera à ne pas l'interrompre : les efforts de promotion de l'égalité des sexes (salaires, responsabilités, temps de travail …), en améliorant la vie quotidienne sur leur lieu de travail, accroîtra le lien des femmes à leur activité professionnelle et les incitera à écarter le "opt-out".

Certaines entreprises développent depuis quelques années des politiques volontaristes d'aide à la mixité et à la participation des femmes aux instances de direction. McKinsey dégage quatre pratiques complémentaires et non exhaustives qui lui semblent intéressantes à appliquer :

- créer la transparence en mettant en place des indicateurs de mixité dans les entreprises (proportion de femmes / métiers, écarts de rémunérations, ratio de femmes promues par rapport aux femmes éligibles à une promotion …)

- mettre en place des mesures permettant de mieux concilier vie privée et vie professionnelle : par exemple, développer le travail à domicile pour les hommes comme pour les femmes en le considérant comme un atout pour la rentabilité de l'entreprise et non comme une facilité donnée aux femmes pour qu'elles puissent s'occuper (aussi) de leurs enfants ; ou encore accompagner les périodes de césure (le congé de maternité étant la principale pour les femmes) en s'assurant qu'elles n'ont pas d'impact négatif sur la carrière ou la rémunération, cet accompagnement peut prendre la forme d'entretiens avec la femme pendant son absence pour préserver le lien, de sensibilisation des managers à la gestion de cette discontinuité temporaire de l'activité de leurs collaboratrices …

- faire évoluer les processus de gestion des ressources humaines : par exemple, en élargissant la période habituellement propice au repérage des potentiels (28 à 35 ans) qui correspond à celles des maternités, sensibiliser (de manière plus ou moins directive) les managers sur la nécessité d'ouvrir systématiquement leurs recrutements ou leurs promotions aux candidatures féminines …

- aider les femmes à maîtriser les codes dominants et à cultiver l'ambition : des programmes de coaching, d'aide à la construction de réseaux ou de mentoring aident les femmes à prendre conscience des autolimitations qu'elles s'imposent et à gérer leur carrière dans un environnement masculin. Ces programmes accroissent la visibilité des leaders féminins, dont le rôle de modèles identificatoires permet l'augmentation du réservoir de talents féminins dans les entreprises.

Une condition indispensable à ces évolutions positives est soulignée : l'engagement de la direction générale et l'implication directe du (de la) président(e) lui (elle)-même seront les leviers de la révolution culturelle nécessaire à ce projet d'entreprise à part entière.

Pour aller plus loin …

Deux pistes de réflexion sont avancées par McKinsey pour aller plus loin :

- le rôle de l'éducation : la plus faible représentation féminine dans les filières scientifiques (écoles d'ingénieurs) ou de management (MBA …) est à combattre en portant une attention particulière à l'orientation dans le secondaire qui devrait développer des actions volontaristes pour favoriser l'accès des filles à ces filières.

- Le modèle familial : peut-on imaginer qu'une meilleure mixité au sein des entreprises et particulièrement dans leurs instances dirigeantes puisse exister sans une réinvention du modèle familial qui continue à considérer la mère comme le référent indispensable (voire suffisant) à l'épanouissement des enfants ?

McKinsey conclut par ces mots - que nous partageons -, et qui montrent l'ampleur du challenge, mais aussi et surtout sa réalité potentielle si chacun d'entre nous souhaite le réussir : "c'est sans doute la convergence d'actions concrètes et répétées, à chaque niveau de la société et des institutions, individuellement et collectivement, et en amont de la vie active qui construira peu à peu les fondements culturels et organisationnels du changement".

Autrice

Catherine Grandcoing (1978)

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