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04 juin 2004

CAP TOGO 2003 : le stage d'ouverture au monde professionnel au service de l'alphabétisation

Publié par Jérémy Rigaux | N° 24 - Nouveaux métiers de la finance

En août 2003, l’ASTEC a financé le projet de quatre élèves de première année de l’ENSAE qui sont partis au Togo pour leur stage d’ouverture au monde professionnel. Ivan Chollet, Sylvain Mougel, Jérémy Rigaux et Justine Yedikardachian ont été accueillis sur place par l’Association pour le Développement Economique et Social du DIocèse de DApaong, l'ADESDIDA, qui soutient un centre de formation rural. CAP TOGO 2003 est né de la volonté de Jérémy Rigaux de faire partager l'action de cette association dont il est membre depuis plusieurs années.

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Au cœur de l’Afrique intertropicale, le Togo connaît les difficultés de beaucoup de pays en voie de développement, notamment dans cette région du monde. Population très jeune, natalité galopante, et une économie qui peine à suivre, largement dominée par l'agriculture. L'éducation y est un défi, pour le développement économique, comme pour le développement social.
Au Togo, 72% des hommes sont alphabétisés et 38% des femmes. Le taux de scolarisation dépasse désormais les 80% à l’école primaire grâce aux efforts consentis depuis les années 1970 : constructions d'écoles et mise en place de la gratuité des frais de scolarité pour les enfants de 2 à 15 ans, la scolarité étant obligatoire entre 6 ans et 12 ans. Au delà, le taux de scolarisation s'effondre. Entre 12 et 19 ans, seuls 232 000 enfants, dont 66 000 filles, sur rendent à l'école, sur 700 000 enfants en âge d’être scolarisés.
La qualité de l'enseignement pose aussi problème. La moitié des professeurs ne sont pas formés, ce qui place le Togo dans le bas du tableau en Afrique Subsaharienne. Mais les ressources sont rares : sur les 15 000 étudiants Togolais, seuls 4% suivent des études dans le domaine de l’éducation. Les dépenses publiques par élève restent faibles. Moins de 5% du PIB consacré à l'éducation, dans un pays où 60% de la population a moins de 20 ans. En France, c'est presque 6% du PIB alors que le papy boom guette. On compte un livre de lecture pour 5 élèves et, comme les autres fonctionnaires, les enseignants ne reçoivent pas toujours leurs salaires de façon régulière.

Les "richesses", et avec elles, l'accès à l'éducation, se concentrent dans le sud du pays, sur la côte. Loin dans les terres, au nord du pays, à 650 km de Lomé et 330 km de Ouagadougou, dans la région des Savanes, le diocèse de Dapaong est moins bien loti. Eloignée de la capitale, avec ses 8 533 km2 et ses 500 000 habitants, cette partie du pays possède des infrastructures réduites et un développement faible. La moitié de la population est analphabète. Dans cette région essentiellement rurale, beaucoup d’enfants travaillent pour leurs familles plutôt que d'aller à l'école.
Sur le plan sanitaire, les infrastructures et le matériel se trouvent dans un état de vétusté préoccupant et la moitié du personnel soignant n’a reçu aucune formation dans une école spécialisée. Les maladies parasitaires sont nombreuses et la pandémie du sida se répand largement.
Les activités économiques sont freinées par un réseau routier médiocre, l'absence de capital à investir et un accès au crédit très limité. C’est la seule région du pays à n’abriter aucune unité industrielle. La population est jeune mais les terres fertiles manquent et le climat est difficile, avec une alternance d’inondations et de sécheresse.

Créée en 1972, l’Association pour le Développement Economique et Social du DIocèse de DApaong, l'ADESDIDA, se consacre à cette région particulièrement défavorisée, essentiellement en soutenant le Centre de formation rurale de Tami, dont elle couvre les frais de fonctionnement annuels depuis sa création.
Le Centre est dirigé par une équipe de trois Frères espagnols, assistés d'un personnel togolais : Frère Felipe Garcia, directeur du Centre, et les Frères Albi Gomez et Pedro Santamaria. Il accueille des stagiaires volontaires, des couples mariés, de moins de 30 ans, avec au moins un enfant, qui doivent disposer de terres à cultiver après la formation. Le Centre accueille chaque année une douzaine de jeunes foyers accompagnés de leurs enfants. La formation dure deux années, interrompues par un retour au village de janvier à avril, pendant la saison sèche.
Le Centre propose aux stagiaires une formation agricole théorique et pratique. Il prend en charge leur logement, eau et électricité comprises, pendant les deux années que durent la formation. Le centre finance par ailleurs l’utilisation du fumier et du compost pour les champs et celle du tracteur pour les premiers labours. Il propose une aide pour l’acquisition du matériel agricole et partage une grande partie de la récolte entre les familles à la fin de leur stage. Il propose également des prêts pour avancer le coût des soins et une amélioration de la nourriture des enfants en bas âge.
L’emploi du temps des stagiaires est rythmé par les formations agricoles pratiques (agriculture, élevage, culture attelée et maraîchère, sylviculture, lutte contre l’érosion, etc.) et des formations plus générales (alphabétisation, cours d’hygiène, d’arts ménagers, d’économie familiale).
Par ailleurs, les enfants font l'objet d'une grande attention. comme l'explique le directeur du Centre : “nous avons fait, et nous continuons à faire, des efforts pour que les enfants soient bien formés et en bonne santé”, grâce à l’école primaire “Frère Pablo” et le nouveau jardin d’enfants “Frère Pedro”, tous deux liés au Centre.

C'est dans ce Centre que le projet Cap TOGO 2003 a pris sa place en août 2003, dans le cadre du stage d’ouverture au monde professionnel.
Le matin était consacré aux tâches physiques : nettoyage et peinture de chapelles et d’écoles, plantation d’arbres pour lutter contre l’érosion, installation d’une bâche de protection, mais aussi travail dans les champs avec les stagiaires du Centre et, moins physique, des animations au jardin d’enfant et à l’école primaire.
Les après-midi étaient consacrés à des activités dites "de longue haleine" : une heure d’alphabétisation pour les adultes stagiaires et deux heures de cours de vacances pour des collégiens volontaires, dont certains faisant parfois plus d’une dizaine de kilomètres à vélo pour venir ! Au total, une cinquantaine de collégiens, répartis par niveaux, assistaient chaque jour aux deux heures de cours, l'une, de français et l'autre, mathématiques.

Cap Togo 2003 a aussi été l'occasion de rencontrer des associations locales pour mieux comprendre les difficultés du développement de la région. Elle a été l'occasion de découvrir une autre culture, une autre société et un peuple chaleureux et accueillant qu'il faut continuer à soutenir. Actuellement, les perspectives sont doubles. La première consiste à approfondir les contacts dans la région de Dapaong, afind'aider les populations locales à formuler des souhaits concernant des projets de plus grande envergure. La seconde est de permettre à d'autres élèves de première année de l'ENSAE de partir à leur tour effectuer leur stage de découverte du monde professionnel au Togo.

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Le Togo : des défis à relever

Enserré entre le Ghana, le Burkina Faso et le Bénin, le Togo est un corridor de 700 km, avec une bande côtière de 52 km, et une largeur variant de 45 à 140 km. Sa superficie est de 56 800 km². L’actuel Togo, jadis colonie française, est devenu indépendant le 27 avril 1960. Depuis le coup d’état militaire de janvier 1967, le pays est présidé par le général Gnassingbe Eyadema.
Le pays compte 5 millions d’habitants, sans doute le double dans 20 ans. La densité est élevée, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. La population est jeune, 60% des Togolais ont moins de 20 ans. Elle est rurale à 70%.
Deux ethnies sont majoritaires : les Ewés, au sud, et les Kabyés, au nord mais ce sont près de quarante ethnies qui cohabitent sans trop de heurts dans le pays, le diocèse de Dapaong étant situé en terre Moba.
Avec 64% de sa population active et 40% du PIB, le secteur agricole domine l'économie. Le Togo a surtout mis l’accent sur les productions vivrières : manioc, igname, maïs, riz-paddy, mil-sorgho et haricot. Les principales cultures d’exportation sont le coton, le cacao et le café.
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Sylvain Mougel témoigne…

Frère Felipe, dans un français à consonances espagnoles et africaines, disait souvent : “l’important dans un premier voyage humanitaire comme le vôtre n’est pas ce que l’on a accompli ou ce que l’on a laissé mais ce qui se passe en vous et de ne pas être malade.” Cette phrase laisse songeur. Alors que nous acceptons de nous passer de notre confort quotidien pendant un mois pour venir en aide aux populations n’ayant pas nos facilités de vie, le directeur du centre que nous venons aider nous dit que cet apport n’est pas si important ! Un peu comme si nous acceptions de nous passer d’eau chaude, d’électricité, de téléphones, de musiques et du reste, pour rien. Tant que j'étais en Afrique, j’ai toujours cru que Frère Felipe nous avait surtout dit ça pour que nous ne nous sentions pas coupable en cas de fatigue. Il faut bien reconnaître que les problèmes de santé, de la simple coupure au paludisme, en passant par la grippe, ne vous encouragent pas à prendre des risques ! Nous avons tous eu la faiblesse, certains matins, de préférer rester au lit au lieu d’aller planter des arbres dans les champs, donner des cours aux enfants et aux adultes ou repeindre des chapelles. Je rassurais ma conscience en me disant que “l’important, c'est de ne pas être malade”.

Revenu en France dans mon confort urbain et sauvé des maladies, la phrase de Frère Felipe a pris un sens différent : avant d’apporter son aide matérielle, c'est au côté humain qu'il faut s’intéresser. C’est une manière de dire qu’il faut aussi s’enrichir dans ce genre de voyage. Et je pense très sincèrement que l’Afrique et les Africains m’ont plus enrichi que je ne les ai, moi, enrichis, aussi paradoxal que cela puisse paraître.

Que s’est-il donc passé en moi ? Que signifie être étudiant dans un pays riche si, venant aider les habitants d’un pays dit en développement, ce sont eux qui m’apportent, beaucoup plus que je ne leur apporte ? Je pense que cela vient d’une conception différente de la vie. Sans vouloir engager un débat sur la conception de la vie, ni juger et encore moins critiquer notre monde occidental, il me semble important de raconter leur conception de la vie, d'une façon partielle et contestable, mais telle que je l'ai ressentie. Ne dit-on pas d'ailleurs que l’Afrique ne se raconte pas, mais se rêve ? Il ne s'agit que des mots, mais j’espère qu’ils vous toucheront autant que l’Afrique m’a touché.

La différence qui m'a frappé est le respect de la vie, peut-être parce que la mort, en particulier des enfants, est beaucoup plus présente que chez nous. Un Togolais donne vraiment l’impression que le fait de vivre suffit à rendre heureux. La vie est un cadeau. Certes, il n’a souvent pas les moyens de profiter de nos loisirs et de notre confort mais il ne le dénigre pas. Beaucoup rêvent d’aller un jour en France, d’avoir une voiture, une télévision mais ils font la part des choses et ces absences ne semblent pas les affecter, comme s'il suffit de vivre pour tenir le bonheur. Et celui-ci s'affiche ! Au Togo, le vieil adage pour vivre heureux, vivons caché n’existe pas. Les Africains partagent, ils partageaient avec nous leur bonheur de vivre, le plus souvent par le sourire. J’appréhendais un peu le racisme mais : “Peu importe que tu sois blanc et que je sois noir. Nous respirons le même air, nous regardons le même ciel et nous avons le même soleil.” Et l’Afrique m’a souri. Un sourire particulier. Un sourire inoubliable. Une Française qui a fait le voyage avec nous a eu l’impression de voir des sourires pour la première fois. Je crois qu’elle a raison. Les Africains sourient mieux que les Européens et c’est très agréable d’avoir dans son esprit le sourire d’un enfant Togolais.

Le rapport au temps est aussi très différent. Lorsque deux Africains se donnent rendez-vous à 14 heures, c'est à partir de 14 heures. S’il l’un d’eux arrive à 18 heures, il n’est pas en retard, ce qui, chez nous, serait impensable. J’ai longtemps cru que, n’ayant qu’une vie, je me devais d’accomplir le maximum de choses dans le temps qui m’était imparti. Au Togo, le temps n’a pas vraiment d’importance. Seule la vie compte. Ce que l’on fait n’est pas l'essentiel, c’est ce que l’on est.

Mais, même si je souhaiterais pouvoir dire comme un enfant rencontré sur place qu’au Togo : “tout le monde est gentil et tout le monde est beau”, ce n’est évidemment pas le cas. Tout n’est malheureusement pas idyllique. L’actualité se charge trop souvent de nous le rappeler. Il y a le racisme, par exemple. Certains Africains ont du mal à accepter la présence de blancs, d’autres celle des autres ethnies. Je n’ai pas vu ces marques de racisme, mais les frères espagnols ont dit qu’elles existaient. Il serait hypocrite de ma part de soutenir que le racisme n’existe pas au Togo parce que je ne l’ai pas vu, l’être humain a déjà prouvé de quoi il était capable.

Enfin, je crois qu’il faut aussi parler de la misère dans laquelle vit la majorité des Togolais. Un simple savon est une denrée rare. La plupart des vêtements que les familles du Centre portent vient des dons faits par l’Europe. Ces vêtements sont rapidement sales et déchirés. L’eau n’est pas vraiment potable, les villes sont souvent très mal entretenues. Le paludisme fait des ravages, surtout chez les enfants. Les conditions d’hygiène déplorables des Togolais les rendent très vulnérables à certaines agressions, en particulier les yeux. Une simple poussière dans l’œil a trop souvent d’énormes conséquences, allant jusqu’à la cécité. Les chiffres donnés sur le développement humain sont explicites, les conditions de vie ne sont pas très tentantes. Et pourtant, les Africains ne s’en plaignent pas.

Quand je compare mes ballades parisiennes et mes ballades africaines, ce n’est pas l’absence totale de similitude entre les panoramas qui dépayse le plus, mais les personnes que l’on rencontre. Là où nous nous croisons dans la plus totale indifférence en France, l’Africain, quel que soit son âge, nous saluera et nous sourira. On pourra toujours me dire ironiquement que cela vient du fait que leurs routes sont moins fréquentées que les nôtres, je resterai persuadé que c’est une manière pour eux d’exprimer leur joie de vivre et de la partager avec nous. C’est vrai que notre groupe a eu la chance d’être accueilli dans un petit coin de paradis, sans même perdre un coin de parapluie … Etre touché par ces sourires et ces joies de vivre, être conquis par l’Afrique comme je l’ai été, c’est tout le mal que je vous souhaite chaleureusement.
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Si, à titre personnel, vous souhaitez soutenir l’action de développement au Nord-Togo de l’association ADESDIDA, vous pouvez envoyer vos dons à :

ADESDIDA, 47, rue Jouffroy d’Abbans, 75017 PARIS.
Pour toute information : adesdida@cegetel.net

Autrice

Jérémy Rigaux

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