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14 mai 2003

« Nous soutenons Ingrid Bétancourt »

… a répondu le Conseil de l’Astec à l’appel des anciens élèves de Sciences Po, qui se sont joints au mouvement international pour la libération d’Ingrid Bétancourt. Rappel des faits.

Mélanie, c’est d’abord un visage un peu triste, un peu pâle, dont les grands yeux noirs font inlassablement le siège des écrans de télévision et des hémicycles, d’Envoyé Spécial à Ardisson et du Parlement européen au Palais Bourbon. Elle a comme une petite douleur dans le regard, Mélanie, cette ombre qui rend les gens fréquentables. Elle a surtout des paroles tendres et posées pour réclamer la libération d’une femme enlevée en Colombie le 23 février 2002, une femme qu’elle dit formidable, indispensable au peuple colombien plus encore qu’à elle-même. La douceur de Mélanie ferait presque oublier que c’est aussi sa mère qu’on lui a enlevée.

La rage au cœur

Car pour qui ne connaît rien à l’affaire, c’est sous les traits de sa fille Mélanie Delloye que l’on découvre Ingrid Bétancourt. Où la force de conviction de la fille pousse à mieux connaître la mère.

Née en 1961 d’un père ambassadeur de Colombie, Ingrid Bétancourt fait ses études à Paris au début des années 1980 (notamment Sciences Po en 1981). En 1990, elle met de côté sa vie de mère de famille expatriée pour revenir à Bogota où elle travaille à l’élection de sa mère au Sénat, puis entre au ministère des Finances. Après quelques années, frustrée du peu de résultats obtenus, elle se lance en politique. Elle est d’abord élue députée en 1994, puis fonde le parti, « Oxygeno », cet oxygène qui fait défaut à la Colombie, pour faire de la lutte contre la corruption et du processus de paix le fondement de son combat politique. Elle est élue au Sénat en 1998 en étant, contre toutes attentes, la candidate qui remporte le plus de voix au niveau national.

En publiant en 2001 La rage au cœur, le récit de son cheminement personnel, elle devient un personnage central de la vie politique colombienne, en même temps que l’une des femmes les plus menacées. Elle décide en effet de se présenter à l’élection présidentielle de mai 2002 et démissionne pour ce faire de son poste de sénateur en lançant un retentissant : « lorsque je serai Présidente, je vous démissionnerai tous ! ». Le 23 février 2002, en pleine campagne électorale, elle est enlevée par les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), en compagnie de sa plus proche collaboratrice, Clara Rojas. Une courte cassette vidéo tournée en mai 2002 est envoyée à la famille d’Ingrid Bétancourt en juillet de la même année : on l’y voit s’adresser à sa famille pour la rassurer sur son état de santé et tancer le gouvernement colombien.

3000 séquestrés en Colombie

« Quel est ce pays où frappe la nuit la loi du plus fort ? » 80% des kidnappings dans le monde sont commis en Colombie, qui détient de tristes records : le plus grand nombre d’enfants enrôlés dans des mouvements armés, le plus grand nombre de journalistes et de syndicalistes assassinés, 4 millions d’exilés et plus de 2 millions de personnes déplacées de force à l’intérieur du pays. L’objectif des kidnappings est souvent aussi symbolique que politique : obtenir l’échange d’otages, officiers de la police et de l’armée, contre des guerrilleros emprisonnés.

Mais le problème est plus complexe qu’il n’y paraît. La Colombie est écartelée entre la guerrilla marxiste (les FARC, fondées en 1964), les paramilitaires, les cartels de la drogue et la corruption d’une grande partie de la classe politique. Or les FARC réclament et se battent pour une réforme sociale très profonde et l’ouverture d’un véritable espace démocratique. Dans ce contexte, l’enlèvement d’Ingrid Bétancourt par les FARC, bien qu’illustratif du recours systématique à l’enlèvement, est paradoxal puisqu’elle était le seul membre du Congrès colombien à mener une lutte courageuse contre la corruption des partis politiques et du gouvernement.

C’est finalement la politique de guerre totale contre la guerrilla, et en particulier les FARC, menée par le gouvernement qui constitue aujourd’hui la principale menace pour la vie d’Ingrid Bétancourt : sa mort serait un coup politique extraordinaire pour l’armée, qui tiendrait là un prétexte pour utiliser tous les moyens propres à l’élimination définitive des FARC.

Le dénouement du rapport de force entre la guerrilla et le gouvernement n’est pas conditionné par la seule question des otages : l’amorce de réformes profondes visant au rétablissement de la justice sociale et d’un véritable fonctionnement démocratique apparaissent comme un préalable incontournable à l’apaisement des tensions intérieures. Ce précisément pour quoi se battait Ingrid Bétancourt. Malheureusement, de ce point de vue, la situation reste figée. La guerrilla semble s’enfermer dans une logique terroriste, après les attentats meurtriers de Bogota et Neiva début 2003. De son côté, le gouvernement a rompu unilatéralement les négociations et décrété la Loi de Sécurité Nationale pour une grande partie du territoire.

Ce combat qui est juste

Le sort d’Ingrid Bétancourt dépend donc largement de la décision de l’armée de lancer ou non une opération pour la libérer. La famille s’y oppose. C’est là le cœur du mouvement international qui réclame la libération d’Ingrid Bétancourt : faire pression sur le gouvernement colombien, par l’intermédiaire des corps diplomatiques et des gouvernements étrangers, pour obtenir la reprise de véritables négociations. Négociations qui devront nécessairement dépasser la seule question des otages pour s’intéresser également aux réformes et à la lutte contre la corruption.

Le Parlement européen et de nombreux gouvernements dont celui de la France ont déjà apporté leur soutien diplomatique à ce mouvement en manifestant au plus haut niveau leur intérêt et leur inquiétude pour la question colombienne. De nombreuses associations et personnalités n’ont cessé d’envoyer des messages et d’écrire aux autorités colombiennes. Reflet tangible de cette pression plus que jamais nécessaire, une pétition (reproduite à la fin de cet article) a recueilli plus de 83 000 signatures de par le monde.

Elle n’est qu’une parmi des centaines d’otages, mais Ingrid Bétancourt est un symbole et cristallise les espoirs d’un pays épuisé par des années de violence. Le dimanche 23 février 2003, un an après son enlèvement, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses capitales et, en France, dans les villes de Province. Mélanie était à Paris au cœur de la marche silencieuse. Si elle réussit, elle aussi aura changé le cours de l’Histoire. Le cours de son histoire.

Auteur

Egalement diplômé de Sciences-Po (section Recherche en Sciences Politiques) en juin 2000, je travaille à temps partiel pour l'OCDE avant de rejoindre en aout 2000 le Département de la conjoncture de l'INSEE, puis en mars 2004 la Dares au Ministère du Travail (Mission d'Analyse Economique).
Entré au Conseil de l'ASTEC en juin 1999, j'y suis rédacteur en chef de Variances de janvier 2001 à janvier 2004. En 2004, j'invente et réalise la 1ère édition de l'Alumni's Cup. J'ai également pris part à la formation d'ENSAE Solidaire, association que je préside depuis mars 2004. Voir les 15 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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