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04 novembre 2003

Tant qu'il y aura des gogos

La gloire grandissante de l'Ensae attire les aigrefins. Il n'est pas en notre pouvoir d'empêcher cela. Il ne nous semble pas non plus que ce soit une raison pour refuser de paraître dans l'annuaire des anciens : une offre miraculeuse par mois n'est pas une bien grande nuisance et peut engendrer, avec un minimum de sens critique, un salutaire éclat de rire. En voici quelques échantillons.


FAX NIGERIAN

Il date des débuts du fax, quand la possession de cet appareil était un symbole de sophistication et de richesse. Une page, sur papier à entête ronflant, émane de Daniel Tobeme, Ola Vincent, Victor Obi, etc. Toujours de Lagos. Elle explique, dans un anglais laborieux, que des fonctionnaires ont réussi à mettre de côté quelques dizaines de millions de dollars US. Il ne reste plus qu'à faire sortir cette fortune du pays, ce qui exige un compte bancaire discret. Le destinataire, qui a été recommandé par un ami commun (dont la vie serait en danger si son nom était cité), recevra 30% à titre de rémunération. On s'occupera de tout et l'affaire sera bouclée en deux semaines. On lui demande seulement de fournir ses coordonnées bancaires détaillées, en Suisse ou au Luxembourg ou aux Bahamas, trois feuilles de son papier à lettre habituel (blanches avec sa signature en bas), etc.

Sur le papier blanc, l'escroc adresse à la banque un ordre de virement à son profit. Même sans signature originale en bas, ça marche; quelle banque embauche un graphologue pour expertiser une signature avant de payer un chèque?

On reconnaît là tous les ingrédients de l'escroquerie: un profit rapide et considérable, l'illégalité qui justifie le secret... C'est vrai, l'exportation illicite de capitaux existe, mais ça ne se traite pas par publipostage. Je prédis une recrudescence de cette escroquerie grâce à l'e﷓mail, qui permet d'écrire au monde entier sans se démasquer.

LA BOULE DE NEIGE

Tout le monde connaît le principe: le gogo est invité à entrer dans une organisation pyramidale de vente directe, naturellement pas à la base. En payant, il devient « chef de groupe » et reçoit une commission sur le travail de ses subalternes. Les exemples passés sont célèbres : IOS de Bernie Cornfeld, Swipe, Groupement Européen des Professionnels du Marketing...

Dans ma collection figure une offre fantastiquement alléchante: devenir « consultant en télécommunications ». Pratiquement: placer auprès des entreprises des abonnements à ces systèmes téléphoniques qui permettent de contourner les tarifs punitifs de certains pays. Le « consultant » touche ensuite une commission sur le chiffre d'affaire qu'il a engendré, ce qui peut dépasser le million de francs par an pour les siècles des siècles, amen, payable « offshore », naturellement!

Le « produit » n'est pas imaginaire, ces systèmes existent et se sont multipliés ces dernières années. On devrait seulement se demander comment on se fera payer par une société n'ayant qu'une boîte postale à Belize.

Ce qui est sûr et immédiat, c'est qu'il faut acheter toute une panoplie d'accessoires coûteux. Il n'y a pas de droit d'entrée car ce serait illégal dans tous les pays civilisés. Mais il faut acheter un manuel, du matériel publicitaire, un stock s'il s'agit d'une marchandise, des sessions de formation, j'en passe!

Autant le coup de la boule de neige est vieux (ça s'appelle aussi un jeu de Ponzi) autant le nombre des exemples célèbres prouve qu'il resservira indéfiniment. Le produit à vendre est toujours nouveau, réel et convaincant. C'est le montage qui est vicieux.

LE CLUB DES MALINS

C'est mon préféré, tant il est impudent. The Highlander Club s'inspirait à sa création de ce héros cinématographique immortel. Moyennant une cotisation modeste (73 $ US) on vous offre, à vous rien qu'à vous: une lettre mensuelle d'information, des secrets pour tripier votre capital en trente jours, les coordonnées des riches membres du club qui financeront vos projets, un certificat à encadrer et à exhiber dans votre salon (c'est un club secret ... ), un pins pour que les initiés puissent se reconnaître à l'aéroport en attendant leur Concorde (ça ne s'invente pas!) et plein de trucs encore plus mirifiques.

il y a évidemment des témoignages de membres, photomatons à l'appui. Une membre témoigne: le club lui a procuré de quoi commencer une nouvelle vie sous la forme d'un prêt sans condition de mille dollars (cinq mille francs, ça fait rêver, non ?)

Comment gagner des milliards en dix ans: importer de la camelote chinoise (il y en a partout, le plus dur n'est pas de l'importer mais de la vendre 1) Comment faire le tour du monde gratuitement: organiser des voyages et s'intituler accompagnateur (même si j'arrivais à constituer des groupes d'aventuriers du dimanche, je paierais pour ne pas voyager avec eux!) Quelles sont les cartes de crédit les moins chères, les banques qui offrent les taux d'intérêt les moins élevés, les compagnies aériennes qui offrent des points de fidélité, vital unbiased information you can't afford to be without! (sic) « Réponse à tout » et « Que choisir » en donnent autant pour quelques francs.

Dans le même esprit, il y a les fabricants de faux passeports, les innombrables ordres chevaleresques de Malte, les imprimeurs de diplômes d'universités inexistantes, etc. Le Dr Gerhard Kurtz, persécuté par le gouvernement allemand parce qu'il traquait les escrocs (Q, a trouvé refuge à Hong Kong et vend sa science pour seulement 149 $ US. Le Dr William Hill vous vend la liste secrète des lupanars d'Amsterdam et de Bangkok, avec les noms des meilleures prostituées (elles seront grand'mères quand vous lirez ses pathétiques compte﷓rendus).

The Oxford Club, qui ne réside pas au confluent de la Tamise et du Cherwell mais dans le Maryland (USA), offre des privilèges similaires mais ne vous donne que quinze jours pour envoyer votre chèque. Après, il ne voudra plus de votre personnalité exceptionnelle sélectionnée avec le plus grand soin.

LE COUP DU BERGER

Les joueurs d'échecs comprendront bien vite comment fonctionne l'arnaque du Tffipan de Hong Kong (tiens, encore ce nom ... ) La lettre mensuelle

recommande des actions à acheter sur les places boursières exotiques. Elle donne en exemple une longue liste des actions qu'elle a recommandées autrefois et dont le cours a doublé dans les semaines qui ont suivi.

Le système fut inventé, puis exploité jusqu'à la ruine, par Jim Sluter à Londres dans les années soixante. Il était alors chroniqueur boursier dans un tabldid, quand l'absence d'ordinateur (ça a changé, veuillez le noter) empêchait de détecter les joueurs qui étaient trop chanceux trop régulièrement. Il achetait le vendredi des actions d'une très petite société cotée. Le samedi, il recommandait ce titre à ses lecteurs. Le lundi, les gogos se ruaient et engendraient une vive hausse du cours (forte demande sur un titre rare). Le mardi, il vendait avec une jolie plus-value. Le mercredi, le cours retombait.

C'est ce truc simplissime que le Tcffpan vous vend sur la Bourse de Hong Kong (ah non, pas encore!) L'abonnement n'est pas cher, le style est distrayant, l'anglais excellent: c'est une lecture qui vaut bien les magazines en couleurs français. Mais n'écoutez pas les sirènes!

Une combine similaire fut mise en œuvre par le broker Peter Grant et par Foster Winans, journaliste au Wall Street Journal. Chaque jour, Foster écrivait une rubrique de cancans qui avait un impact visible sur le cours des actions qu'il vantait ou assassinait. En annonçant le sujet à Peter la veille, il lui permettait de jouer à terme et de gagner à tous les coups. Avis aux amateurs: la corrélation entre les articles de Foster et les heureuses inspirations de Peter fut détectée par la SEC en quelques mois. Ils avaient gagné moins d'un million de dollars.

Ce n'est pas une escroquerie, c'est même une très bonne affaire. Hélas, elle est criminelle. Vous avez cinquante-huit ans et votre employeur vous met en pré﷓retraite. Comment allez vous occuper votre temps, votre énergie intacte et le petit million de francs que vous avez mis de côté? Vous allez ouvrir un « bar à thème ».

Malheureusement, un pas-de-porte bien placé coûte très cher. La redécoration d'un bistrot aussi. Qu'à cela ne tienne, le représentant d'une bière connue dans le monde entier vous apporte la solution toute cuite: moyennant l'engagement d'acheter la bière en question, le brasseur vous accorde un gros prêt à taux zéro, sans aucune formalité. Vous recevez un premier chèque d'un million, tiré par une société inconnue sur une banque luxembourgeoise discrète, pour que vous puissiez commencer vos travaux sans délai. Ensuite, vous recevez un chèque de deux millions tiré sur une banque civilisée. Vous rembourserez six cent mille francs par an pendant cinq ans.

Il s'est passé qu'un trafiquant s'est servi de vous pour blanchir un million d'argent sale. Dans le pays civilisé, il déclare vous avoir prêté deux millions à 15 'X d'intérêt; cela se rembourse en effet moyennant cinq annuités de six cent mille francs. 15 % d'intérêt, pour un prêt sans sûreté, ce n'est pas délirant.

« Tant pis si l'argent est sale, la drogue été vendue et consommée depuis longtemps, de l'argent à ce taux j'en prends autant qu'on m'en offre ! » Ouais, on peut dire ça. Mais imaginez que votre « bar à thème » fasse un bide, donc que votre prêteur sur parole perde sa mise. Croyez﷓vous qu'il se fera une raison, ou qu'il se contentera de vous envoyer un huissier en redingote noir? Attendez﷓vous plutôt à une paire de malabars armés de barres de fer! Et si votre bar fait fortune, est-ce que le fisc ne va pas vous demander comment vous l'avez financé? Votre inspecteur va-t-il avaler cette histoire de prêt du Père Noël ? Je ne devrais pas avoir besoin de vous dire que le brasseur ne vous a jamais rien prêté et que le miraculeux intermédiaire a disparu.

ENTREZ DANS LA DANSE

J'ai passé sous silence les fonds de spéculation sur les devises, avec levier supérieur à cent, qui ont rapporté des fortunes pendant des années. C'est sûrement vous qui allez leur porter cette poisse qui va leur tomber dessus ès que vous aurez mis au pot.

J'ai passé sous silence les abonnements aux ventes aux enchères miraculeuses des gouvernements américain, panaméen, etc. Songez ﷓, des yachts, des immeubles entiers vendus pour un dollar! Si vous en êtes encore à confondre la mise à prix avec le prix d'adjudication, je ne peux rien pour vous.

Je vais maintenant, gratuitement et sans engagement de votre part (ni de la mienne) vous dire comment accéder à ces pactoles. Il suffit de vous abonner à un magazine international. J'ai le regret de le signaler : The Economiste, ce magazine britannique admirable de compétence, d'originalité et d'humour, offre en dernière page des petites annonces qui confinent à la complicité d'escroquerie. Répondez à une seule et toutes les autres vous démarcheront bientôt. Beaucoup de clubs supposés chics vendent aussi leurs fichiers d'adresses sans trop se soucier de l'usage qui en sera fait. UASTEC, notez-le, s'interdit strictement cette trop facile source de revenu.

Il y a des moyens encore plus chics et chers ﷓ pour entrer dans la danse. En 1983, Amex (LA carte de crédit) acheta la banque TDB, le top de la banque suisse et discrète pour milliardaires. Aussitôt, les clients de TDB furent inondés des publicités postales les plus vulgaires. Les amateurs d'anonymat étaient servis!

Une anecdote authentique pour finir sur une note sérieuse: Nui Onoue, restauratrice japonaise des années 80, boursicotait avec un tel succès que les banques les plus sérieuses lui prêtèrent un milliard pour jouer encore plus gros. Quand une affaire est juteuse, le financement n'est jamais un problème. On n'a pas besoin de la partager avec des inconnus par les petites annonces. CQFD.

Pierre Morichau, ENSAE 67,

qui raconte des carabistouilles à la BIRD depuis près de trente ans.

PS: Si vous vous êtes fait avoir racontez-le au lieu de pleurnicher dans votre coin!

Autrice

Pierre Morichau

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