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15 septembre 2003

Le financement des retraites en France

Publié par Nicolas Denis (Ensae 91),Laurent Doubrovine (Ensce 9 1) | N° 4 - Aspects économique et sociaux de la retraite.

Ma notion de droit à la retraite est une conquête du XXe siècle. La charge des «vieillards » devenus incapables de subsister à leurs besoins par l'exercice d'une profession a longtemps ressorti à la solidarité familiale ou corporative ou, à défaut, à des institutions charitables.

Le Règlement royal du 23 septembre 1693 institue, sous l'impulsion de Colbert, un fonds de retraite destiné aux marins de la Marine Royale, alimenté par « une retenue de six deniers par livre sur la solde des officiers marins de tous grades employés au service de Sa Majesté». Mais cette initiative, la première du genre, répond davantage à un souci de prestige et de reconnaissance qu'à une véritable préoccupation sociale.

Un siècle plus tard, la Constitution du 24 juin 1793 affirme la nécessité d'assurer «des moyens d'existence à ceux qui sont hors d'état de travailler » en leur versant une pension.

Puis, le XIXe siècle voit l'apparition de plusieurs systèmes de retraite professionnels, qui consacrent l'idée que les retraités en bonne santé peuvent bénéficier de ressources issues de la solidarité entre générations.

Il faudra néanmoins attendre 1910 (loi sur les « retraites ouvrières et paysannes») et 1930 (loi sur les assurances sociales) pour que soit défi ni-à l'origine pour les seuls salariés dont la rémunération est inférieure à un certain plafond - un système obligatoire s'imposant à tous et garantissant des revenus après la cessation d'activité.

Ces textes n'ont cependant connu qu'une application limitée. Ce sont les ordonnances de 19,45 sur la Sécurité sociale, puis la création des régimes de retraite complémentaire qui ont dessiné les contours du système de retraite que nous connaissons en France aujourd'hui.

UN SYSTÈME EN TOIS « PILIERS »

Selon une terminologie consacrée, le système français des retraites se compose de trois «piliers», ou encore de trois étages.

Le premier pilier est la retraite de base, gérée par la CNAVTS (Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés), qui est un organisme public. Comme tous les régimes de sécurité sociale, il est construit sur l'idée d'une solidarité nationale. La retraite est fonction du nombre d'années de carrière et du salaire moyen sur une période déterminée. Les prestations servies représentent 291 milliards de francs en 1 99~4 pour 8,7 millions de retraités.

Les systèmes de retraite complémentaire complètent ce premier pilier. Obligatoires, ils sont gérés par des institutions paritaires affiliées à l'Arrco (Association des régimes de retraite complémentaire) pour les non cadres et à l'Agirc (Association générale des institutions de retraite des cadres) pour les cadres. Les cotisations versées sont converties en « points »; la retraite servie dépend du nombre de points acquis et de la valeur du point à l'âge du départ en retraite. Les prestations versées par l'Arrco représentent 134 milliards de francs (pour 112 caisses de retraite) et 70 milliards pour l'Agirc.

Enfin, le troisième pilier est constitué par des mécanismes facultatifs additionnels mis en place au niveau d'une entreprise ou d'une branche d'activité pour compléter les deux premiers.
Les deux premiers piliers se caractérisent principalement par un financement selon le mécanisme de la répartition: pour une année donnée, les cotisations des actifs servent à payer les pensions des retraités. Ils répondent donc à une logique de solidarité entre les générations.

Le choix de la répartition au lendemain de la seconde guerre mondiale s'explique en particulier par la peur de l'inflation (une épargne immobilisée court toujours le risque de se déprécier en période de forte inflation), par la structure favorable de la pyramide des âges à cette époque (beaucoup d'actifs, peu de retraités) et par la volonté de pouvoir servir tout de suite des pensions significatives aux retraités.

LES DIFFICULTES DU SYSTÈME

Les mécanismes de répartition sont par construction sensibles à l'équilibre démographique entre les cotisants actifs et les retraités bénéficiaires des prestations. Or l'abaissement de l'âge de la retraite à 60ans, la progression de l'espérance de vie des retraités, la baisse de la fécondité, le taux de chômage élevé et la faible progression du pouvoir d'achat des salaires sont autant de facteurs qui contribuent à fragiliser l'équilibre de ce système.

En effet:
- la baisse de toux d'activité entre 55 et65 ans a été sensible depuis 1980: le taux d'activité est passé de 68% à 39%, notamment du fait de la possibilité de prendre sa retraite à 60 ans;
- l'espérance de vie à la naissance augmente d'un trimestre par an depuis 25 ans, et est passée de 67ans à 73 ans pour les hommes et de 74 à 82 ans pour les femmes. L'espérance de vie à 60 ans a progressé de 22% en une trentaine d'années (19 ans pour les hommes au lieu de 16 ans et 24 ans pour les femmes contre 19,6 ans);
- le taux de fécondité a diminué fortement: il est actuellement de 1,7enfant par femme;
- le taux de chômage atteint désormais 12% de la population active.

Les régimes de retraite par répartition vont donc connaître des difficultés croissantes, qui culmineront en 2005-2010, au moment de l'arrivée à la retraite des générations du baby boom.

Selon le Livre blanc sur les retraites, il faudrait, pour garantir l'équilibre futur des systèmes par répartition, doubler le taux de cotisation en le portant de 20% à 40% en 2040.

C'est pourquoi les déficits cumulés annoncés en juin 93, de 50 milliards de francs pour la CNAVTS en 199,4 et de 16 milliards de francs pour l'Agirc, ont poussé le gouvernement et les partenaires sociaux à réagir, en augmentant les cotisations et/ou en rendant moins avantageuses les pensions versées aux retraités.

LE NÉCESSAIRE DÉVELOPPEMENT DU TROSIEME PILIER.
Les difficultés rencontrées pour financer les deux premiers piliers du système de retraite, qui se traduiront obligatoirement à terme par une diminution des ressources des retraités, font apparaître la nécessité de développer le troisième pilier, notamment en mettant en place des systèmes de capitalisation (accumulation d'épargne, par opposition à la répartition).

Ces besoins de retraites complémentaires peuvent déjà être couverts grâce à des contrats d'«épargne-assurance », aussi bien sur une base individuelle que sur une base collective (contrat souscrit par une entreprise pour ses salariés). Mais, en pratique, il n'existe pas aujourd'hui de cadre fiscal correspondant à la notion d'épargne- retraite individuelle West-à-dire dont les fonds ne seraient pas débloqués avant la cessation d'activité du souscripteur). Or une incitation fiscale est un levier indispensable pour encourager un effort en ce sens. Les contrats dits « d'assurance vie », qui bénéficient d'une telle incitation, ne sont en rien spécifiques à la préparation de la retraite.

En revanche, un cadre existe depuis longtemps pour mettre en place dans l'entreprise des contrats collectifs de retraite supplémentaire en franchise d'impôt et de cotisations sociales (comme les deux premiers piliers): c'est ce que l'on appelle couramment « l'article 83 », par référence à l'article du Code général des impôts qui détermine le statut des cotisations au regard de l'impôt sur le revenu.

Comme pour tout dispositif venant compléter les deux premiers piliers, la souscription d'un contrat « article 83» est toujours facultative pour l'entreprise. Mais l'adhésion de tous les salariés de la catégorie assurée est, quant à elle, obligatoire pour bénéficier des déductions fiscale et sociale. Cette obligation est souvent avancée pour expliquer le faible développement de ces contrats, dont le marché est évalué à environ 5 milliards de francs d'encaissement (à comparer aux quelque 500 milliards de francs de prestations servis par le régime de base et par les régimes complémentaires de l'Agirc et de l'Arrco).

On peut noter qu'il existe dans la fonction publique des régimes bénéficiant de dispositions spécifiques de l'article 83 et qui présentent la particularité d'être à adhésion facultative: la Préfon (gérée par l'ensemble des principaux assureurs français), le régime de retraite de la profession hospitalière (géré par les AGF), ainsi qu'un régime mutualiste, le Cref.

Enfin, le législateur a accordé, grâce à la loi Madelin du 11 février 199,4, des dispositions fiscales favorables pour les travailleurs non salariés non agricoles. Ceux-ci peuvent désormais déduire de leur revenu imposable les cotisations obligatoires et facultatives à des contrats complémentaires de retraite.

VERS LA MISE EN PLACE DE FONDS DE PENSION ?

Les deux dernières années ont vu se succéder lesations enflammées de nombreux acteu déclarrs de la vie économique, appelant de leurs vœux la mise en place de « fonds de pension », à l'instar de ce qui se pratique couramment dans bon nombre d'autres pays (États Unis, Royaume Uni, Allemagne ... ).

En plus d'assurer le niveau de vie des futures générations de retraités grâce à un mécanisme venant compléter des systèmes de répartition en voie d'essoufflement, les fonds de pension permettraient, selon leurs promoteurs, de renforcer la capitalisation boursière de la place de Paris et, par la même occasion, les fonds propres des entreprises, en créant une nouvelle forme d'épargne investie majoritairement en actions.

Certes, la capitalisation n'est pas exempte de vulnérabilités (inflation, krachs boursiers ... ). Mais la superposition d'un système par capitalisation à un système par répartition permettrait de « ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier », et ainsi de mieux résister à l'ensemble des aléas économiques et démographiques.

Les propositions de mise en place de fonds de pension sont loin de faire l'unanimité: les sceptiques considèrent que le niveau actuel des retraites est assez élevé, de l'ordre de 70% du salaire d'activité. Ils considèrent en outre que les régimes complémentaires actuels disposent d'une marge de manœuvre qu'il serait aisé d'utiliser, sans réforme de fond. Ils prétendent en outre que l'épargne privée est suffisante, comme en témoigne les succès de l'assurance vie.

Quelles seraient les caractéristiques de ces fonds de pension ? Tout ou presque a été dit, si l'on considère la contribution de la FFSA (Fédération française des sociétés d'assurance), celle de l'AFB (Association française des banques), le compromis tenté par le CNPF (Confédération nationale du patronat français), ainsi que les propositions de loi déposées par le sénateur-maire de Compiègne, Philippe Marini, par Jacques Barrot, président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale et, plus récemment, par Charles Millon et Jean-Pierre Thomas.
Selon la plupart des projets, un fonds de pension prendrait la forme d'un contrat passé entre une entreprise ou un groupement d'entreprises, d'une part, et une compagnie d'assurance, une institution de prévoyance, une mutuelle ou même une banque, d'autre part. Il existe néanmoins un débat sur les mérites comparés de cette vision et d'une approche «interne» consistant en l'inscription dans les comptes de l'entreprise de provisions correspondant aux engagements pris envers ses salariés (c'est la méthode allemande). Certains projets envisagent même les fonds de pension comme des entités juridiques propres distinctes de l'entreprise et de l'organisme gestionnaire.

Les salariés des entreprises souscriptrices seraient libres d'adhérer ou non au fonds et pourraient choisir le montant et la périodicité de leurs versements. L’employeur déterminerait des règles d'abondement. Les cotisations salariales et patronales bénéficieraient d'une déduction sociale et fiscale.

La gestion du fonds, qui pourrait être déléguée (à une banque, par exemple), serait soumise à des règles de sécurité et de dispersion des risques voisines de celles prévues par le Code des assurances, mais encourageant les placements en actions. Elle serait éventuellement supervisée par un conseil de surveillance paritaire. Les revenus financiers et plus-values du fonds seraient exonérés d'impôt.

Au moment du départ en retraite, les salariés toucheraient une rente à vie, déterminée en fonction de l'épargne accumulée. il faut souligner que cette «sortie en rente» soulève d'interminables polémiques, certains plaidant pour la possibilité de « sortir en capital », c'est-à-dire de toucher le montant de cette épargne.

Pourtant, la rente permet de disposer d'un revenu jusqu'à la fin de sa vie. Elle évite que les personnes ayant reçu un capital ne se retrouvent à la charge de la collectivité une fois qu'elles l'ont dépensé. De plus, elle protège l'intérêt des conjoints grâce aux possibilités de « réversion » (transfert d'une partie des droits de la rente sur le conjoint survivant). En outre, les versements successifs évitent le risque financier de la « sortie en capital » et permettent une gestion financière à plus long terme, donc plus rentable. Enfin, la sortie en rente assure une cohérence fiscale avec la répartition (imposition des prestations et exonération des cotisations).

Où en est-on aujourd'hui? Le Premier ministre, comme le Ministre de l'économie, ont affirmé à plusieurs reprises leur attachement au sujet. Mais aucune réalisation n'a vu le jour pour l'instant (le Livre blanc date de 1991 !).

Avec des caractéristiques qui les rendraient proches des mécanismes d'épargne salariale, d'éventuels fonds de pension pourraient peut-être engendrer des flux de l'ordre de la dizaine de milliards de francs. Reste que l'accueil que les entreprises réserveront à un nouveau mécanisme de retraite est la grande inconnue; leur peu d'engouement pour les dispositifs déjà existants n'est pas très encourageant. Avec les mesures arrêtées par les régimes complémentaires de' l'Agirc et de l'Arrco, l'argent pourrait bien commencer à manquer...

Nicolas Denis (Ensae 91), responsable marketing GPA (Athéna Assurances).
Laurent Doubrovine (Ensce 9 1),responsable stratégie & marketing, AGF Direction Groupe.

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