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18 septembre 2003

Quelles perspectives pour l'union monétaire ?

Publié par Patrick Artus (Ensae 75) | N° 7 - Quel avenir pour l'Europe ?

Il apparaît clair que pour beaucoup de pays, réduire à 3 % le déficit public en 1997 sera impossible, nous nous demandons ce que sont alors les différentes possibilités ouvertes dans la perspective de l'unification.


En 1996, la croissance sera probablement faible en Allemagne et en France, nettement ralentie en Suède; l'Italie, le Danemark et l’Espagne pourraient conserver un taux de croissance voisin de 3%.
Le déficit public devrait de ce fait ne varier que peu en Allemagne et en France, rendant très difficile, dans le second cas, l'obtention d'un déficit de 3% du PIB 97.
Dans les pays à croissance forte (Italie, Espagne), même si des progrès sont réalisés, le point de départ élevé du déficit impose encore plusieurs années d'ajustement; le freinage suédois rend peu probable la poursuite d'une amélioration nette en 1997. Seul finalement le Danemark présente une évolution rassurante.
Le calcul de l'écart entre l'excédent primaire observé (c'est à dire le déficit public hors intérêts sur la dette publique) et 1, excédent primaire d'équilibre (celui qui permettrait de stabiliser le taux d'endettement public, rapporté au PIB) permet de juger de l'effort budgétaire qui reste à accomplir en particulier pour les pays dont le taux d'endettement est supérieur à 60%. Le tableau 2 montre que l'Italie et le Danemark ont déjà stabilisé leur faux d'endettement, malgré l'excès des taux d'intérêt réels sur les taux de croissance réelle. L’effort à accomplir est de 1,6 points de PIB en Allemagne; 2,7 en Espagne; 3,4 en France; 7,4 en Suède: dans beaucoup de pays, le taux d'endettement public va encore monter en 1996﷓97, ce qui les disqualifie pour l'unification lorsqu'il est supérieur à 60 %. Très probablement, si une interprétation stricte des critères de Maastricht est maintenue, il n'y aura pas d'unification monétaire en 1999.

PREMIERE PISTE
Unification très rapide pour les pays du cœur: souhaitable mais improbable
D'un pur point de vue économique, on peut évidemment souhaiter une unification monétaire très rapide pour la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-bas, le Luxembourg, éventuellement le Danemark et l'Autriche. Notons d'abord qu'il s'agirait d'une vraie unification et pas de la mise en place de marges de fluctuation très étroites, qui seraient rapidement testées par les marchés et ne pourraient pas être maintenues. Elle permettrait la convergence immédiate, des taux d'intérêt (à court ferme, sur le niveau choisi par la Banque Centrale Européenne, probablement voisin de celui des taux courts sur le mark, à long terme à un bas niveau grâce à l'absence de perspective inflationniste et à la crédibilité monétaire), Ferait disparaître la volatilité des marchés entre les pays concernés.
Si, d'un point de vue normatif, cette décision était très souhaitable, elle est cependant très peu probable. Elle est en contradiction avec le traité de Maastricht (qui prévoit la date de 1999); elle est techniquement difficile (le système informatique, les techniques d'interverition de la Banque Centrale ne sont pas prêtes); elle est refusée par l'opinion allemande. De plus, elle serait très difficile à présenter politiquement aux pays exclus, et affaiblirait la force de rappel dont bénéficient en principe ces pays après la création de la monnaie unique.

SECONDE PISTE

Modifier les critères
Certains envisagent de maintenir la date de 1999 (1997 pour juger des situations vis-à-vis des critères) mais de rendre les critères plus souples. Il est vrai qu'il n'est pas optimal de réduire fortement les déficits dans des années de faible croissance, et qu'il vaudrait mieux (en France en particulier) attendre un redémarrage, probable en 1997﷓98 grâce à la baisse des taux, à la bonne situation financière des grandes entreprises. Plutôt que de juger les déficits publics en fonction de leur évolution et non de leur niveau, ce qui est suggéré par certains, il serait raisonnable de remplacer le critère de déficit par un critère de déficit corrigé du cycle, tel qu'il est par exemple calculé par l'OCDE.

Ceci vaut d'ailleurs pour le contrôle des déficits publics après l'unification. Une règle rigide (déficit inférieur à 1 % du PIB par exemple) ne permettrait pas de réaliser de stabilisation conjoncturelle; une règle souple (1 % en moyenne, ou 1 % après correction de l'effet du cycle) serait préférable. Le Tableau 3 montre que si on fait ce calcul pour 1995, le déficit de la France se rapproche fortement du seuil de 3%, ceux de l'Italie, de l'Espagne et de la Suède restent sensiblement supérieurs. Le mauvaise conjoncture de 1996 implique qu'en 199697 la correction cyclique sera sensiblement plus forte qu'en 1995.

Les problèmes majeurs liés à la modification des critères sont d'une part, qu'il faut prendre quelques libertés avec l'interprétation rigoureuse du traité ou avec ses interprétations nationales; d'autre part, qu'elle change assez fortement la philosophie de l'unification.

Remarquons cependant que le traité (article 104C) permet en théorie une interprétation souple, puisque le déficit peut être accepté au-dessus du seuil de 3% s'il baisse fortement et approche 3 %, ou s'il est jugé exceptionnel et temporaire. Comme nous verrons plus loin, nous préférons la seconde possibilité (correction du cycle) à la première (baisse) puisqu'elle est plus discriminante entre les pays candidats. Par ailleurs, les interprétations



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Figure n°1 : Objectif monaitaire commun : l'euro


nationales (arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe) sont parfois plus rigides que le traité.

UNIFICATION SELECTIVE OU EXAMEN IMPARTIAL ?

Le traité de Maastricht n'organise pas une Europe à deux vitesses. Tous les pays qui satisfont les critères peuvent entrer dans l'union monétaire. Évidemment, au moment de la signature, on pensait que ceci n'avait pas d'importance puisqu'on croyait que vérifieraient les conditions du traité les pays au cœur du SME (Allemagne et France en particulier), donc que l'Europe à deux vitesses serait de facto organisée.

Les choses sont différentes aujourd'hui. il est probable qu'en 1997, les déficits publics ne seront pas très différents en France, en Italie, en Espagne, en Suède, au Portugal. Faire une exception pour la France romprait donc avec la procédure impartiale de sélection des pays organisée par le traité. Même si les allemands acceptaient l'unification avec la France, malgré l'excès des déficits publics, il n'en serait certainement pas de même pour les autres pays européens. Ceux-ci, dont l'accord est nécessaire, rejetteraient certainement une procédure d'unification liée à un choix a priori des pays éligibles, sans référence à des conditions objectives précises. Du moins, s'il n'y a pas rejet, il y aurait discussion serrée sur les compensations qu'obtiendraient les pays périphériques en échange de leur accord, portant par exemple sur l'organisation du système de change après l'unification (point que nous abordons plus loin). À l'inverse, l'Allemagne pourrait insister sur les règles budgétaires à mettre en place après l'unification.

L'intérêt de la correction du déficit public en fonction du cycle évoquée plus haut est double. D'une part, elle restaure une procédure objective, basée sur un calcul certes théorique mais impartial, et évite le choix « intuitu personae » des pays. D'autre part, et ceci est évidemment un argument de mauvaise foi, elle classe les pays dans les deux bons groupes, puisque le déficit corrigé de la France va probablement passer en dessous de 3 % en 1997.

TROISIEME PISTE

Report de la date d'unification
On propose de plus en plus souvent de conserver les critères de Maastricht tels qu'ils sont définis aujourd'hui, et de repousser la date d'unification (à 2 001 ou 2002). Cette solution a l'avantage de ne pas impliquer de modification du traité, puisque celui-ci permet une entrée progressive des pays dans l'union après 1999, au fur et à mesure de leurs progrès dans la satisfaction des critères. Elle présente un risque majeur lié à la réaction des marchés financiers. Le report de la date leur ferait craindre un ajournement continuel de l'unification, impliquerait probablement des achats de marks, un risque de crise de change en Europe, comme en 1992-93 et 95, une volatilité accrue des marchés financiers. Les positions compétitives des pays européens seraient à nouveau perturbé, les pressions en faveur de l'abandon de l'unification se renforceraient, l'ouverture des écarts de taux d'intérêt avec l'Allemagne accroîtrait le déséquilibre des finances publiques.

Même si le report a l'apparence de la raison, il mettrait l’aboutissement du processus de convergence à la merci des marchés.

COMMENT FAIRE L’UNIFICATION TOUT, DE MEME?

Il est probable que l'unification monétaire de l'Europe aura lieu, pour des raisons politiques et historiques, sinon économiques ( on connaît la longue liste des arguments macro-économique qui plaident contre l'unification: existence de chocs asymétriques, insuffisante mobilité des facteurs de production, absence de fédéralisme fiscal, de coordination des politiques salariales ou sociales ... ). Il est presque certain qu'elle n'aura pas lieu précocement, ni en 1999 en appliquant strictement le traité de Maastricht.

Il nous semble que le report de la date est trop dangereux, en raison du risque je crise sur les marchés, et qu'une interprétation intelligente des critères (en corrigeant par exemple le déficit public en fonction de la situation conjoncturelle est préférable.

Il faudra aussi que l'unification ne dégrade pas la situation des pays qui appartiendront à la zone de monnaie unique.

D'une part, et ceci commence à être clairement perçu, même en Allemagne, il est nécessaire d'éviter une nouvelle appréciation de la monnaie unique, qui sera attrayante, vis-à-vis du dollar.

D'autre part, il faudra réussir à stabiliser les monnaies des pays européens non-membres (les «out» ou plutôt «futurs in ») par exemple, par la mise en place de bandes de fluctuations vis-à-vis de l'Euro. Il paraît clair que la Banque Centrale Européenne ne pourra pas laisser aux Banques Centrales de ces pays le soin de réaliser cette stabilisation, et qu'elle devra s'engager à soutenir (par exemple par interventions intra-marginales) les monnaies de ces pays si elles sont attaquées. Ceci peut représenter un élément de négociation au moment de convaincre les pays du sud d'assouplir les critères.

Patrick Artus (Ensae 75) Caisse des Dépôts / Directeur des Études

Autrice

Patrick Artus (Ensae 75)

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