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04 novembre 2003

Diffërents exemples du Tiers-Monde

Publié par Pierre Morichau | N° 15 - Economie de l'eau

Tous les pays du Tiers-monde ont les mêmes problèmes de base:

• les consommateurs sont pauvres;

• les réseaux sont à créer, à crédit, donc les consommateurs doivent payer le coût du capital;

• une tradition culturelle fortement ancrée fait ressentir l'eau comme un bien public: les consommateurs acceptent de payer le transport mais pas l'eau elle-même.

L'expérience du Tiers-monde est surtout intéressante par des anecdotes qui illustrent des points de théorie économique.

BEYROUTH (LIBAN)

Dans les immeubles de très haut standing, les riches habitants utilisent couramment trois sources d'eau:

﷓ pour la boisson: l'eau « minérale » livrée en bombonnes de 18 litres ; elle coûte FRF 1555 leM3 ;

﷓ pour la cuisine : l'eau du réseau, irrégulièrement disponible, peu agréable au goût mais saine ; elle coûte environ FRF 1,20 le m3 ;

- pour le lavage et les toilettes : l'eau puisée dans un forage sous l'immeuble, non-potable ; le seul coût est celui du pompage, qui est inclus dans les charges générales de copropriété, donc le coût marginal pour le consommateur est nul.

LOMBOK (INDONÉSIE, ÎLE À L’EST DE BALI)

Le site naturel permet un développement touristique important, mais le tourisme de standing est très consommateur d'eau : on compte un M3 par touriste et par jour. Un petit barrage en cours de construction suffira à peine à alimenter régulièrement les rizières, qui sont indispensables à la population locale.

Le tourisme a une valeur ajoutée très supérieure à l'agriculture ; en outre, ses recettes sont en devises fortes ' La rationalité économique serait donc de réserver l'eau aux touristes, quitte à assister les populations locales par des transferts financiers ou en nature. Les populations revendiquent un droit local immémorial (surtout dans un archipel unifié politiquement depuis peu) et refusent de devenir dépendantes d'un état central lointain.

DJAKARTA (INDONÉSIE)

Dans cette ville immense, de très nombreux consommateurs puisent dans la nappe phréatique sous leur maison. Le niveau de la nappe baisse au point qu'on observe des intrusions d'eau de mer. Il faut injecter des eaux usées, semi-traitées, entre la mer et la ville pour rétablir la pression et repousser l'eau salée.

KAMANYOLA (ZAÏRE ORIENTAL)

L'eau était autrefois (au temps de la colonisation) fournie par des pompes à main, entretenues par des gardiens rémunérés par un modeste prix de vente. Les pompes sont hors d'usage car elles ne sont plus entretenues, la population refusant de payer l'eau. L'eau (très malsaine) est puisée à trois kilomètres dans une rivière ; elle est portée par des professionnels, que la population accepte de rémunérer car ils fournissent un travail visible. Une famille consomme alors 3 à 5 litres par personnes et par jour; l'eau portée est très chère : environ 0 F 40 pour un jerrycan de 20 litres, soit vingt francs pour un m3~ alors que l'eau en réseau coûterait 2 à Z francs. Dans cette région, le revenu monétarisé d'une famille est de quelques dizaines de francs par semaine.
L'eau par réseau sera chère, car il faut tout construire à neuf. Il n'est naturellement pas question de réseau d'assainissement liquide (ni de collecte des pollutions solides). La Banque Mondiale acceptera de financer un



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Figure n°1 : Album d'auteurs divers pour la fondation Daniel Balavoine


réseau sommaire, mais distribuant de l'eau saine. Elle acceptera que les habitants ne paient que le coût marginal: main d’œuvre, réactifs et énergie ; si possible aussi, une provision pour renouvellement des actifs à durée de vie courte (pompes, moteur Diesel). Quand les immobilisations (tuyaux, ouvrages de béton divers) réclameront des travaux coûteux, on espère que le niveau de vie local aura assez augmenté pour financer ces travaux par emprunt.

ZAÏRE, ENSEMBLE DU PAYS

En principe, le tarif est uniforme dans tout le pays. En pratique, la compagnie a fait (facilement) accepter un supplément dans les villes où le page est effectué par Diesel. Ail urs, le pompage est électrique et con me une électricité extrêmement on marché (fournie par le monopole national, qui tire le gros de ses ressources des utilisateurs industriels).
En principe, seule l'entreprise nationale peut vendre de l'eau. En pratique, dans les quartiers pauvres, elle tolère que des résidents se paient un branchement et revendent de l'eau aux voisins, gagnant ainsi largement de quoi se rembourser du branchement.
Il y a une telle différence de prix entre le jerrycan porté et le M3 au robinet que tout le monde y trouve son compte. En fait, le réseau rapporte surtout (en termes économiques) par les économies de coût de transport. Les tentatives pour chiffrer les avantages économiques de la santé publique montrent que le coût de l'eau saine est très supérieur à celui des maladies (médicaments, journées d'hôpital) qu'engendre l'eau malsaine.

KIGALI (RWANDA)

Certains quartiers ne sont desservis que par des fontaines publiques. Une fontaine est un édicule de béton, avec des portes métalliques fermant au cadenas et un compteur volumétrique. Le fontainier est un artisan indépendant qui paie l'eau à la compagnie selon le barème industriel (prix du M3 indépendant de la consommation). Il vend l'eau au seau (5 litres) ou au jerrycan (20 litres). Pour compléter son revenu, ils est autorisé à vendre des savonnettes, des lames de rasoir et autres petits accessoires. Une concession de fontaine est un emploi recherché. Les fontaines sont maintenues propres et l'eau n'est pas gaspillée.

ANTANANARIVO (RÉPUBLIQUE MALGACHE)

La ville très ancienne, se trouve dans un site montagneux. Le réseau comporte plusieurs étages de pression, les plus hauts exigeant un relevage de l'eau qui est puisée en fond de vallée. Le tarif, uniforme en principe, comporte un supplément de pompage pour les abonnés de l'étage supérieur. Heureusement, la tradition fait que les résidents des hauts quartiers sont les riches. L’explication est qu'Antananarivo est, de longue tradition, une ville de fonctionnaires ; dans les villes de commerçants, comme Lyon, les riches habitent en bas, près des cours d'eau qui sont aussi les voies de circulation.

RABAT (MAROC)

Une stipulation religieuse interdit (en principe) de vendre l'eau. Le prix facturé existe, mais il est très inférieur au coût de revient. Le seul poste sur lequel la compagnie peut dégager une marge nette positive est le coût de branchement. En conséquence, la compagnie pratique une politique agressive de développement de sa clientèle.
Les nouveaux branchés paient pour les anciens, c'est habile mais c'est une fuite en avant. La conséquence est déjà perceptible: les nouveaux clients sont plutÔt des petits consommateurs, qui n'utilisent que la tranche «sociale », vendue à perte. Il y a aussi beaucoup d'impayés. Le compagnie survit



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Figure n°2 : Dessin non-signé pour la fondation Daniel Balavoine


car elle finance son déficit de trésorerie par la trésorerie excédentaire de son activité «électricité».
Les appartements en copropriété ont des abonnements individuels (contrairement à l'usage français). Il existe quelques cas de petits immeubles appartenant en totalité à un investisseur qui loue des studios. Dans ce cas, il n'y a qu'un seul abonnement à l'eau, mais le nombre de logements est déclaré à la souscription. En tarification, il y a autant de « tranches sociales » que de logements.
Les propriétaires de grandes maisons individuelles, avec façades et portes sur deux rues différentes, déclarent deux logements et souscrivent deux abonnements à l'eau pour un unique logement. Ainsi, ils bénéficient de deux « tranches sociales » au lieu d'une,

MONBASA (KENYA)

La compagnie (il y en a plusieurs, avec plusieurs statuts juridiques, dans le pays) a imposé, difficilement et avec l'appui de l'État, un barème progressif. Pour que les riches ne profitent pas de la tranche sociale (subvention « imméritée ») elle applique le prix marginal à la totalité de la consommation: quand le volume mesuré franchit un seuil tarifaire, le prix de facturation des m3 précédents augmente. Ce tarif est contraire à la constitution de la république puisqu'il revient à vendre le premier m3 à des prix différents selon le consommateur, ce qui est une discrimination.

PHILIPPINES,ENSEMBLE DU PAYS

De culture américaine, le pays est très libéral. Pourtant, il est reconnu que les réseaux d'eau potable doivent être développés dans les communautés isolées. Une institution centrale reçoit les crédits nationaux et les aides internationales, puis les utilise pour faire des crédits aux communautés qui construisent et gèrent un réseau d'eau local.

L'institution fait des crédits à annuité constante de remboursement, intérêt plus principal. Normalement, les bailleurs de fonds demandent des remboursements constants de principal, intérêt en sus, ce qui engendre une très lourde charge de trésorerie au début, précisément quand les recettes ne sont pas encore établies.

PANAMA CITY

En 1995, la compagnie a acquis quelques milliers de compteurs neufs (français). Il est apparu que la meilleure utilisation de ces compteurs consistait à les placer chez les clients riches, déjà possesseurs de compteurs. Les compteurs anciens seraient révisés et placés dans les quartiers où le comptage n'existait pas mais finirait bien par s'imposer. La justification était une rapide étude statistique sur un échantillon homogène de consommateurs pourvus de compteurs en pieds-cubes, gallons et M3.

Sur une année entière, les consommations unitaires de ces trois sous-groupes présentaient les mêmes variations saisonnières, ce qui confirmait l'homogénéité de l'échantillon . Mais les consommateurs mesurés en pieds-cubes consommaient régulièrement 120 % de moins que ceux en gallons, eux-mêmes consommant 10 % de moins que ceux en mètres-cubes (tous chiffres convertis en M3 sur les factures, naturellement).

L'explication est que les compteurs en pieds﷓cubes avaient 12 à 20 ans d'âge, les compteurs en gallons 5 à 10 ans et les compteurs en ml moins de 5 ans. Un compteur est calibré à sa mise en service; par la suite, usure et encrassement engendrent un sous-mesurage, jamais un sur-mesurage. L'opération projetée allait augmenter les mesures chez les consommateurs riches, donc permettre de facturer plus de M3 au prix fort.

Pierre Morichau, ENSAE 67

Autrice

Pierre Morichau

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