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04 novembre 2003

De la demande a l'offre d'eau

Publié par François Lorilleux | N° 15 - Economie de l'eau

par François Lorilleux, ingénieur-conseil


Un consommateur, résidentiel ou professionnel, demande un certain volume d'eau par jour. Mais cette demande, si elle est relativement facile à connaÎtre, n'est pas uniforme: elle varie avec l’heure, la saison, etc. Or le consommateur exige, en plus du volume proprement dit, la disponibilité. Il ne suffit pas de raisonner en débit moyen, il faut aussi pouvoir faire face à la pointe de demande, prévisible ou pas.
On comprend que de petites variations autour de la moyenne peuvent être « lissées » par des stocks judicieusement répartis dans le réseau de distribution. De grandes variations, singulièrement des variations saisonnières, exigent plus que du stockage: il faut dimensionner la ressource en conséquence. Or il est bien évident que la pointe de demande saisonnière se situe en été, précisément quand la ressource naturelle (source, lac) faiblit.

Les règles de dimensionnement d'un réseau d'eau sont encore très empiriques; elles résultent de l'expérience de l'exploitant. Il est clair que les statisticiens et les micro-économistes ont encore beaucoup à apporter à l'ingénieur.

LA DEMANDE ET LE BESOIN

Le besoin en eau d'une zone à desservir comprend la demande des consommateurs et les pertes du réseau. Les pertes ne sont jamais nulles: même dans un réseau neuf et bien construit, 10 % à 15 % de pertes est considéré comme raisonnable. Les pertes peuvent atteindre 70 % dans un réseau ancien et médiocrement entretenu, ou si les conditions physiques sont défavorables. Un terrain rocheux rend le tracé et la construction plus difficiles. Un terrain fortement dénivelé exige une pression de service plus élevée, donc un plus grand débit aux joints défectueux.

Dans un réseau ancien, les pertes se détectent par des mesures de débit aux nœuds, puis par détection électro﷓magnétique le long des canalisations.

Dans un réseau nouveau, il faut intégrer le futur taux de pertes dans les besoins à satisfaire. Il est estimé par le constructeur et par le futur exploitant en fonction de leurs expériences dans des sites similaires. Il n'existe pas d'étude statistique pour étayer la prévision des pertes. Il faudrait constituer une base statistique de réseaux variés et savoir les décrire.



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Figure n°1 : Réservoir de Montsouris, Paris, poste de contrôle. Société Anonyme de Gestion des Eaux de Paris "SAGEP produit l'eau de Paris"


Mais la mesure même du taux de perte varie avec l'exploitant...

La demande des consommateurs peut être estimée a priori ou a posteriori. «A priori » consiste à effectuer, dans la zone à desservir, une enquête auprès des ménages et des autres consommateurs. « A posteriori » consiste à mesurer la demande dans la zone elle-même (s'il s'agit d'un projet d'amélioration) ou dans une zone similaire bien desservie.

Les exploitants, privés ou publics (municipaux), collectent beaucoup d'information mais ils tendent à la considérer comme un secret commercial. En outre, leurs méthodes de collecte, de classement et de conservation sont totalement hétérogènes.

Une tradition, qui date du temps où l'eau avait un prix insignifiant, veut qu'il n'y ait qu'un branchement et une facture par immeuble. Dans une zone pavillonnaire, il y a bien une facture par ménage. Dans une ville dense ' singulièrement dans Paris, l'exploitant ne sait pas combien de ménages (a fortiori de personnes) sont desservies par un branchement. Dans le cas d'un grand immeuble, il y a en outre « lissage » des pointes de demande par le « foisonnement » : deux ménages différents ont des modes de vie différents, donc des horaires différents. Leurs pointes de demande sont décalées, donc ne s'additionnent pas. Pour une centaine de logements, le « foisonnement » réduit significativement le débit maximal à mettre en place: la pointe totale équivaut à 90 pointes individuelles seulement.

LES MESURES MODERNES DE LA CONSOMMATION

Les techniques modernes commencent d'entrer en service. Les compteurs individuels dans les appartements sont très difficiles (donc très coûteux) à relever régulièrement. On commence à mettre en place des compteurs à capteurs électroniques qui permettent le télé-relevé : l'information est envoyée par un fil à un totalisateur se trouvant sur le palier ou en pied d'immeuble. L’employé de l'exploitant, muni d'un appareil de lecture électronique, relève les consommations rapidement et sans erreur. Ensuite, les chiffres sont injectés dans l'ordinateur qui établit les factures. Dans les quartiers pavillonnaires, le fil peut aboutir à un panneau de bois en façade de la maison: le releveur pose un capteur sur ce panneau



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Figure n°2 : Usine de potabilisation de Paris


et lit la consommation sans avoir besoin d'entrer. Dans certains quartiers-pilotes, le compteur émet vers la rue et le releveur passe devant la maison en voiture avec un radio﷓récepteur, sans s'arrêter. Le technique la plus récente, mais déjà en service, consiste à coupler la vanne d'entrée à une compteur électronique « crédité » par une carte à puce. Le consommateur charge la carte du montant qu'il veut chez le syndic de l'immeuble ou l'exploitant de l'eau. Quand le crédit de la carte est épuisé, la vanne ne donne plus que le « minimum social » : une trentaine de litres par jour (puisqu'en France il est interdit de couper l'eau en cas de non-paiement).

Le cas le plus prometteur est celui des immeubles servis en eau et en télévision câblée par le même exploitant : les consommations d'eau sont envoyées par le câble à l'ordinateur central de l'exploitant, sans aucune intervention humaine. L’ordinateur relève les compteurs automatiquement ; des expériences sont actuellement en cours en France avec dix relevés par heure, vingt-quatre heures sur vingt quatre. L’ordinateur produit alors des statistiques très fines de consommation. Une consommation non-nulle à trois heures du matin révèle une fuite dans l'immeuble. Une consommation nulle pendant plusieurs jours de suite révèle un immeuble inhabité, ou un compteur bloqué. On voit tout de suite que ces mesures sont très indiscrètes ; si elles se généralisent, des consommateurs invoqueront la loi «informatique et liberté». On sait, par exemple, qu'un logement a une très vive demande en eau vers dix heures du soir : à la fin du film télévisé, toute la famille va aux toilettes et tire la chasse ! Il suffit donc de noter avec précision l'heure de cette pointe pour savoir quelle chaîne la famille regardait

LE STOCKAGE ET SES LIMITES

Une pointe horaire de demande peut se lisser en insérant des réservoirs en des points stratégiques du réseau. Les réservoirs servent aussi à régler le débit : dans un réseau ordinaire, les réservoirs sont situés aux points hauts. L'eau est pompée jusqu'aux réservoirs, d'où elle coule par gravité jus qu'aux consommateurs. On assure ainsi une « pression de service » de l'ordre de un à deux bars (un bar vaut environ un kilogramme



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Figure n°3 : Réservoir de Monsouris, Paris, vue intérieure


par centimètre carré). Les amateurs d'étages élevés, au-dessus du dixième à Paris, doivent s'équiper de surpresseurs et les faire fonctionner à leurs frais.

Dans toutes les villes, il existe aussi des consommateurs très particuliers et exigeants : les pompiers. La compagnie des eaux doit pouvoir leur fournir, moyennant un préavis qu'on imagine bref, un grand volume d'eau sous une pression très forte en un point très précis du réseau. En France, seul Paris dispose d'un réseau d'eau non-potable pour les pompiers et les bassins publics ; partout ailleurs, les pompiers utilisent le réseau potable.

Les réservoirs ne peuvent pas entièrement lisser les pointes du matin et du soir. Ces pointes exigent couramment un débit égal à 1,4 fois le débit moyen dans une grande ville, mais elles peuvent représenter jusqu'à 3 fois le débit moyen dans une petite ville (où le foisonnement est moindre). L’eau stockée doit être renouvelée toutes les vingt quatre heures au moins, sinon sa potabilité est compromise, ce qui limite le recours aux réservoirs... outre qu'ils sont un poste important dans le coût de construction d'un réseau.

Un réseau est maintenant conçu par un logiciel informatique qui applique les formules de Hardy-Cross et indique la pression obtenue en tout point du réseau à tout moment. C'est un calcul itératif de simulation, dont la durée se mesurait en dizaines d'heures autrefois ; maintenant, avec un micro-ordinateur moderne, ce sont des minutes. Le logiciel produit aussi une visualisation en couleurs du réseau, sur laquelle l'ingénieur peut tester des variantes en intervenant sur l'image avec une souris. Tous les grands exploitants-constructeurs possèdent leurs propres logiciels.

Le logiciel permet aussi de simuler le fonctionnement du réseau après dix ou vingt ans, quand les canalisations se seront entartrées et auront donc perdu de leur capacité, tandis que les habitudes de consommation auront augmenté !

Il n'est évidemment pas question de stocker de l'eau en hiver en vue de l'été. Il faut donc ajuster le captage des ressources en fonction de la saison la plus défavorable. On sait assez bien mesurer le débit d'une rivière, ou ce qu'on peut prélever dans une nappe phréatique sans



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Figure n°4 : Aqueduc de Montereau


un faire baisser dangereusement le niveau. Un réseau est souvent alimenté par plusieurs sources différentes, ne serait-ce que pour assurer sa sécurité. Les sources, de surface et de profondeur, ne sont pas forcément situées sur le territoire de la commune. Paris va chercher son eau à plus de cent kilomètres. Les ressources sont alors gérées par un syndicat intercommunal, lequel reçoit des redevances des exploitants des réseaux, qui les ont prélevées sur les consommateurs. Le syndicat intercommunal paie à son tour une redevance à l'agence de bassin, pour veiller à la qualité des ressources et à leur pérennité.

ET LE POUVOIR DE L'ARGENT.

Ici le concepteur devrait « boucler » ses calculs : le prix de revient de l'eau varie avec la quantité livrée, mais la quantité demandée est évidemment fonction du prix, donc il se peut parfaitement que le réseau initialement conçu ne tienne pas debout financièrement.

Un réseau d'eau, comme tout réseau, a des coûts fixes énormes et des coûts variables minuscules. Donc, en principe, le coût marginal décrôit fortement quand le volume consommé croit. Il y a toutefois un facteur de coût croissant, celui de la ressource et du transport de l'eau brute. Il faudrait donc concevoir un réseau sur la base de standards de consommation unitaire et de prix de vente, puis vérifier que les recettes futures couvriront bien les coûts (dont le service de la dette à long terme contractée pour financer les travaux), et au besoin itérer. Il n'est pas du tout évident que l'on convergera. Si le coût est décroissant, il faut vendre beaucoup pour abaisser le prix ; la demande peut être insuffisante. Si le coût est croissant, le réseau compatible avec la capacité à payer des consommateurs peut être ridiculement restreint. Ces situations se rencontrent fréquemment dans les projets de réseaux nouveaux, dans les pays en développement.

Cela se termine presque toujours par une subvention de la collectivité nationale, ou par un renoncement à la pérennité du réseau, Les « besoins » en eau, donc l'offre à mettre en place impérativement, ne sont plus alors une affaire technique, ni économique, mais sociale et politique.

François Lorilleux

Autrice

François Lorilleux

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