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10 septembre 2003

Claude FITOUSSI (SEA 69)

Claude Fitoussi, aviez-vous un projet particulier en choisissant d'intégrer l'Ensae ?

Matheux, mais passionné de philosophie, j'ai choisi l'Ensae car c'était la seule école scientifique qui off rait une ouverture sur le monde. En fait, j'étais attiré par le concret et par les contacts humains, que j'avais découverts, enfant, dans la quincaillerie de mon père.

Quel souvenir avez-vous gardé de ces années à l'École ?

J'ai passé des années passionnantes à l'Ensae, puisqu'elles ont marqué un tournant dans le style de l'École. Les événements de 68, que j'ai vécus à l'Ensae, ont remis en question la forme très traditionnelle des rapports d'autorité et des relations profs-élèves qui avaient cours. J'ai été très impliqué dans cette effervescence en tant que président du Bureau des élèves (BDE), ayant aussi été à l'initiative du lancement de l'ancêtre de Variances, qui s'appelait Le Corrélateur. Du fait des événements de mai 68, j'ai d'ailleurs été le Président du BDE qui a eu le plus long mandat: près de 2 ans! Et j'ai négocié à l'époque diverses réformes avec M. Ripert, alors D.G. de l'Insee, et M. Croze, Directeur de l'Ensae.
C'était le début du positionnement de l'École comme une école commerciale intermédiaire, en fait, entre les grandes écoles d'ingénieurs d'une part et commerciales d'autre part. Ce qui s'est accentué par la suite, le marketing attirant de plus en plus de gens de l'Ensae, qui est vraiment la meilleure école pour former des spécialistes du marketing.

Après cette scolarité riche d'expériences, comment avez-vous démarré dans la vie professionnelle ?

J'ai commencé par travailler quelque temps à la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris, où j'ai participé à la création d'indices de suivi du commerce en France; je travaillais au Centre d'Observation économique, avant d'entrer dans un cabinet conseil: l'Institut d'Étude et de Mesure de la Productivité. J'y ai fait beaucoup de statistiques sur des problèmes de recherche opérationnelle, de gestion de la qualité.... des études assez techniques encore qui, finalement, ne me passionnaient pas vraiment, mais me permettaient d'appliquer ce que j'avais appris. C'est alors que j'ai eu la chance de faire une étude pour la BNP, où il avais beaucoup de champ libre. J'ai ainsi mis en place un système d'information marketing, le premier qui ait existé dans une banque française, sans savoir d'ailleurs que j'étais en train de faire du marketing! J'étais parti d'une analyse des fichiers clients et d'études d'implantation de guichets et, si cela avait beaucoup intéressé la BNP, cela m'a surtout donné le goût du marketing, et j'ai commencé à m'informer sur ce qui se faisait aux États-Unis.

D'où votre idée de monter un cabinet conseil?

Pas tout à fait, car j'ai d'abord proposé à mon patron de reprendre une petite unité de son groupe, l'Institut Proscop, qui était un peu en sommeil, et qui fournissait alors aux entreprises des indices de richesse vive, utiles pour l'évaluation des potentiels de vente par zone géographique. J'ai recruté une petite équipe de commerciaux, bâti quelques produits attractifs (formation, club, études) et, assez vite, les choses ont évolué très positivement. Les effectifs ont atteint une vingtaine de personnes et nous avons vraiment commencé à jouer le rôle de cabinet conseil en marketing auprès des entreprises. Cela a duré jusqu'en 1974, avril 1974 précisément, où j'ai décidé de créer ma propre société, fort du succès de ma première expérience de chef d'entreprise. J'avais 28 ans.

Société qui s'appelait déjà Agence (ou Cabinet) Claude Fitoussi Conseil?

Oui, un ami m'a suggéré de lui donner mon nom, dans la mesure où un certain nombre de cadres et de dirigeants d'entreprise me connaissaient pour avoir suivi les cours de statistiques et de sondages que je donnais à cette époque au Cnam et à IIFG (ex ICG). Cela me semblait un peu prétentieux, mais j'ai suivi le conseil et, finalement, je n'ai pas eu à le regretter, car j'ai appris plus tard l'importance, pour une firme, de mettre en avant son dirigeant.

Au départ l’activité de votre cabinet, l’Agence Claude Fitoussi Conseil, était donc le conseil en marketing ?

Oui. Au début nous avons essentiellement travaillé sur les études de marché, la stratégie commerciale, le lancement de nouveaux produits, etc., tout ce qui permet à une entreprise de mieux cibler son action, de mieux préparer son développement. C'est trois ou quatre ans plus fard que j'ai développé une nouvelle activité, à la suite, en fait, d'une rencontre avec un autre univers culturel, celui des psychologues. Un peu agacé au départ, je l'avoue, par leur discours hermétique, j'ai quand même compris l'intérêt d'une approche pédagogique centrée sur les hommes. C'est comme cela que j'ai commencé à monter des séminaires de formation de commerciaux à la négociation et aux techniques de vente, et décidé de développer le conseil sur les problèmes des forces de vente. À l'époque, ce créneau, qui semblait toutà fait prometteur, était très peu occupé. Et le contact avec l'univers des vendeurs m'a passionné et enrichi.

Vos résultats ont-ils été à la hauteur de vos espérances ?

Oui. Entre 1977 et 198 1, il y a eu une période vraiment faste où nous avons obtenu des succès considérables, formant des bataillons de commerciaux dans des séminaires sur les techniques de vente et, pour les cadres, sur l'animation des forces de vente. Nous avions aussi mis l'accent sur les systèmes de rémunération et de motivation des commerciaux. Avec mon équipe, j'avais réalisé une gigantesque étude avec le journal Le Point sur cette question, qui
a été publiée en 1978. Elle en faisait la « une » sous le titre « Le temps des vendeurs et ce qu'ils gagnent», et elle était reprise, toujours par Le Point, quatre ans plus tard en partenariat avec nous.

La taille de l'entreprise a-t-elle beaucoup augmenté avec le développement de cette activité ?

Oui et non. Nous avions stabilisé les effectifs de la société autour d'une trentaine de permanents, en disposant par ailleurs de réseaux d'intervenants, des enquêteurs et ensuite des formateurs de plus en plus nombreux et de niveau de plus en plus élevé. Mais, depuis 1980, je travaille avec une autre équipe de formateurs de premier plan: des journalistes.

J'ai vu qu'il y avait parmi eux des gens d'un très grand professionnalisme et eux-mêmes ont, à mon contact, porté un jugement moins négatif sur le marketing, considérant finalement



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Figure n°1 : Claude Fitoussi


qu'ils vendaient eux aussi quelque chose, à savoir de l'information. Ensemble, nous avons inventé une approche originale et performante de la communication médiatique.

Cette rencontre avec les journalistes a-t-elle ouvert une nouvelle étape dans le développement de vos activités ?

Oui, j'ai pensé qu'il fallait exporter le savoir-faire des journalistes vers le monde de l'entreprise en lançant des séminaires de formation à la communication pour dirigeants d'entreprises. Formations dans lesquelles des journalistes aident ces dirigeants à être percutants, en travaillant sur le plan de la stratégie, du message, de la forme verbale, du comportement, de la gestuelle, etc. Nous avons formé ainsi les cadres de grandes sociétés comme Philips, Péchiney, Accor, Ciba Geigy, Cetelem, BNP, Rhône Poulenc, et les dirigeants de professions comme le notariat, l'agriculture (FNSEA), la pharmacie, la banque, l'assurance, etc., en bénéficiant du talent des gens avec qui j'ai lancé cette activité: Ivan Levcif, Jean-François Kahn, Albert du Roy, Pierre-Luc Séguillon, Christine Ockrent, Michèle Cotta, Roger Gicquel, Marie-France Cubadda, Paul Nahon, Jean Ferniot, Ruth Elkrief, Joseph Poli, William Leymergie, Paul Lefèvre, Jacqueline Alexandre... pour n'en citer que quelques-uns parmi les 70 avec qui je travaille.

La communication est la troisième activité de la société que vous avez créée en 7974. C'est maintenant la plus importante pour vous ?

Aujourd'hui, la communication sur trois axes: interne, médiatique et commerciale, est le fleuron de nos activités, et celle pour laquelle beaucoup de choses restent à faire. Je pense que les entreprises doivent évoluer en introduisant une démarche marketing dans leur stratégie de communication. En effet, de même que l'on consulte le consommateur pour savoir comment satisfaire au mieux ses besoins, et qu'on le fait réagir sur les produits, j'ai la conviction que les entreprises auraient intérêt à tester systématiquement leur communication, interne comme externe, auprès de journalistes.

C'est cela que nous pouvons leur proposer avec un panel de journalistes qui va en quelque sorte valider leurs messages, leurs approches, leurs campagnes... On peut ainsi les aider à élaborer une stratégie de communication médiatique originale et percutante.

Cette méthode a prouvé son efficacité auprès de plusieurs de nos clients. Et si la communication constitue aujourd'hui la part la plus importante de notre activité, c'est aussi parce que des entreprises nous confient maintenant la gestion de leurs relations presse et nous demandent de médiatiser globalement leurs activités, conscients de l'intérêt du système des « 3C » que nous leur proposons: Cohérence, Cohésion, Continuité.

Nous pouvons donc développer de manière considérable, pour les entreprises et collectivités, la présence, médiatique positive, y compris à la télévision, de leurs produits, de leurs événements, de leurs dirigeants.
Nous travaillons beaucoup, par exemple, sur ce que l'on appelle les «événements médiatiques», c'est-à-dire la communication événementielle. Créer et promouvoir un festival, mettre au point une campagne d'information sanitaire des pharmaciens, réaliser un sondage surprenant... Nous prenons en charge la communication d'entreprises, de collectivités territoriales, de groupes professionnels très divers. Et c'est passionnant car il faut aller au fond des choses, il faut mettre en forme les idées, les propos des gens pour lesquels on travaille. Je suis ainsi devenu un des spécialistes des problèmes d'arrêt du tabac, à force d'écouter les meilleurs spécialistes de ces questions pour préparer une campagne de prévention sur le sujet, puis un spécialiste du notariat, de l'assurance, de la banque, de l'informatique, de l'automobile, du service...
C'est vraiment un métier multiple où l'on s'imprègne, à chaque fois, de la culture et du talent d'une profession, d'un milieu, d'un groupe d'experts, en allant ainsi, à chaque fois, à la rencontre d'un public différent.

De ce parcours de l'Ensae à la communication, que reste-t-il du statisticien ?

Statisticien de formation, on garde une certaine structuration de la pensée, une logique implacable. On a appris à organiser les idées et les tâches, à ne pas perdre de vue l'essentiel, en travaillant sur les grandes tendances, les grandes masses, avant de se perdre dans les détails, dont on ne néglige alors aucun. C'est en cela que l'Ensae est sans doute la meilleure formation pour devenir consultant, une formation permettant de saisir et de synthétiser ce qui est le plus important, dans des contextes très divers, et ensuite d'analyser tous les détails avec méthode et efficacité. Et puis, de ma formation statistique, il reste une aptitude originale à réaliser des « sondages médiatiques » pour mes clients.

Pour vous, qu'y aura-t-il après la communication ?

Une fois que l'on attrapé le virus de la communication, je crois que l'on ne peut plus quitter ce métier! Simplement, j'ai envie d'être davantage acteur du développement d'entreprises, en ne me contentant plus seulement de conseiller les autres. J'ai des tas de projets d'activités à créer, certains étant déjà en cours de réalisation. D'une façon plus globale je crois d'ailleurs que, malgré la crise, peut-être grâce à elle, nous vivons un moment privilégié pour créer une entreprise, dans les services en particulier, où il y a énormément de créneaux à exploiter.

Qu'est-ce qui est le plus déterminant pour réussir dans la création d'entreprises ?

La création d'entreprise est beaucoup plus une affaire de tempérament que de formation, car créer une entreprise, c'est vouloir modeler la vie à son goût, c'est chercher à transformer un rêve en réalité, c'est préférer les risques de la liberté au confort de la sécurité. En étant d'ailleurs un peu inconscient. Parfois, cela peut aider!... Mais surtout il faut être très « bosseur», et ne pas espérer concilier harmonieusement vie privée et vie professionnelle lors des premières années. J'ajouterai que, pour réussir dans les affaires, il faut aussi avoir l'envie de convaincre, ne pas avoir honte d'être demandeur, et parfois oublier son amour-propre, au profit de l'efficacité. L’essentiel, pour développer une entreprise, c'est d'atteindre ses objectifs, de trouver son bonheur dans cette réussite et de la faire partager. Les contraintes sont bien plus fortes que les facilités. Mais, au bout, il y a la joie de créer, d'apprendre et de construire, avec les autres.

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