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15 septembre 2003

Patrick Artus Ensae 75

directeur des études économiques Caisse des Dépôts et Consignations


Patrick Artus, vous avez rejoint la Caisse des Dépôts et Consignations en 1988, avec pour mission de créer un service d'études économiques. Qu'est-ce qui justifiait cette création à ce moment-là ?

Jusqu'à cette date les activités de marché restaient encore assez limitées, et la Caisse des Dépôts n'avait pas ressenti le besoin de développer un véritable service d'études économiques. C'est après le krach de 1987 que le directeur de l'époque, Robert Lion, a jugé qu'il serait bon d'avoir une équipe d'économistes un peu étoffée, qui pourrait avoir du recul et un regard extérieur sur les anticipations des personnes qui exercent une activité de marché.

J'ai donc démarré avec la petite cellule de quatre personnes qui existait déjà et j'ai recruté un nombre conséquent de personnes, assez vite, pour monter une équipe solide, capable de mener des analyses de fond tout en étant au service des opérationnels.

Depuis sa création le service a pris beaucoup d’ampleur?

Oui, puisqu'il comprend aujourd'hui une quarantaine de personnes (en incluant la documentation). Mais il a aussi beaucoup évolué dans l'orientation de ses activités. Au départ, c'était plutôt un service d'économie bancaire, assez généraliste, comme il y en existe dans les grandes banques. Ces dernières années nous infléchissons nos activités, en les orientant plus nettement vers le soutien aux clientèles de marchés, vers le conseil aux activités de marché de la Caisse des Dépôts. Nous développons fortement la part des analyses très pointues sur les différents aspects des marchés, ce qui donne une coloration financière plus marquée au service.

Le service est donc là pour répondre aux besoins des opérationnels et pour les aider à prendre des positions...

Notre rôle est effectivement d'aider les opérationnels à faire les bons choix pour les clients de la Caisse des Dépôts. Nous le faisons en déchiffrant l'information économique sous laquelle les gens croulent aujourd'hui. Nous analysons cette information pour donner des indications aux intervenants sur les marchés entre ce qui est important et ce qui ne l'est pas, ce qui est juste et ce qui est faux, afin de leur éviter de se laisser influencer par des consensus de marché dont on ne connaît pas très bien l'origine. On doit en fait pouvoir leur tenir des opinions un peu décapantes, surtout quand on pense que le consensus du moment n'est vraiment pas fondé.

Cela suppose un travail très en profondeur?

Oui, absolument. Il faut comprendre que nos interlocuteurs sont des gens redoutables, qui ne font pas ce que nous faisons, avant tout parce qu'ils n'ont pas le temps. On ne peut donc pas se contenter de leur donner ce que l'on voit un peu partout. Il faut leur retransmettre les résultats essentiels d'un travail de fond, d'analyses poussées qui mettent en exergue les failles des raisonnements les plus répandus.

Cette attitude vaut aussi pour la clientèle. Je vais souvent à l'étranger présenter nos analyses à des clients qui sont des grands investisseurs institutionnels. Ils connaissent aussi bien que moi la situation française et n'attendent donc pas des considérations générales agrémentées de quelques chiffres, mais bien plutôt de pouvoir confronter leur grille de lecture à la notre, pour des choix stratégiques à long terme.

À vous écouter on a le sentiment que le service fonctionne un peu comme un laboratoire de recherche...

Je dirais que nous avons atteint un excellent compromis en faisant de la recherche économique d'un très bon niveau scientifique, mais une recherche qui ne reste pas repliée sur elle même, qui trouve des débouchés opérationnels. Autrement dit nous ne sommes pas le CNRS et nous ne sommes pas contraints par l'urgence qui règne dans la salle des marchés.
Globalement la Caisse des Dépôts a une vision des marchés financiers qui n'est certainement pas celle des banques d'investissement américaines. Nous essayons de travailler dans des relations de long terme avec les clients. Pour beaucoup, les gens aux commandes ici sont des économistes, qui ont à prendre des décisions de « business ». Comme la Caisse des Dépôts a une vision de long terme, elle s'appuie donc surdes raisonnements de fond pour justifier ses choix.

Est-ce que vos propres activités académiques ont aussi contribué à donner cette orientation scientifique au service ?

J'ai toujours gardé un pied dans les milieux académiques. J'enseigne actuellement à Polytechnique et à Dauphine, et suis encore pour quelques mois président de l'association française de sciences économiques. Bien sûr, cela fait beaucoup d'activités à mener de front, mais il me parait plus facile de comprendre ce que l'on doit enseigner. Cela correspond à une tournure d'esprit et à l'intérêt que je porte depuis toujours aux questions macro-économiques. C'est en fait un autre job, auquel j'ai choisi de consacrer une bonne partie de mon temps personnel.
J'ajouterai que j'estime important de pouvoir porte~ à Ici connaissance d'un public élargi ce que j'ai pu Comprendre. Quand je fais un papier de recherche, po4r une revue académique par exemple, j'en fais souvent une autre version pour la presse économique et politique.

Avant de rejoindre la Caisse vous avez exercé dans des grandes institutions, assez différentes. Qu'est-ce que chacune d'entre elle vous a apporté plus particulièrement?

J'ai



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Figure n°1 : Patrik ARTUS


commencé par passer 5 ans à l'Insee, au service de la conjoncture, avec des personnalités comme P. Nasse, actuel directeur de la prévision au Ministère de l'économie ou P. Champsaur, aujourd'hui directeur général de l'Insee. J'ai beaucoup appris avec eux, d'autant plus qu'à l'époque l'Insee, et plus largement le Ministère des finances, avaient une avance certaine dans le domaine de la recherche économique: on avait vraiment le sentiment de travailler là où les choses se passaient en matière de sciences économiques. Depuis, les universités ont largement rattrapé leur retard.
J'ai ensuite travaillé à l'OCDE. C'était ma première véritable expérience internationale, une expérience que les jeunes hauts fonctionnaires ont beaucoup plus vite aujourd'hui. C'est ce qui m'a marqué. C'était aussi assez fascinant parce que lOCDE était une mine de chiffres et que l'on y travaillait en particulier sur des comparaisons internationales en étant en contact permanent avec des gens de tous les horizons.

C'est après votre passage à lOCDE que vous retournez à l'Ensae, comme directeur des études?
C'est exact. À l'Ensae, de 1982 à 1985, j'ai eu une activité très enrichissante à travers tous les contacts que j'ai entretenus avec des universitaires de haut niveau, en particulier avec ceux qui enseignaient des matières que je ne connaissais pas. En dehors de cela, la marque que j'ai pu laisser au bénéfice des élèves de l'Ensae, c'est la création de la filière de formation d'actuaire, que nous avons monté en passant un accord avec l'Institut des Actuaires Français.

Vous changez totalement d'univers en rejoignant la Banque de France!

Certes. En fait, au cours de mon passage à la Banque de France, comme conseiller scientifique du directeur général des études, j'ai assisté à un changement total du fonctionnement de l'institution. Alors que l'on pouvait la qualifier de sclérosée, maniant plutôt la langue de bois, l'institution a commencé à jouer la transparence et l'ouverture, avec l'arrivée de nouveaux cadres dirigeants. Ceux-ci étaient prêts à dialoguer, à s'informer et à prendre des universitaires comme consultants, ce qui était impensable auparavant. Il y a eu un changement d'esprit très profond, qui correspondait au changement de métier de la banque centrale. Celle-ci, perdant le contrôle quantitatif qu'elle exerçait jusque-là, s'est mis à faire du contrôle réglementaire et prudentiel, dans le contexte d'une libéralisation des activités financières. J'ai pu en outre constater qu'il y avait à la Banque de France un très haut niveau de compétences techniques, avec des personnes qui maîtrisent parfaitement l'appareil statistique monétaire et financier.

D'une façon générale comment caractérisez-vous la situation des économistes d'entreprise en France?

La France est en retard en matière d'économie d'entreprise. À quelques exceptions près, les véritables services d'études économiques n'existent que dans les banques. Aux USA, par exemple, on trouve des économistes d'entreprise aussi bien dans les firmes industrielles, que dans les syndicats professionnels ou les associations de consommateurs.

Je pense qu'en France les dirigeants ne perçoivent pas que l'économie d'entreprise est un vrai métier, qui doit être fait par des professionnels. On peut noter néanmoins qu'en dehors de la banque, il y a eu aussi une grande percée, ces dernières années, dans les milieux administratifs et politiques, où les économistes sont beaucoup plus écoutés qu'il y a dix ans. Mais l'industrie reste encore à la traîne. À l'exception notable, il faut le souligner, des grands services publics, du type France Telecom et EDF. Dans ces entreprises, la perspective européenne a ouvert un champ d'investigation sur de nombreuses questions de microéconomie (problèmes de valorisation industrielle, de concurrence ... ).
À terme, je pense cependant que les débouchés en économie d'entreprise vont s'accroître parce que les grandes entreprises industrielles françaises vont finir par s'y intéresser. Surtout que c'est bien l'industrie qui, aujourd'hui, a le plus de moyens financiers.

Je crois savoir que vous avez recruté beaucoup d'Ensae dans votre service. Qu'est-ce qui est le plus important, en dehors du diplôme, clans le choix de vos collaborateurs ?

Si les Ensae ont l'avantage de savoir faire des statistiques, de l'économie et de la finance, nous voulons d'abord des gens qui aient déjà une expérience internationale. C'est absolument indispensable, au même titre que les capacités d'expression et de contact. Nous sommes amenés à être en relation avec des clients de haut niveau, français et internationaux, et il est donc nécessaire que les gens puissent être à l'aise dans tous ces contacts. D'autre part, compte tenu de l'orientation de notre travail, il est clair que nous attachons beaucoup d'importance à ce que les jeunes que nous recrutons aient une attitude scientifique.

Au-delà, je crois qu'il faut vraiment dire aux jeunes que leur diplôme est un atout uniquement pour démarrer dans la vie professionnelle. Une fois que vous êtes dans l'entreprise la seule chose qui compte c'est ce que vous allez être capables de faire. De nos jours, les entreprises oublient beaucoup plus vite le diplôme de départ de leurs collaborateurs, elles s'attachent plutôt à leurs capacités à apprendre, à faire preuve d'ouverture.

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