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09 octobre 2007

Helle Kristoffersen(1989)

Vice-Présidente Corporate Strategy chez Alcatel-Lucent


variances – Helle Kristoffersen, pouvezvous revenir sur les raisons qui vous ont conduite à l’ENSAE ?

Je suis entrée à l’ENSAE alors que j’étais élève à l’ENS (Ulm, option sciences sociales) et après avoir passé un an au MIT à Boston : ayant fini ma maîtrise d’économétrie, je souhaitais approfondir mes connaissances en économie, finance et mathématiques appliquées. Le contenu pédagogique de l’ENSAE correspondait exactement à ce que je recherchais et je n’ai pas été déçue ! J’en garde le souvenir d’excellents cours de base, de beaucoup d’options intéressantes et d’un corps professoral compétent et disponible…

Je conserve également en mémoire les fous rires et le stress des groupes de travail, où l’on bouclait toujours les rapports à la dernière minute… Au total, un enseignement à la fois très structuré et laissant aux étudiants beaucoup de liberté et d’initiative. Sans oublier que mes 3 meilleurs amis, je les ai rencontrés à l’ENSAE.

v – Vous effectuez vos débuts dans la banque d’affaires, mais quittez rapidement votre poste pour une fonction plus stratégique au sein du groupe Bolloré. Pouvez-vous revenir sur ce choix ?

En fait, je dirais que deux raisons se sont rejointes : je souhaitais participer à l’orientation dans le long terme d’un grand groupe industriel et continuer, quoique dans un rôle différent, mon métier d’analyste financier. Mon passage dans la banque-conseil a été bref mais extrêmement formateur et j’en garde un excellent souvenir : la charge de travail était intense mais j’ai appris à articuler, pour le compte de nos clients, les éléments financiers, comptables, juridiques et fiscaux de grands projets de fusion-acquisitions.

Cela m’a donné une expertise qui m’a beaucoup servi par la suite. Toutefois, le conseil est souvent synonyme de missions ponctuelles, alors que ce qui me motive, c’est la sanction dans le temps des décisions que je prends : bonnes ou mauvaises, il faut prendre ses responsabilités, tirer les leçons et construire pour le long terme.

v - Vous quittez ensuite le groupe Bolloré pour entrer chez Alcatel où vous faites depuis l’ensemble de votre carrière. Qu’est-ce qui a guidé votre choix pour un groupe industriel ?

J’ai toujours été attirée par l’industrie – et l’industrie de base - les équipements plutôt que les produits de grande consommation ! En 1994 le secteur des télécommunications n’était pas encore vraiment entré dans la phase de consolidation qui allait suivre ; en revanche certains équipementiers, dont Alcatel, avaient compris que le fait de pouvoir proposer un financement à leurs clients allait devenir un atout concurrentiel important. Je suis donc entrée chez Alcatel en ne connaissant rien aux télécoms mais avec pour mission de monter une équipe de financement de projets au siège du groupe. Plus tard, j’ai littéralement appris le métier des télécoms sur le tas. Il se trouve par ailleurs que le directeur financier du groupe qui m’a recrutée était un Ancien de l’ENSAE – ce que j’ignorais au départ.

v – Après votre passage au comité exécutif du groupe, vous évoluez vers des métiers plus économiques que financiers. La complémentarité des approches entre l’étude du positionnement économique/marketing et l’analyse stratégique du marché (qui, soit dit en passant, est au cœur du projet d’enseignement de l’ENSAE) offre-t-elle véritablement une perspective englobante sur la stratégie du groupe ?

Je dirais oui mais en reformulant les choses à ma manière : je considère que l’intelligence économique au sens large - c’est-à-dire tout ce qui permet d’appréhender les grandes tendances d’un secteur (clients, concurrents, usages, « business models », technologie, réglementation, marchés adjacents, éléments de continuité ou de rupture, etc.) – constitue le fondement de la réflexion stratégique.
C’est pourquoi je pense que les entreprises ont intérêt à internaliser une partie de ces fonctions d’intelligence économique – car elles jouent un rôle vital. Ceci est d’autant plus vrai qu’un grand nombre de marchés sont aujourd’hui soumis à ce qu’on appelle « la mondialisation ». En parallèle, l’intelligence économique peut aussi devenir une arme concurrentielle redoutable à court terme.

Chez Alcatel-Lucent nous jouons à fond sur les deux tableaux et j’ai pour ce faire une équipe très internationale, située aux 4 coins du monde, avec des collaborateurs formidables. Il faut peut-être rappeler qu’Alcatel a été historiquement l’un des premiers grands groupes français à prendre une dimension véritablement mondiale - avec un management et de vrais centres opérationnels et de R&D répartis dans le monde entier (pas juste des filiales gérées depuis le siège !). Avant la fusion avec Lucent, nos opérations mondiales étaient pilotées depuis trois centres névralgiques, à savoir Dallas pour l’Amérique du nord, Paris pour l’Europe, le Moyen Orient, l’Afrique et l’Amérique latine et Shanghaï pour l’Asie. Soit dit en passant, nous avons été l’un des premiers groupes au monde
à choisir Shanghaï pour piloter nos activités en Asie – et c’est un choix qui s’est avéré extrêmement judicieux.

Nous avons gardé ce type de structure lors de la fusion avec Lucent (le centre américain passant du Texas au New Jersey où se situait le siège de Lucent) et l’on peut dire que notre mode de management mondial ainsi que la diversité culturelle et géographique de nos équipes (du management à l’ingénieur de base) font partie des atouts concurrentiels du groupe. Nous sommes aussi de grands pionniers dans le « travail à distance » - qui permet par exemple de travailler depuis son domicile avec des collègues situés dans d’autres pays (ceci grâce à nos solutions haut débit, naturellement) ; en ce sens, nous sommes très innovants en matière de ressources humaines, gestion des profils et compétences, mobilité internationale, etc. - ce qui me paraît un pendant indispensable à l’innovation en matière technologique. TêTE

d’AFFiCHE
v – Alcatel et Lucent viennent de fusionner. Compte tenu de votre position passée au sein d’Alcatel et présente au sein du groupe, comment avez-vous vécu cette période charnière et comment envisagez-vous votre avenir ?

J’ai vécu la fusion entre Alcatel et Lucent de très près ayant
(i) participé à la négociation de la fusion
(ii) fait partie de l’équipe d’intégration qui était chargée de planifier la mise en œuvre opérationnelle de la fusion avant sa réalisation effective (la réalisation est intervenue 8 mois après l’annonce de l’opération, une fois tous les accords juridiques et réglementaires obtenus)
(iii) été nommée à la direction générale avec pour mission de créer la fonction stratégique
du nouveau groupe.

Cette fusion est une aventure difficile mais passionnante – et elle a été à l’origine d’autres mouvements de consolidation dans notre industrie (« mega-mergers »), comme par exemple la fusion entre Nokia Networks et Siemens Communications. Je suis persuadée que ce mouvement de concentration va continuer.

v - Si vous deviez revenir sur l’ensemble de votre carrière, quels sont les principes et les principaux motifs qui ont guidé vos choix, qui vous définissent le mieux ?

Je crois qu’on peut dire que j’ai toujours, d’une façon ou d’une autre, occupé des postes d’analyse, mais en créant un lien très étroit entre l’analyse et l’opérationnel. J’aime réfléchir sur des sujets complexes, mais je veux que la reflexion soit au service du « business » et qu’elle aboutisse à des recommandations qui puissent être mises en œuvre.

Une deuxième constante, c’est la curiosité intellectuelle et l’ouverture d’esprit ; et enfin, le travail en équipe (qui a commencé à l’ENSAE !) : j’essaye de beaucoup transmettre à mes collaborateurs mais j’apprends également quotidiennement, à leur contact. Il n’y a rien de plus satisfaisant que d’avoir mené un beau projet à terme, à plusieurs. Si je devais m’adresser à un jeune ENSAE, je lui dirais… que je crois important de prendre son temps pour trouver sa voie : il ne faut pas laisser les autres décider pour soi. Je me souviens qu’à ma sortie de l’école, nombre de banquiers voulaient me recruter pour faire de la modélisation sur les marchés d’options. J’ai dit non (car cela ne m’attirait pas du tout !) mais ce n’est pas facile de refuser des postes quand on débute dans la vie active…

De la même façon, je crois assez à la vertu du système anglo-saxon, où l’on peut sauter du coq à l’âne au moment des études et en début de carrière. De ce point de vue, nous avons une certaine chance (encore faut-il l’assumer) car la formation à l’ENSAE est polyvalente et riche, donc d’une certaine façon l’ENSAE mène à tout !

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