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01 juillet 2009

Au coeur de la crise : les déséquilibres monétaires internationaux

Publié par Laurent Bouscharain (1998) | N° 35 - Variances

a crise a mis en lumière les mécanismes de levier excessif, mais un fateur majeur a été le développement de déséquilibres globaux de balance des paiements notamment l'accumulation de séserves de change par la Chine. Le G20 ne saurait donc se pencher uniquement sur la régulation des marchés financiers. S'il ambitionne un rôle salvateur, il devra considérer la coordination des politiques économiques.

Les faits sont têtus : cette crise dément amèrement les « nouveaux » paradigmes, notamment ceux qui croyaient à la disparition des cycles, à la sagesse collective des gestionnaires publics et privés d’une nouvelle économie mondialisée et qui enterraient un peu vite les rejetons de la Grande Dépression comme le FMI. Dans le bouleversement de certitudes qu'impose cette crise, l'auteur essaiera de proposer une lecture qui en substance suggère que la sphère publique aurait pu mieux jouer son rôle : en effet, si les excès d’une bulle financière mettent naturellement en jeu la responsabilité du secteur financier, ils engagent aussi la responsabilité des autorités de contrôle, et surtout celle des politiques macroéconomiques dont les déséquilibres sont en l’occurrence largement à l’origine de la crise. C’est la reconnaissance de ces derniers déséquilibres fondamentaux qui devrait en 2009 inspirer les mesures de lutte contre la crise et pas seulement les outrances ponctuelles qu’a pu connaître la bulle ici ou là, qui ne sont que des conséquences…

Les origines de la crise
S'il peut paraître théorique et académique de se demander d'où vient la crise, ce n'est pas moins indispensable si on veut correctement diagnostiquer et essayer d'en corriger les effets. Cette crise, qui a commencé avec le surendettement des fameux emprunteurs subprimes américains, a pris depuis une toute autre ampleur avec l'effondrement de nombreuses banques créancières ou arrangeuses. Elle a mis en lumière des mécanismes de levier excessif à la fois chez les ménages et dans le système financier américain, qui a notamment augmenté ses profits (à court terme !) via divers arbitrages réglementaires comme les SIV, les CDS (en assurance), la titrisation… Sur ce dernier mécanisme de la titrisation, l'arbitrage réglementaire a été fatal à ses inventeurs, puisque le transfert de risque était superficiel (la tranche equity ou first loss était rarement cédée) et explique en partie leur déroute actuelle. Il faut noter que l'absence d'information sur la localisation de ces risques « titrisés » paralyse toujours à ce jour les marchés interbancaires de la planète et par suite tous les canaux habituels de refinancement de l'économie. La presse a déjà largement parlé des mécanismes de levier excessifs, ce qui expose comme souvent la sphère financière à la vindicte générale. C’est peut-être aller un peu vite et ne pas se demander comment cet excès de levier a été rendu possible. Les scandales et la panique financière ne seraient-elles pas l'écume sur une vague de déséquilibres plus profonds et bien réels qui n'auraient pas pour seule origine les changements d'humeur des investisseurs ?
Un facteur majeur et peut être prédominant a été, à mon sens, le développement de déséquilibres globaux de balance des paiements, notamment l'accumulation de réserves de change par la Chine, dans sa stratégie de développement par les exportations vers les États Unis. Cette stratégie, où la Chine est devenue, au fil des années, un créancier majeur des US, a consisté à soutenir artificiellement le dollar pour soutenir la consommation américaine . Ceci a développé des déséquilibres que le FMI a diplomatiquement appelé les "Global Imbalances", dans lesquelles l'épargne d'un pays pauvre comme la Chine finance la surconsommation de pays "riches” comme les États-Unis. On peut aussi lire la réalité différemment et imputer la responsabilité de la surconsommation aux Américains eux-mêmes, mais ceci ne change rien à l'enchaînement qui s'est mis en place et qui a finalement entrainé l’accumulation d’une dette extérieure insoutenable par la sphère privée américaine. Cette situation plutôt paradoxale, qui trouve peut-être son origine dans le traumatisme de la crise asiatique et le refus de voir arriver le FMI en Chine, a permis aux US de vivre avec des déséquilibres extérieurs colossaux, pendant des années, ce que tout pays émergent aurait payé d'une grave crise de balance des paiements. Alan Greenspan s'est, on s'en souvient, inquiété du "Conundrum" des taux d'intérêt US, puisque, malgré le relèvement des taux courts à partir de juin 2004, les taux longs stagnaient voire baissaient sous l'effet massif des achats de titres longs US par la Banque Populaire de Chine. Concentrée sur la mesure de l’inflation des biens de consommation, et sous l'effet désinflationniste des importations bon marché de Chine, la FED a ainsi conservé une politique accommodante trop longtemps. Interrogé sur les prix immobiliers, Alan Greenspan expliquait à l'époque que comme les autres prix d'actifs, il n'était pas souhaitable que la FED cherche à les influencer et que son rôle était de contrôler l'inflation des biens de consommation et la croissance. Il y a un point de doctrine sur ce sujet, mais sur lequel Alan Greenspan s'était clairement prononcé. Il a émis des regrets depuis… L'accommodation monétaire par la FED a donc été massive et la bulle immobilière en apparaît presque comme une conséquence : la création monétaire découlant des réserves chinoises s'est déversée sur les États-Unis et a créé une bulle qui s’est concrétisée dans l'immobilier. Dans les années 70, de la même manière, les pétrodollars du choc pétrolier se sont déversés sur la dette des pays émergents et ont causé la crise de la dette des années 80. La crise actuelle ainsi remise en perspective, apparaît comme inévitable, puisque fruit d’un endettement excessif sans force de rappel suffisante. Si la sphère financière a certainement contribué aux excès du phénomène (en l’amplifiant grâce au levier), la cause première est probablement un déséquilibre économique global que la gouvernance mondiale actuelle appréhende mal. C’est probablement là que la réponse doit commencer, comme nous allons le voir.

Les Garde-fous qui nous ont fait défaut

Si l'interprétation précédente est correcte, c'est surtout une coordination internationale efficace qui nous a manqué : si le FMI avait pu dénoncer plus fortement les "Global Imbalances", les excès monétaires et les bulles auraient pu être stoppés plus tôt et donc à moindre frais. C'est donc une nouvelle gouvernance économique globale que cette crise appelle pour mieux internaliser les dépendances que crée la mondialisation entre les stratégies économiques de chaque pays. Si cela se heurte aux intérêts nationaux, la crise montre clairement le prix de la non-coordination et nous invite à trouver au moins des mécanismes de dialogue et de concertation plus efficaces.

Ensuite, les politiques monétaires locales devraient peut-être se défaire de certaines certitudes, comme l’idée selon laquelle les banques centrales doivent se concentrer uniquement sur l’inflation des biens et services ou encore l'idée selon laquelle les agrégats monétaires sont sans importance (parce qu'imprévisibles) et doivent être remplacés par un contrôle indirect uniquement (par les taux d'intérêt). À cet égard, l'insistance de la BCE sur son pilier monétaire apparaît rétrospectivement pertinente.

Enfin, et après les considérations globales ci dessus, les politiques sectorielles notamment la régulation financière doit être renforcée, car la crise a montré des faiblesses significatives dans des endroits plutôt inattendus. Alors que certains s'inquiétaient des risques des Hedge Funds, de l'inadéquation des contrôles dans les pays émergents, c'est dans les banques et les assurances du pays financièrement le plus avancé (USA) que l'essentiel des dérèglements se sont produits. Les contrôles y apparaissent éparpillés (par État et fédéral), trop segmentés (banques vs assurance alors que les mêmes risques, sur CDS, par exemple, y étaient pris), trop aveuglés (par une bulle qui a caché des problèmes d'organisation pendant une décennie) pour réagir efficacement. Des risques tout à fait fondamentaux comme celui de liquidité sont toujours mal définis et appréhendés. Les efforts nécessaires sur l'infrastructure financière, qu'il s'agisse des marchés de Repo (Appel et contrôle des collatéraux), des marchés de CDS (discussions sur la chambre de compensation pour réduire le risque de contrepartie), le traitement des structures hors bilan (SIV), le traitement du levier créé par les CDO et autres titrisations ou encore le risque de confit d’intérêt des agences de notation ont trop longtemps été ignorés ou remis à plus tard et illustrent les insuffisances des agences en charge du contrôle.

Ce qui pourrait être encore devant nous

Comme expliqué plus haut, la crise trouve son origine dans l'expansion du crédit liée à la combinaison d'une politique monétaire accommodante aux US, aux déficits extérieurs US et à la montée de l'endettement financier (leverage) permis par l'aveuglement des structures de contrôle face aux innovations financières des années 2000. Traditionnellement, cet excès de crédit soutient la demande et crée une inflation qui force tôt ou tard la Banque Centrale à réagir, chose qui ne s'est pas produite du fait de la désinflation qu'exportait la Chine. L'expansion du crédit a donc perduré jusqu'à atteindre un point de rupture avec les subprimes. Depuis cet épisode, la prise de conscience de cet excès d'endettement est allée bien au delà des subprimes et a entrainé un mouvement violent de deleveraging. Ce mouvement a non seulement mis à mal toutes les structures dépendant de l'endettement à court terme, mais a aussi entraîné par le canal du crédit, l'ensemble de l'activité économique vers le bas, ce qui renforce l'effet de ralentissement. Les prix d'actifs suivent dans un mouvement rapide à la baisse et qui a pu parfois menacé d'être désordonné. En effet, comme le remarquait malicieusement Paul Krugman, les bulles se gonflent progressivement mais ne se dégonflent pas : "les bulles éclatent". Face à ce risque tout à fait réel de panique, les autorités ont tout fait pour soutenir la confiance. On se souvient des armes psychologiques : le « Bazooka » de H. Paulson (qui lui aurait permis de nationaliser Fannie Mae et Freddie Mac), les relèvements des seuils de garantie des dépôts ou, plus près de nous, l'assurance du Président Français "qu'aucune banque française ne ferait faillite". Des armes monétaires essaient de compenser le retrait du financement privé par un accroissement massif des bilans des Banques Centrales (élargissement de critères de refinancement). Et, enfin, les armes budgétaires avec des recapitalisations voire nationalisations, illustrent encore une fois le pragmatisme (certains diront la duplicité) de ceux qui professent le libre marché en temps normal.
Jusqu'à présent, ces mesures font l'objet d'un certain consensus. Tout le monde reconnaît que laisser libre cours à la crise et à la panique sans y opposer la confiance et la stabilité sur le long terme que peuvent engager les autorités publiques, serait une erreur sérieuse, qui a été commise en 1929 et au Japon dans les années 90. Toutefois, il faut peut-être regarder de plus près et notamment regarder où part l'argent public investi en quantités aussi massives. En effet, après la bulle Internet, la relance monétaire et le soutien Chinois ont financé trop d’activités improductives (l'immobilier américain) qui ont in fine créé une dette insoutenable (comme les pays émergents au début des années 80 qui ont accumulé une dette sans proportion avec leur capacité de remboursement). Il s'agit donc surtout de ne pas répéter ces erreurs, et d'éviter que les États, en nationalisant les dettes privées, ne connaissent à leur tour une crise de solvabilité . Ce risque n'est pas théorique, comme l'exemple de l'Islande le rappelle amèrement. L'idéal serait que la correction des Global Imbalances soit fait par une stratégie coopérative dans laquelle les chinois deviennent des consommateurs et réduisent le déséquilibre commercial américain. La réappréciation du Yuan et la relance interne chinoise vont dans ce sens, mais ne feront pas tout. Il faut aussi pour rendre la dette soutenable, accroître le potentiel de croissance des économies endettées, par exemple en soutenant l'investissement. Si cette stratégie plutôt orientée "offre" venait à échouer, les États pourraient se retrouver face à une dette économiquement non soutenable et se verraient contraints de faire défaut, officiellement ou de facto par l'inflation. À un moment où la FED a déjà doublé son bilan, on pourrait se demander si ce n'est déjà pas le cas. En fait, tout va dépendre de la composition des dépenses et de l'organisation de la sortie de crise. Si la croissance repart et permet le désengagement de la FED, il n'en sera pas ainsi. Il faut donc être sélectif, et laisser le mécanisme de deleveraging aller à son terme quand c'est nécessaire. L'argent public ne doit pas aller uniquement aux canards boiteux, qui sont pourtant les premiers à y faire appel. C'est en soutenant la croissance de long terme par l'investissement que l'on créera une vraie confiance en la soutenabilité de la dette sans quoi on s'expose à des lendemains difficiles.
L'appui budgétaire et monétaire doit être massif, mais ciblé (promouvoir la croissance, éviter l'aléa moral financier), temporaire (conçu comme transitoire, le temps que le financement privé reprenne normalement) et coordonné (entre politique monétaire et budgétaire, mais aussi entre États).
De telles dispositions, qui relèvent de la rationalité économique se heurtent en pratique à la réalité des fonctionnements institutionnels ou démocratiques qui ont leurs règles propres. De telles décisions sont en pratique prises dans un jeu complexe mêlant banques centrales, gouvernement, parlements, régulateurs aux prises avec les réalités complexes et changeantes des marchés et des institutions privées. La chute récente du gouvernement Belge ou encore les tensions entre l'Islande et la Grande Bretagne illustrent la complexité et les inefficacités de ces processus. En Europe, le paysage se complique encore puisque la politique monétaire de la BCE fait face à de multiples décisions budgétaires (malgré les efforts louables de la Commission Européenne pour harmoniser les politiques nationales). En Europe, où les contrôles bancaires restent nationaux, l'absence d'autorité budgétaire commune pousse à des solutions nationales. Il est ainsi frappant d'observer que des banques de dimensions européennes ont ainsi été découpées selon les frontières comme l'illustre le cas de Fortis. Au-delà, l'Europe qui va vraisemblablement mettre le pacte de stabilité entre parenthèse pour un certain temps va devoir sérieusement surveiller la soutenabilité de la dette de ses États membres, car si la crise est l'occasion d'un relâchement budgétaire généralisé, le risque de non soutenabilité et donc de défaut souverain en Europe se rapprochera et pourrait avoir des conséquences dévastatrices pour l'Euro et la construction européenne. L'Europe gâcherait ainsi le rôle très stabilisant qu'elle a eu jusqu'à présent pour ses membres : sans l'Euro, les monnaies européennes n'auraient pas échappé aux turbulences qui touchent le Couronne danoise et même la Livre Sterling aujourd'hui.

En guise de conclusion, cette crise illustre à mon sens le besoin d'une vision partagée des déséquilibres, qui soit la base d'une meilleure coordination des politiques économiques à travers le monde, par exemple à travers des groupes informels type G20. Cette coordination doit pouvoir bousculer les États comme les institutions privées, les premiers n'ayant rien à envier aux seconds en matière de créativité comptable ou capacité à mal investir et mal défendre le long terme. Aujourd'hui, cette coordination devrait pouvoir donner un sens à la réponse à la crise pour éviter les écueils d'un soutien mal organisé, qui ne ferait qu'acheter du temps et que le ministre allemand des Finances a dénoncé comme "Keynésianisme Crasse" (i.e. un soutien massif mais mal ciblé et non temporaire, risquant créer une charge budgétaire insoutenable).
Il faut enfin un renforcement de la supervision financière (contrepartie incontournable des garanties accordées par les États qui sont exercées actuellement sous nos yeux parfois ébahis) et une meilleure responsabilisation des acteurs du secteur privé. Les excès intrinsèquement financiers dans le gonflement de la bulle immobilière américaine appellent sans aucun doute des réformes d’organisation et de qualité du contrôle. Les appels de la BCE à une unification européenne des supervisions bancaires vont clairement dans ce sens, et constitueraient une réelle amélioration pour toutes les banques opérant sur plusieurs pays.
Il reste à espérer que les réformes ci dessus de la gouvernance mondiale et de la supervision pourront se faire et que l’urgence n’amène pas à des compromis trop inefficaces en 2009… sans quoi les pompiers pyromanes qui nous « sauvent » aujourd’hui (comme la FED) ne feront qu’acheter du temps à un coût budgétaire exorbitant tout en semant les germes de la prochaine crise que l'excès de dette publique (et la création monétaire associée) ne manquera pas de causer tôt ou tard.

Autrice

Laurent Bouscharain (1998)

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