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18 octobre 2010

La recherche chez un gérant d’actifs, au service des investisseurs institutionnels

Publié par Marie Brière (1998), Responsable de la Stratégie Taux, Change et Volatilité chez Amundi et chercheure associée à l’Université Libre de Bruxelles | N° 38 - Variances 38

Marie Brière revient pour Variances sur son parcours et son expérience de la recherche chez un gérant d’actifs, et sur l’importance des liens entre entreprises et monde académique pour développer une recherche « appliquée ». Elle nous décrit les travaux qu’elle conduit pour de grands institutionnels, au carrefour de l’allocation d’actifs et de la macroéconomie, et dresse le constat d’une insuffisante proximité entre chercheurs et praticiens de la finance.

Comment devient-on banquier-chercheur ?

Mes premiers contacts avec la recherche ont eu lieu à l’ENSAE à l’occasion des mémoires d’économie et de statistique appliquées. Mais c’est la curiosité quant au fonctionnement des marchés financiers, et la passionnante lecture des travaux d’André Orléan sur les phénomènes de mimétisme sur les marchés, qui m’ont amenée à faire une thèse de doctorat sous sa direction. D’un autre côté, mon goût du concret me poussait à évoluer vers le monde de l’entreprise. Je suis entrée à la BNP, comme analyste quantitatif dans une équipe de traders pour compte propre, avec pour objectif d’étudier les marchés de l’intérieur ! J’ai ainsi entamé une thèse en contrat Cifre, une expérience que je recommande vivement.

Ces 3 années de thèse ont été passionnantes: quant 3 jours par semaine, le restant de la semaine était consacré à ma thèse. Ces années m’ont surtout donné le goût de la recherche, qui ne m’a plus quittée. En 2002, mon doctorat en poche, et souhaitant m’orienter vers une approche à plus long terme de l’investissement, j’ai quitté la banque pour la gestion d’actifs, et rejoint l’activité de Stratégie du Crédit Lyonnais Asset Management. Aujourd’hui, responsable de la Stratégie Taux, Change et Volatilité d’Amundi, j’ai pour mission de conseiller les gérants, mais également certains grands clients institutionnels dans leur allocation d’actifs. La plupart des travaux que nous menons consistent à construire des modèles économétriques de prévision des cours, des stratégies quantitatives et des modèles d’allocation de portefeuille.

Parallèlement à cette activité très pratique, j’ai poursuivi des activités de recherche et d’enseignement dans les Universités de Paris II et Paris IX. En 2004, une fructueuse rencontre avec Ariane Szafarz, alors directrice du Centre Emile Bernheim de la Solvay Business School de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), m’a amenée à devenir « chercheur associé » à l’ULB. Aujourd’hui, je combine ces activités, et m’occupe également depuis quelques mois du développement des partenariats académiques pour Amundi.

La recherche au service des grands institutionnels

Depuis un an et demi, une partie des travaux que nous développons avec mon équipe ont pour mission de conseiller les clients institutionnels d’Amundi sur des sujets d’allocation d’actifs et de gestion des risques : gestion actif/passif, introduction de nouvelles classes d’actifs, investissement socialement responsable, couverture du risque d’inflation, de change, gestion des risques extrêmes, etc. Ces travaux1 font l’objet de publications dans des revues académiques ou appliquées. Nous les présentons lors de conférences académiques, ou lors de colloques destinés aux investisseurs institutionnels, organisés notamment par les grandes institutions internationales. Ces investisseurs ont des problématiques d’allocation d’actifs à long terme extrêmement intéressantes et sont très demandeurs de recherche académique. Leur présenter des travaux de recherche, lors de conférences, de rencontres directes, ou par le biais de publications, permet d’asseoir la visibilité d’un gérant d’actifs tel qu’Amundi et de contribuer à son développement à l’international. Si cette approche peut sembler novatrice en France, elle est déjà bien éprouvée aux États-Unis, où un certain nombre d’ « asset managers » parmi les plus réputés (comme BlackRock, ou JPMorgan AM), ont fait de leurs équipes de recherche un outil de promotion de leur marque.

Une des caractéristiques de nos travaux est de mêler des questions purement financières d’allocation d’actifs ou de gestion des risques à des réflexions d’ordre macroéconomique. Dans nos travaux récents sur la couverture du risque d’inflation [1] par exemple, nous examinons l’allocation optimale permettant de couvrir à long terme le risque inflationniste. Nous montrons que cette allocation diffère radicalement selon l’environnement économique. Dans les années 70 et 80, marquées par des chocs d’offre de nature plutôt contracyclique, l’allocation optimale était tout à fait différente de celle adaptée aux deux dernières décennies, plutôt marquées par des chocs de demande procycliques. Ignorer les dynamiques économiques et leur influence sur les variables financières [2] peut ainsi conduire à des décisions d’investissement totalement inadéquates. De façon complémentaire, l’analyse spécifique des périodes de crises favorise le repérage des dynamiques de prix des actifs propres à ces épisodes et la construction d’une allocation permettant de se prémunir (au moins partiellement) contre leurs effets néfastes, avec un coût que l’on peut estimer en période calme ([3] et [4]). Toutes ces questions sont cruciales pour un grand nombre d’investisseurs institutionnels, de surcroît exposés à plusieurs types de risques économiques. C’est le cas des assureurs et des fonds de pension, directement soumis au risque inflationniste et à des risques démographiques de long terme. C’est également le cas des fonds souverains, dont les ressources sont généralement liées à l’évolution du commerce mondial ou au prix des matières premières. Ce terrain de recherche, à mi-chemin entre deux disciplines, est donc fondamental d’un point de vue opérationnel, mais encore peu investigué aujourd’hui car économie et finance sont généralement envisagées comme deux disciplines bien distinctes.

Des formes de partenariats académiques très variées

Chez Amundi, nous nous appuyons sur plusieurs formes de partenariats avec les universités : embauche d’étudiants en thèse Cifre ; financement de chaires de recherche ou d’enseignement ; financement ponctuel d’événements (colloques) ; collaborations avec des chercheurs sur un sujet donné. Dans certains cas, plusieurs institutions peuvent se regrouper, comme c’est le cas pour la chaire consacrée à la « Finance Durable et l’Investissement Responsable ». Amundi, avec une vingtaine d’autres partenaires, finance au sein de l’Association Française de Gestion, deux laboratoires d’économie à l’IDEI et à l’Ecole polytechnique.

La recherche « pour praticiens » n’est pas assez développée en France

La recherche française en finance a la particularité d’être relativement théorique, avec des points de force reconnus en statistiques et mathématiques financières. Dans le domaine de la recherche appliquée, notamment à la gestion d’actifs, les relais sont peu nombreux, et peu de laboratoires semblent clairement identifiés dans ce domaine. L’Edhec-Risk Institute fait à ce titre exception, mais il est symptomatique qu’il s’agisse d’une initiative et d’un financement entièrement privés.

Cette situation est très différente en Europe du Nord et aux États-Unis, où les liens sont au contraire beaucoup plus importants. Aux Pays- Bas par exemple, il n’est pas rare de voir des professionnels travailler à mi-temps pour un fonds de pension, et consacrer l’autre moitié de leur temps à des activités de recherche et d’enseignement à l’Université. De la même manière aux États-Unis, de véritables « praticiens-chercheurs » travaillent dans des banques et poursuivent des activités de recherche appliquée. C’est le cas par exemple de Robert Litterman chez Goldman Sachs, Lev Dynkin ou Bruce Phelps chez Barclays. Ils publient dans des revues académiques appliquées, très lues par les praticiens, comme le Journal of Portfolio Management, le Financial Analyst Journal, la revue Risk, etc.

Ce type de collaboration est extrêmement efficace, puisqu’il permet une véritable confrontation entre la théorie et la pratique. Du point de vue de l’entreprise, cela lui permet de rester à jour sur les techniques les plus innovantes. Pour l’Université, c’est un moyen d’obtenir une source de financement, et de rester en contact avec les sujets opérationnels, en évitant le développement d’une recherche coupée des réalités et du terrain.

Entreprise et monde académique sont encore deux mondes qui communiquent peu, mais la situation est en train d’évoluer. Côté banquiers, la crise a fait prendre conscience qu’investir dans la recherche est aujourd’hui nécessaire, pour bâtir une relation de confiance à long terme avec des investisseurs plus exigeants. La réforme des universités devrait également inciter les centres de recherche à se rapprocher de l’industrie. Gageons que de cette collaboration naîtra une recherche fructueuse, inspirée des réalités du terrain.

Autrice

Marie Brière (1998), Responsable de la Stratégie Taux, Change et Volatilité chez Amundi et chercheure associée à l’Université Libre de Bruxelles

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