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14 mai 2003

Catherine Grandcoing, directrice générale du groupe de productions télévisuelles JLA - Hamster

« Chaque jour, la passion de faire, de convaincre, de partager, d’animer et de séduire ».

Comment une ENSAE 78 peut-elle atterrir dans la production télévisuelle ? Cela peut sembler complètement aberrant et pourtant j’y trouve une continuité personnelle parsemée de coups de cœur et de choix toujours fondés sur l’envie d’aller vers de nouveaux challenges et de nouvelles découvertes.

Vers l’équilibre des contraires

Refusant le chemin naturel des classes préparatoires, j’ai préféré pratiquer très tôt la diversité en m’inscrivant en facultés : celle des sciences pour une maîtrise de mathématiques fondamentales et celle des lettres pour une maîtrise de psychologie ! Parallèlement à cet enseignement universitaire, une admission à L’ENSAE m’a permis de m’ouvrir à l’économie et à la statistique. Ce fut une époque d’association heureuse de contraires conjugués au quotidien lorsque je passais indifféremment des amphis de l’école, dont les effectifs comptaient alors 5% de filles, à ceux de la Sorbonne qui, en psycho, rassemblaient moins de 5% de garçons. Mais surtout, ces enseignements, aussi différents soient-ils, nourrissaient ma curiosité de comprendre et de découvrir. Et finalement, je ressentais tout cela comme des éléments d’un seul tout, faits de contrastes et néanmoins d’équilibres.

A ma sortie de l’école, je me retrouvai pendant quelques temps chargée de cours de statistiques à l’ESSEC, psychologue stagiaire à l’hôpital Sainte Anne auprès des schizophrènes et en sexologie à Boucicaut! Inutile de préciser que, pour moi, la multiplicité des formations et des expériences est une source extraordinaire d’enrichissements et d’ouverture qui, loin d’éparpiller l’individu, lui permet au contraire de se construire et de découvrir la diversité de ses potentialités. Malheureusement, le système éducatif français pousse l’étudiant vers une spécialisation prématurée bien avant qu’il ait pu prendre vraiment conscience de son « moi » et de ses richesses.

Le chemin « psy » étant d’abord un long travail sur soi, tout en le tricotant jour après jour, je rentrai au Centre d’Etudes d’Opinion (CEO, ancêtre de Médiamétrie) pour y découvrir les études sur les media et m’orienter rapidement vers l’univers de la publicité. En 1982, Jacques Séguéla avait déjà fait de la marque une star, je compris que la publicité faisait de l’individu-consommateur un empereur ! Cela me convenait tout à fait : j’allais pouvoir travailler sur les pulsions psychologiques de l’individu-consommateur-lecteur-téléspectateur-auditeur. Comment susciter son désir? Et satisfaire sa pulsion de plaisir pour lui donner envie de recommencer ?! Psychologie, marketing, économie, statistiques, media, publicité… cette juxtaposition prenait un sens.

Ensuite, curiosité et désir de se remettre régulièrement en question pour apprendre encore ont guidé mes choix : le planning stratégique de l’agence de publicité J. Walter Thompson, puis la direction des études sur les produits de grande consommation et sur les medias chez BVA m’ont naturellement amenée chez TF1 en 1987 où j’ai créé aux côtés d’Etienne Mougeotte le marketing éditorial de la chaîne nouvellement privatisée. Nouveau concept, nouveau métier : comment faire en sorte qu’à chaque minute le plus grand nombre de téléspectateurs ait envie de regarder TF1 ? Quelle question à l’époque ! La télévision, produit noble et culturel devait donc se préoccuper de « séduire » le plus grand nombre ; comment ferait-elle pour ne pas y perdre son âme ?

Dix années passionnantes passées au sein d’une équipe de très grands professionnels, sans concession avec eux-mêmes pour atteindre les objectifs économiques qui leur étaient fixés, travaillant de manière rationnelle et lucide face aux choix souvent irrationnels et imprévisibles du téléspectateur-roi. J’étais, au sein de cette structure faite de saltimbanques - comme ils se dénomment eux-mêmes - et d’ingénieurs, un « mixte original », pratiquant alternativement ou simultanément les deux systèmes de pensées en faisant converger au sein de ma pratique professionnelle quotidienne l’exploration des pulsions psychologiques de l’individu-téléspectateur, l’analyse statistique des comportements sociologiques que sont ceux du grand public et l’analyse économique exigeante que nécessite le fonctionnement de toute entreprise privée, quelle qu’elle soit. Dix ans d’apprentissage, de challenges, de remises en cause quotidiennes devant les chiffres d’audience, rare certitude de ce métier !

Ouvrir d’autres fenêtres pour se ressourcer

Mais la télévision a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années et, après dix ans passés au sein d’une « free TV », j’ai eu envie d’aller voir du côté de la « pay TV ». J’avais 43 ans, l’âge idéal pour me remettre en question, prendre des risques mais aussi ouvrir d’autres fenêtres, découvrir des horizons différents, en un mot tenter de nouvelles aventures qui ressourceraient ma propre énergie.

1997 : je crée donc la fonction de Marketing Stratégique au sein du Groupe Canal + / Canal Satellite et élargis ainsi ma « pratique » du téléspectateur « consommateur satisfait » à celui de l’abonné qui doit toujours être dans le plaisir du désir et dans la fierté d’être abonné. Nouvelle forme de réflexion sur l’individu qui ouvre le marketing à une nouvelle dimension, complémentaire de celle du marketing-produit : la gestion de la relation client , le fameux « CRM » (Customer Relationship Management). Et je me lance avec passion dans un projet révolutionnaire pour le Groupe Canal+, la mise en place d’une vraie réflexion CRM avec création d’un datawarehouse et développement d’un datamining, soutien actif du marketing opérationnel. Encore une fois, l’enseignement reçu à l’école associé à la réflexion psychologique nécessaire à la compréhension du client trouve pour moi un champ d’action naturel.

Je travaille sur la chaîne complète de la réflexion stratégique du Groupe : comment un programme diffusé en clair peut-il incarner une valeur identitaire de la marque Canal + capable de créer chez le prospect le désir et chez l’abonné le plaisir « d’en être » ; comment la programmation cryptée sport-cinéma peut-elle satisfaire l’abonné ; comment la gestion de la relation avec le client peut-elle le fidéliser malgré les déceptions que lui apporte parfois le produit qu’il consomme ; comment enfin, malgré la concurrence qui se développe et surtout les contraintes économiques originelles, rester dans une équation économique viable ?

Quatre ans passionnants, dans une conjoncture de groupe tout à fait extraordinaire au sens originel du terme m’ont amené à reprendre ma liberté fin 2001 et à entreprendre une formation personnelle au métier de … coach ! Pour mettre au service des autres mes expériences professionnelles au sein de structures exigeantes et mon travail à long terme sur la psychologie humaine.

L’école de Palo Alto, les travaux de Paul Watzlawick et l’aide de Françoise Kourilsky m’ont ouvert les voies du travail de coach, lieu de convergence s’il en est entre les différents chemins que je n’ai cessé de parcourir depuis de nombreuses années.

Toute pratique professionnelle puise ses réussites ou ses échecs dans la nature harmonieuse ou conflictuelle des relations qu’entretiennent entre elles les personnes concernées : partant de ce constat, tout reste à faire pour améliorer l’opérationnalité des entreprises en privilégiant l’harmonie de l’humain au sein de son univers professionnel et dans ses relations avec l’extérieur.

Plus généralement, et sans forcément situer le travail du coach dans un contexte de conflits ou de difficultés, il peut apporter une aide précieuse lors des nombreuses remises en question – volontaires ou imposées - que nous devons assumer au cours de notre trajectoire professionnelle. Et pourquoi pas dès l’école, au moment où, avec si peu de connaissances de la vie professionnelle, l’étudiant fait des choix - angoissants souvent - qui orienteront ses premières années d’activité ?

En un mot, le travail de coach tel que je l’ai personnellement apprivoisé me semble être une aide, voire peut-être seulement un nouveau regard, psychologique, sur la réalité de chacun s’exerçant prioritairement dans un cadre professionnel. La prise en compte de cet élargissement du vécu professionnel de chacun est, à mon sens aujourd’hui, un des grands enrichissements possibles de la réalité des entreprises qui devrait leur permettre de mieux traverser les années de crise actuelles.

Directrice de production télévisuelle

J’en étais là de mon parcours quand, il y a quelques mois, Jean-Luc Azoulay, Président du Groupe JLA Hamster, m’a proposé de le rejoindre pour prendre la Direction Générale de son Groupe. Une nouvelle expérience s’offrait à moi : travailler pour satisfaire le public des téléspectateurs ; animer et manager des équipes artistiques, techniques, financières, juridiques … ; développer et structurer un groupe de productions télévisuelles leader sur son marché. Trois missions simultanées qui sont autant de champs d’actions pour mettre en œuvre ce que mes expériences passées et récentes m’ont appris et révélé.

Nos clients finaux sont les téléspectateurs ; les prescripteurs sont les chaînes de télévision auxquelles nous devons proposer des programmes capables de répondre aux goûts de leur public et aux objectifs de leur ligne éditoriale ; nos « outils » sont les femmes et les hommes, artistes, techniciens et gestionnaires qui partagent la même passion de concevoir et de fabriquer ce qui va plaire au public de la télévision. Des exemples récents de productions JLA – Hamster : depuis toujours Navarro sur TF1, l’Instit et Quai n°1 sur France 2 , SOS 18 sur France 3, mais aussi Les Liaisons Dangereuses avec Catherine Deneuve et Ruppert Everett, mis en scène par Josée Dayan, La Maison des Enfants d’Aline Isserman avec Sandrine Bonnaire, Les Parents Terribles avec Jeanne Moreau et Nicole Garcia , le portrait de France Gall sur France 3 et celui de Michel Berger sur TF1 …

Des possibles mais un fil rouge

Quelle cohérence dans ce parcours ? Une, évidente : celle de suivre mon désir au risque parfois de me mettre en danger, de privilégier la passion qui anime mon activité professionnelle sur la raison qui pourrait la diriger, de toujours chercher à partager le plaisir de faire avec de vrais professionnels qui sont, eux aussi, guidés par leurs envies et non par leur logique de carrière.

L’ENSAE nous donne la chance de faire partie de ceux qui peuvent, sans trop de risques, privilégier leurs envies, écouter leurs passions. C’est parfois moins confortable, mais quel bonheur ! La vie professionnelle devient un immense champ des possibles dans lequel de multiples occasions nous sont offertes de nous découvrir et d’épanouir notre « moi multifacettes ». Le fil rouge reste alors celui ou celle qui fut jeune étudiant(e) et qui petit à petit se construit et s’épanouit.

Depuis 7 ans, je suis Professeure associée au Conservatoire National des Arts et Métiers où j’enseigne un cours de « Stratégie et Communication d’entreprise » et depuis cette année un cours de « CRM ou Gestion de la Relation Client ». Cette activité parallèle est un vrai bonheur pour moi et me permet de rester en contact actif avec les étudiants du CNAM qui sont pour la plupart en reprogrammation professionnelle active. A l’occasion des nombreuses conversations que j’ai avec eux, je leur demande toujours ce qui anime véritablement leur pulsion de plaisir, quel est l’univers professionnel qui les fait vibrer. Dès lors qu’ils réussissent à le définir, ils trouvent plus facilement en eux l’énergie, la détermination voire l’obstination pour y parvenir. Et si l’on s’inspire de l’Oréal ( !), trouver tout ce qui va faire « qu’on le vaut bien » et qu’on arrivera à bien le valoir ! S’octroyer le droit, le bonheur, le plaisir d’être soi … au risque de devoir se donner les moyens d’y arriver !

En conclusion, je voudrais parler de l’évolution socioculturelle que l’on observe depuis une dizaine d’années et que l’on peut caractériser, entre autres, par l’émergence des valeurs féminines dans l’organisation et le fonctionnement des sociétés occidentales. Cette évolution me paraît importante à souligner car elle traduit une tendance de fond vers un équilibre plus grand entre le « Yin » et le « Yang » dont chacun dispose en lui. Pour avoir fait des études réputées « Yang » et d’autres considérées « Yin », je me suis heurtée depuis toujours à cette opposition sclérosante et voudrais redire combien la parité, voire l’osmose « Yin-Yang » au sein de tout un chacun doit être respectée, cultivée, encouragée. A ce moment là, la question des femmes à des postes de responsabilité dans la vie professionnelle n’a plus de sens : que les femmes puissent quand il le faut être « Yang » et les hommes « Yin » en refusant les rôles et stéréotypes convenus. La vie des entreprises, comme la vie tout court, en sera tellement plus riche et passionnante !

Quand on participe à la création de grands héros télévisuels, ces questions prennent un sens supplémentaire : en effet, ces héros de demain seront d’une certaine façon des modèles d’identification et il faudra que le public s’y retrouve pour les aimer. Il faut que les héroïnes puissent avoir des responsabilités, une vie de famille, une vie personnelle … qu’elles arrivent en un sens à se trouver et à être le fil rouge de leur vie. C’est comme cela que j’essaie de décliner la mienne, en en faisant une vie qui se veut être une unité : que je lise un roman ou un scénario, que je fasse des projets avec mon mari, que je travaille sur les prévisions 2003 du Groupe, que j’aie un moment de complicité avec mes fils ou que j’aille au cinéma avec des amis …. Je ne concilie rien avec rien, je suis la même partout, exigeante avec moi-même, Yin et Yang, heureuse de vivre pleinement aujourd’hui et impatiente de découvrir, au risque de devoir me remettre en question, ce que m’offrira demain !

Auteur

Egalement diplômé de Sciences-Po (section Recherche en Sciences Politiques) en juin 2000, je travaille à temps partiel pour l'OCDE avant de rejoindre en aout 2000 le Département de la conjoncture de l'INSEE, puis en mars 2004 la Dares au Ministère du Travail (Mission d'Analyse Economique).
Entré au Conseil de l'ASTEC en juin 1999, j'y suis rédacteur en chef de Variances de janvier 2001 à janvier 2004. En 2004, j'invente et réalise la 1ère édition de l'Alumni's Cup. J'ai également pris part à la formation d'ENSAE Solidaire, association que je préside depuis mars 2004. Voir les 15 Voir les autres publications de l’auteur(trice)

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