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16 avril 2003

Stephane Marchand, ENSAE 1986 Rédacteur en chef Adjoint du Figaro Economie

Un ENSAE à la tête d’un service d’économie internationale, peu étonnant ? Si l’on ajoute que ce service est celui d’un grand quotidien national et qu’avant de s’asseoir au cahier saumon Stéphane Marchand a arpenté le monde comme reporter politique, le parcours devient particulièrement original.


“ Je ne suis pas du tout arrivé au journalisme par l’économie mais par le grand reportage : reportage de guerre, politique étrangère. A l’X, j’avais fait mon service dans le VIeme régiment de parachutistes d’infanterie de marine. J’avais été dans une ambiance où on voyageait beaucoup et plutôt dans des pays bizarres et en guerre. C’est là qu’est née véritablement ma vocation. Je suis rentré au Figaro en sortant de l’Ensae, donc en 1986. J’ai été reporter pendant deux ans, durant lesquels je suis allé au Sri Lanka, en Finlande, au Cameroun, en Ethiopie, au Soudan… sans logique générale… Ensuite, je suis parti comme correspondant au Proche Orient pendant deux ans. A Jérusalem, j’ai couvert l’Intifada et la guerre au Liban. Puis je suis parti comme correspondant politique du journal à Washington où je suis resté sept ans.

Ce poste à Washington a été une opportunité. Je m’étais marié, j’avais eu des enfants et j’estimais que ce n’était plus compatible avec une activité dans des pays finalement assez risqués. Je suis revenu à Paris en 1997 et depuis je suis ici. J’ai couvert les problèmes du terrorisme et de la Corse avant de passer à l’économie. Je suis maintenant rédacteur en chef adjoint du cahier saumon du Figaro. C’est mon titre, ma fonction c’est chef du service d’économie internationale.

Un parcours dans le vaste monde

Je ne suis pas un scientifique forcené. C’est pour cela qu’en sortant de l’X je suis allé à l’Ensae : j’en avais assez des sciences pures. Mon choix était donc beaucoup plus guidé par l’économie que par les statistiques et même, n’étant pas un mordu des modèles, par la partie la moins scientifique de l’économie. Après mon lycée à Franklin j’avais fait une Math Sup à Stan’, mais sans avoir d’idée préconçue de ce que je voulais faire. Choisir HEC aurait été plus logique compte tenu de ce que je suis devenu. En l’occurrence la logique n’a pas prévalu, mais je crois que les études, que ce soit, l’Ensae, l’X ou la prépa, cela ne sert pas tant par ce que l’on y apprend que par les efforts que l’on y fait. On y acquiert plutôt une méthode de travail : j’ai appris que l’on peut faire un effort gigantesque pendant un laps de temps assez long. Evidemment, la rigueur que l’on y professe compte aussi énormément. Non pas que j’étais des plus rigoureux mais quand même, j’étais au contact de la rigueur. Et cela compte même lorsque l’on quitte la sphère des sciences. J’écris des romans. Ce sont des livres que j’espère plaisants, amusants et vivants. Mais au service de ce plaisant, amusant, vivant, je mets le maximum de rigueur et c’est clair que je l’ai apprise là. Dans mon cas, c’est un soin particulier dans la construction de l’ouvrage, la vérification des faits ou une application à ne jamais laisser quelque chose de flou. Autre exemple : mon travail de journaliste, c’est d’écrire le français. Ca paraît idiot, mais c’est un exercice qui pour être bien fait demande beaucoup de rigueur. Cette rigueur, je ne l’ai pas apprise dans une khâgne où à Sciences Po, je l’ai apprise à l’X et à l’Ensae. Je l’ai appliquée aux Maths, aux statistiques, je l’injecte maintenant dans l’écriture. De mes années de journalisme, je retiens que la fibre principale chez moi, c’est le vaste monde. La France est un pays qui a plein de qualités, mais c’est un vieux pays, qui est enfoncé dans toute une série de réflexes qui sont toujours les mêmes. Comparé à des pays comme Israël, les Etats- Unis ou même l’Espagne qui sont des pays qui bougent plus, qui sont plus souples, c’est un pays assez immobile. Aujourd’hui, je ne supporte plus les ambiances franco-françaises. Mais cet attrait de l’autre, du monde, a été assez tardif. Jusqu’à l’âge de vingt ans, je n’étais pas très tourné vers l’étranger. J’ai fait un voyage en Inde qui m’a laissé un grand souvenir. Ca a été un choc évident par rapport aux pays que j’avais connu auparavant, l’Angleterre et la Suisse, mais je crois que c’est vraiment les sept années aux Etats- Unis qui ont tout changé. La liberté, l’espace, la taille, l’impression que tout est possible, ce sont les clichés habituels, mais ils sont vrais ! Notamment, je suis journaliste, la puissance extraordinaire de la presse. Et puis la vie politique là-bas est très marrante… L’Amérique, c’est génial ! Sept ans passés aux Etats-Unis rendent complètement inadapté au francofrançais. A l’époque, j’avais d’ailleurs écrit un livre, French Blues, où je revenais sur cela. Paris, par exemple, est une ville magnifique, agréable, mais assoupie. Il n’y a pas de happening urbain comme dans les villes américaines ou même dans certaines villes de Province. C’est une ville achevée. Ceci dit la société américaine vit sur des valeurs profondément différentes des nôtres. Et si j’espère que mes enfants iront aux Etats-Unis, je ne sais pas si je souhaite qu’ils s’y installent…

Ecrire sur les coulisses

Au quotidien, je suis maintenant responsable de la couverture par le journal des problèmes économiques internationaux : mon rôle est de choisir des sujets, les titres, les chapeaux. C’est moi qui envoie les reporters à l’étranger sur des sujets précis ou pour la couverture des grandes réunions internationales, comme les réunions du G8 ou les rencontres importantes de l’OMC, etc. J’écris parfois des éditoriaux, mais en me concentrant toujours sur les aspects d’économie internationale. Nous sommes une quarantaine de personnes à travailler



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Figure n°1 :


au cahier Saumon et le service international n’en est évidemment qu’une partie. Au sens strict il compte huit personnes. Il faut y ajouter les correspondants, mais les journalistes sont des gens indépendants et la gestion humaine ne me prend pas beaucoup de temps. C’est appréciable. Surtout que par rapport à un magazine, un quotidien colle plus à l’actualité. Les sujets sont un peu moins travaillés, mais c’est plus trépidant. Tous les jours il faut prendre des décisions, tous les jours il faut faire un nouveau journal et c’est ce qui fait le bonheur de ce métier. C’est tous les matins repartir de zéro et faire un journal pour le soir. C’est une vraie grosse machine. Je n’ai jamais vraiment hésité entre les deux. Je n’ai pas trop hésité non plus sur le nom de mon employeur. Quand je suis sorti, je voulais travailler soit au Monde, soit au Figaro. Un journaliste écrit pour être lu et il a une influence proportionnelle à l’influence du support dans lequel il écrit. Sans compter qu’une signature ouvre beaucoup de portes. Qui plus est, le Figaro est un journal dans lequel il y a traditionnellement des écrivains. J’aime écrire des livres et c’est un endroit assez favorable pour cela. Entre un livre et des articles au quotidien, le travail d’écriture est très différent. Pour mes livres, mon interlocuteur c’est mon éditeur. Il m’accompagne dans une entreprise de plus longue haleine. Mon travail au Figaro étant à plein temps, j’écris le soir, chez moi. Je mets ainsi à peu près un an pour écrire un livre. Une fois mon sujet choisi, je me renseigne, rencontre des gens… Je fais finalement un véritable travail de journaliste. Là où réside la différence, c’est qu’après il me faut écrire quatre cents pages. Et puis dans un journal, on n’a pas le temps de s’étaler en longueur sur ce qui se passe vraiment dans les affaires. On traite les sujets de manière assez superficielle, systématique. Je préfère raconter les histoires d’hommes, ce qui se passe vraiment en coulisses. J’aime écrire des enquêtes qui à la lecture donnent l’impression d’être des romans, mais qui en même temps sont entièrement exactes. Ce n’est pas un style qui irait dans un journal. L’année dernière, par exemple, j’ai écrit un livre qui s’appelait « les guerres du luxe » et qui racontait la bataille entre François Pinault et Bernard Arnaud pour le contrôle de Gucci. J’ignorais absolument tout du luxe quand j’ai commencé le livre, mais j’ai accumulé énormément de documentation. J’utilise énormément internet au quotidien. Essentiellement, d’ailleurs, les sites des journaux et des agences de presses de préférence à ceux des agences gouvernementales. Réflexe professionnel, j’ai tendance à me méfier de celles-ci : un bon journaliste ne fait jamais confiance à personne. Il part du principe que son interlocuteur veut le berner. Il se fait des ennemis. Des gens qui le craignent parce que les informations qu’il donne peuvent avoir une influence considérable ou dénoncer des petits arrangements. Il faut être respecté. Et parfois, pour être respecté, il faut faire un peu mal. « Inflict pain », comme disent les Américains. Sans jamais s’acharner bien sûr. Mais un journaliste est lu s’il est respecté et on ne lui donnera des informations qu’à ce prix… Le journalisme est un rapport de forces.

L’équation d’exigence

Pendant ces quinze années, changer de travail m’a parfois traversé l’esprit ; mais le journalisme c’est un choix que j’ai fait et je ne vais pas le remettre en cause aujourd’hui. Ma vie est organisée entre le Figaro et mes livres. Je suis en ce moment en train de terminer un documentaire télévisé qu’on a adapté du livre que j’ai écrit l’année dernière. Je suis sur un autre livre, … Ma vie repose largement sur le journalisme. Et finalement, ne pas avoir fait d’école de journalisme ne m’a pas desservi. Ce qui m’a aidé, au moment de l’embauche, c’est d’avoir deux diplômes de bonne tenue. Ceci dit, je suis très favorable aux écoles de journalisme parce que c’est bien que les gens qui font le même métier partagent un certain nombre de choses même si ensuite ils prennent chacun leurs libertés. C’est pareil pour les économistes et l’Ensae. Que l’école soit spécialisée dans un certain type d’enseignement n’est pas gênant. Il y a d’autres écoles d’économie et sur le marché on sait que l’Ensae produit des gens de ce type là. C’est bien qu’ils aient des références communes.

Aujourd’hui, étant donné mon poste, il m’arrive souvent de rencontrer des Ensae. Chaque fois que je suis en contact avec des gens de Bercy, par exemple. Mais je dois avouer que j’ai gardé assez peu de contacts avec les anciens. Ce n’est pas à ce moment de ma vie que j’ai tissé des relations très étroites. Par contre, l’école ne m’a jamais oublié. Par exemple, même aux Etats-Unis, je recevais le journal des offres d’emplois… En conclusion, je dirais que le secret des bonnes écoles, c’est l’exigence que cela représente. Quand on a fait ces écoles, on a vu ce qu’était l’exigence. Même si on ne l’a pas pratiqué, même si on a été à l’époque réfractaire, et c’est là la beauté de la chose, l’exigence comme valeur est inscrite au fer rouge dans la conscience. On sait ensuite très vite reconnaître un travail médiocre et bâclé quel que soit le domaine ou presque. Tu sais reconnaître une pièce de théâtre ou un scénario qui a été bâclé ! Tout le secret c’est ça : fabriquer des gens exigeants. »

Propos recueillis par Frédéric GILLI
(ENSAE 2000)

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